lundi 19 décembre 2011

L'hypnose comme thérapie... ou l'hypnose pour la thérapie ?

Une des applications les plus courantes de cette capacité psychomotrice qu'on appelle hypnose est son utilisation dans le cadre de la psychothérapie. Le terme même de psychothérapie a été inventé par une hypnotiseur afin de rebaptiser cette nouvelle discipline qui consiste non pas à guérir l'esprit, ce qui est l'interprétation courante et erronée du terme, mais à guérir PAR l'esprit. C'est-à-dire à guérir le corps, l'organisme tout entier, les émotions aussi, l’âme, etc... mais en agissant sur la pensée (l'imagination, la compréhension, la croyance, la réflexion, l'attention, etc...) et notamment à travers le langage. Cela ne signifie évidemment pas que tout atteinte somatique peut trouver une solution d'origine psychique. L'hypnose s'intéresse précisément à la partie de nos fonctionnements que l'on peut qualifier de « psychosomatiques », c'est-à-dire ces leviers psychiques qui permettent une réactions physiologique, neurologique, bref somatique. C'est pourquoi l'hypnose est classée dans les disciplines psychosomatiques.

Aujourd'hui, la psychothérapie s'est largement émancipée de l'hypnose de qui elle découle. Et c'est même l'hypnose qui présente timidement sa candidature comme « outil » à incorporer dans la pratique de la psychothérapie et que l'on méprise en raison de son manque de systématicité et de sa dimension trop artisanale. L'hypnose dépend moins de sa théorie que de la façon dont elle est administrée et en cela est rétive à un enseignement systématique.
Désormais, il est de bon ton, chez ceux qui ont l'audace de « croire encore à l'hypnose », de bien noyer cette pratique parmi une liste d'autres afin que, tel un canif suisse thérapeutique, on puisse montrer notre multifonctionnalité, gage de compétence, et bien afficher que notre pratique de l'hypnose n'enlève rien au sérieux de notre démarche. Cette polyvalence et cette diversité sont une chance extraordinaire pour la psychothérapie. C'est aussi la marque d'une démarche autodidacte d'apprentissage continu propre à ce métier et qui fait le style unique de chaque praticien.
Cependant, pour l'hypnose elle-même, le fait d’être réduite au rang d'outil parmi d'autres dans une boite à outil est à double tranchant :
- elle se nourrit des inspirations et des compréhensions issues d'autres mouvements.
- elle n'est plus considérée comme une démarche thérapeutique à part entière.

En effet, il y a bel et bien deux façons de considérer l'utilisation de l'hypnose en psychothérapie.

a) l'hypnose est un état de réceptivité utilisé afin de travailler moins avec la logique des patients qu'avec une pensée intuitive et spontanée et de permettre ainsi aux suggestions thérapeutiques d'atteindre plus efficacement, rapidement et librement une dimension profonde (subconsciente). En gros, les principaux obstacles à la thérapie sont :
  • la résistance à la thérapie (consciente ou inconsciente)
  • la volonté de faire pour le mieux : le changement inconscient arrive en général au moment du laisser-faire, voire de l'oublier-de-faire, plutôt que comme résultat d'une volonté de faire incompétente. Quand le patient essaye de changer, il échoue. Tandis qu'on le détourne du problème en l’entraînant dans des problématiques en aval du changement dans une présupposition du succès thérapeutique afin qu'il cesse de questionner la possibilité du changement.
Or, l'état d'hypnose est précisément un laisser-faire qui favorise les démarches thérapeutiques d'exploration de l'inconscient (hypno-analyse) ou de suggestion. Concrètement, on induit un état d'hypnose, puis, une fois cet état stabilisé, on mène un travail thérapeutique de n'importe quelle inspiration et celui-ci se fait alors dans un contexte relationnel et émotionnel qui le favorise largement.
Aujourd'hui la plupart des hypnothérapeutes travaillent ainsi, qu'ils s'annoncent comme hypnothérapeutes ou qu'ils soient psychothérapeutes, psychiatres, ou autres. On distingue donc plusieurs moments dans la consultation en hypnothérapie : 

     1. les échanges en état vigile (état ordinaire de conscience). Discussions, anamnèses, suggestions diverses, explications, règlement des honoraires, etc...
  1. l'induction d'un état d'hypnose. C'est la transition d'un mode d'échange à un autre.
  2. Les échanges en état d'hypnose. Le patient dans un état plus ou moins altéré de conscience reçoit de suggestions différentes ou semblables à celles reçues en état d'éveil, ou la récapitulation de ce qui a été suggéré en état d'éveil, ou bien encore il est guidé à travers les étapes d'un travail intérieur à visée thérapeutique, ou bien encore est-il invité à explorer dans un mode de pensée plus réceptif qu'actif des connaissances de lui-même difficilement accessible à sa conscience ordinairement. Il peut également être invité à faire des choses dans le cas de thérapies comportementales ayant recours à des états somnambuliques d'hypnose.
Ces trois moments n'ont pas d'ordre fixe et peuvent être utilisés au gré du thérapeute. Cependant cette délimitation est très théorique et un praticien expérimenté aura souvent développé une approche plus subtile tissant entre eux les différents moments en vue d'une stratégie thérapeutique générale.

b) l'hypnose est un phénomène naturel qui est en soi thérapeutique. C'est même en cela qu'il a donné naissance à la psychothérapie. Faire l'expérience d'une dissociation hypnotique s'est avéré propice à une « crise » émotionnelle profonde aboutissant à la résolution des conflits et à la thérapie. Tout comme la cure de sommeil, on a longtemps pratiqué la cure hypnotique comme moyen de thérapie.
Aujourd'hui, cette conception d'une crise émotionnelle est rarement invoquée pour revendiquer les vertus curatives de l'hypnose. Il s'agirait plus des phénomènes de distorsion de la perception que permet l'hypnose qui se présentent comme des apprentissages de capacités précieuses qui font précisément défaut aux personnes en difficulté psychologique pour leur évolution.
Dans cette perspective, apprendre à être dans le laisser-faire de l'hypnose, apprendre la perte temporaire de contrôle liée à des phénomènes comme la paralysie hypnotique, apprendre à se dissocier partiellement comme dans l'anesthésie, apprendre à devenir temporairement quelqu'un d'autre par l'exercice de la dépersonnalisation, apprendre à redevenir soi à un age antérieur comme dans la régression, apprendre à ne pas reconnaître son identité dans l'action comme par l'écriture automatique et ainsi s'interroger soi-même autrement, et encore beaucoup d'autres apprentissages se font par l'exercice des phénomènes de l'hypnose. On peut alors considérer l'hypnose comme une sorte de kinésithérapie de certaines facultés de la pensée et de la perception : on les fait travailler afin de les ré-éduquer car on estime que ce sont précisément ces capacités qui font défaut à la personne pour surmonter son conflit psychique.

Dans cette perspective, la pathologie psychique (hors psychoses et symptômes d'origine physiologique bien entendu) est plutôt perçue comme un défaut d'apprentissage, un défaut de développement d'une capacité. Par exemple, une personne peut apprendre à percevoir le souvenir d'un être proche décédé dans une dissociation d'avec l'émotion ressentie lors de la perte et développer la capacité à laisser se développer en lien avec ce souvenir les émotions agréables liées aux bons moments partagés. Afin de disposer de cette capacité à se souvenir autrement, il n'est nul besoin de viser un traitement direct de ce souvenir. Il suffit de lui permettre de développer cette capacité en général et son cerveau l'appliquera au cas particulier qu'est le souvenir de cette personne. On lui apprend le mécanisme de la dissociation en jeu dans le deuil à travail l'exercice d'un phénomène de distorsion de la perception sous hypnose, puis ce mécanisme s'appliquera de lui-même en temps voulu au deuil à faire en l'occurrence. C'est là un des sens important de la thérapie stratégique indirecte, voire symbolique développée par le Dr Milton Erickson. Hors thérapie, il pratiquait également cette façon d'enseigner une faculté : pour une femme se préparant à l'accouchement, il lui apprenait à percevoir son bras de façon dissociée jusqu'à développer une analgésie locale, puis il lui montrait qu'ayant appris à le faire sur un bras, elle pouvait le faire sur l'autre, puis il lui faisait faire encore l'expérience d'appliquer cette capacité nouvelle à une jambe. Naturellement, en temps voulu, forte de cette possibilité de dissociation locale, la femme pouvait l'appliquer à la partie inférieure de son corps pour accoucher sans douleur. Il en va de même avec la psychothérapie.

Cette description n'est qu'une façon pour l'hypnose de se présenter comme un travail thérapeutique en soi. La crise par la cure hypnotique (rester longtemps plongé dans un état d'hypnose chaque jour) en fut une autre par le passé. Et d'autres encore existent.

Pourquoi est-il si important de réhabiliter l'effet thérapeutique de l'hypnose in se ?
Aujourd'hui, différentes disciplines se disputent l’exclusivité de l'hypnothérapie. Les médecins voudraient que seuls les titulaires d'un doctorat en médecine soit autorisés à pratiquer l'hypnose. Les lobby de psychothérapeutes qui ont déjà réussi à mettre la main sur ce titre essaient de limiter l'usage du terme de thérapeute (fonction sociale) et de condamner l'usage du titre d'hypnothérapeute par des personnes n'étant pas citées au registre des psychothérapeutes (la candidature à ce registre implique la signature d'une charte restreignant l'indépendance professionnelle et morale des praticiens et en particulier dans la pratique d'une discipline comme l'hypnothérapie).
Or l'hypnothérapie n'est pas un avatar de la psychothérapie mais une grille à part entière de lecture de la pathologie et un système de pédagogie thérapeutique psychosomatique très distinct dans ses principes et ses fonctionnements de la plupart des psychothérapies comportementales ou analytiques qui dominent la profession. L'hypnothérapie ne saurait être réduite à une psychothérapie parce qu'elle est une discipline psychosomatique avant tout, et ceci n'a été oublié que très récemment par la profession. Il est important de préserver cette autonomie de l'hypnothérapie afin de préserver la possibilité de continuer la construction d'une alternative au freudisme et au comportementalisme à travers une pratique de la transe hypnotique et de ses imitations et à travers une expertise de la communication suggestive qui en est la didactique.
L'hypnose est une discipline à la frontière des neurosciences, de la psychologie, de la communication, et de la pédagogie. Dans son versant thérapeutique, elle offre des perspectives de soin inouïes en tant qu'elle est l'application même d'une linguistique des neurosciences. Bien au-delà des thérapies comportementales et cognitives, bien au-delà de la psychanalyse, bien au-delà de la psychiatrie, elle sait se nourrir de toutes celles-ci comme elle les a nourries elle-même. Cependant, elle ne leur appartient pas. Et c’est faire insulte à cette noble pratique que de ne pas lui offrir d’être à elle seule une alternative à toutes ces thérapies pour offrir au public une voie d'évolution personnelle à la fois ancienne et à la pointe du progrès.

Cet affaiblissement de l'hypnothérapie comme système thérapeutique est aussi surtout la conséquence de l'abandon par les hypnothérapeutes eux-mêmes des recherches et même de la pratique de l'hypnose comme thérapie. Aujourd'hui, l'enseignement de l'hypnose met l'accent sur l'utilisation de l'hypnose comme état facilitant l'application de protocoles thérapeutiques issus d'autres champs de recherche. Cet aspect est riche et précieux. Mais il est regrettable qu'il occulte totalement la perspective extraordinaire qu'offre l'hypnose comme pédagogie thérapeutique des facultés neuropsychologiques et qui ne doit de compte à aucun autre champs de thérapie.

jeudi 8 décembre 2011

Clichés et contre-clichés de l'hypnose... 1ère partie

Si on vous dit « hypnotiseur », ne pensez-vous pas à un personnage du genre de ce magnifique portrait du réalisateur américain Orson Welles ?
A vrai dire, de moins en moins. Les clichés sur l'hypnose fonctionnent par mode. Il y a une dizaine d'années, nous étions confrontés à des préjugés très primaires et des idées effrayantes sur l'hypnose bien plus souvent qu'aujourd'hui. Désormais, de plus en plus de gens ont eu recours à l'hypnose thérapeutique ou lu un article sur ce sujet, ou vu un reportage à la télévision, ou bien encore ont un ami qui a lui même expérimenté, et caetera. Les clichés changent, malheureusement ou heureusement, pour le meilleur comme pour le pire. De plus en plus, l'idée préconçue des gens par rapport à l'hypnose se divise en deux cas :
  • l'idée inspirée des spectacles d'hypnose collective où l'on incite à la désinhibition dans un contexte parfois peu rassurant.
  • L'idée inspirée de séances d'hypnothérapie de type relaxation basée sur des métaphores et des accompagnements très doux n'offrant parfois qu'une expérience de détente bien peu hypnotique. Version moins effrayante mais également moins fascinante et digne d’intérêt.
Or, que ce soient les tenant de l'application scénique de l'hypnose ou les tenants de son usage thérapeutique, beaucoup d'hypnotiseurs croient bon de s'évertuer à « tuer les clichés » et à offrir des clés de compréhension.
Mais vouloir absolument contredire les idées courantes amène bien souvent à jeter le bébé avec l'eau du bain et à réfuter des choses pourtant bien réelles. En voici quelques exemples : (je formulerai directement en guillemets les « anti-clichés »)

  • « l'hypnose n'a rien à voir avec le sommeil ». C'est vrai qu'il est courant de penser que l'hypnose a un rapport avec le sommeil tant on se souvient de cette image d'un hypnotiseur autoritaire qui dit « Dormez, je le veux ! » à ses sujets... Beaucoup s'acharnent contre cette idée. Et pourtant, la filiation de l'hypnose avec le sommeil et avec le somnambulisme permet de comprendre l'idée de l'hypnose comme un état. Cette considération est négligée par les tenants du comportementalisme en hypnose et qui ne s'intéressent pas toujours à l'hypnose vraiment profonde. Réduire l'hypnose à un sommeil semble difficile, quoique... Toutefois, penser le sommeil comme une hypnose... Ou l'hypnose comme l'extension d'une phase transitoire du sommeil... Penser narcose et hypnose autrement... Tout cela amène des compréhensions réellement utiles d'un point de vue technique. D'autant que l'évocation très classique du sommeil dans les suggestions hypnotiques n'a pas été l'erreur d'une hypnose archaïque mais une intuition psychologique d'une efficacité prodigieuse.

  • « l'hypnose est totalement agréable. Ca ne doit pas vous faire peur ». C'est vrai que le personnage classique de l'hypnotiseur avait une forme de charisme qui entretien la peur. Et désormais, on passe son temps à rassurer tout le monde. Pourtant, l'hypnose n'est pas aussi anodine que certains voudraient le croire et sa pratique demande une grande maturité, une pleine conscience des responsabilités qu'elle entraîne, et une éthique solide. Or la peur que suscite l'hypnose, dans une certaine mesure, n'est pas son ennemi mais au contraire un élément très important de l'induction de l'hypnose. Le glissement vers un état profond de dissociation hypnotique, quand il est vécu pour la toute première fois, est souvent précédé d'un moment plus ou moins long en fonction des individus et des méthodes utilisées de stress et de peur accompagnés d'une très forte curiosité, voire d'une impatience très vive. Dans ce stade, la respiration s'accélère, le rythme cardiaque également, et une sorte de tension intérieure s'exprime qui marque le début de la dissociation. Il ne s'agit ni plus ni moins que de cette même peur que vous ressentez dans la queue d'un grand huit dans un parc d'attraction. Vous avez de plus en plus envie d'y aller, car vous savez que c'est sans danger et que ça vous apportera une expérience hors norme, et tout à la fois c'est bel et bien une expérience qui sort tout-à-fait de l'ordinaire et qui présente une part d'inconnu, d'aventure propre à vous faire ressentir ce frisson, cette adrénaline délicieuse. Et en vous ce dialogue : une partie de moi veut partir d'ici, une partie de moi veut si fortement monter dans ce manège. En hypnose, pour accompagner correctement cette première expérience de glissement vers l'hypnose, il est important de savoir tenir compte de cette réaction des plus naturelles. Il ne sert à rien de nier la peur. Elle n'est pas toujours une mauvaise chose. Il ne sert à rien d'avoir peur de la peur. Pour beaucoup, le frisson de la nouveauté est d'autant plus pénible et délicieux que vous mettez beaucoup d'espoir dans cette expérience. Tout cela est parfaitement normal. 

  • « L'hypnose est un état de détente ». Pour rassurer ceux qui redoutent qu'on les place, rigides, entre deux tréteaux, certains hypnotiseur insistent sur le fait que l'hypnose est un état de profonde relaxation du corps. Cette relaxation peut-être suggérée à certains stades de l'hypnose, surtout en hypnose légère. Pourtant, à un degré plus profond, la dissociation du corps et de la pensée fait que le confort devient un élément de perception indépendant du corps. Le corps peut bien être tendu tandis que vous ressentez une parfaitement sensation de détente. Cette capacité à ne pas faire dépendre son ressenti uniquement de l'état réel des choses mais de le lier à l'imagination ou à la suggestion est justement au cœur de l'apprentissage qu'offre l'expérience hypnotique et qui lui permet des applications thérapeutiques. Trop attendre la détente du corps pour obtenir la sensation de détente peut être contre-productif en hypnose, voire parfaitement anti-hypnotique. L'hypnose se passe « dans la tête », et le corps peut bien même marcher dans la rue, courir, faire du vélo, du cheval, travailler, jouer d'un instrument de musique, jouer une pièce de théâtre, dire une conférence, faire l'amour, etc., ça n’empêche absolument pas cette dissociation, bien au contraire. 

  • « L'hypnose n'est pas un état de détente. » La relaxation physique en hypnose étant devenue elle-même un cliché de la nouvelle hypnose, certains hypnotiseurs s’affairent bien entendu à le réfuter. Et pourtant, la relaxation du corps, surtout si elle passe par un processus de concentration méthodique sur les sensations et si elle atteint le stade d'un relâchement excessif du tonus musculaire a pour effet une altération de la proprioception, des sensations du corps, une immobilité confortable, puis une dissociation qui ne s'apparente pas à du sommeil mais à un état d'activation bien plus extraordinaire du cerveau. Or, si cet état a été induit par une relaxation guidée par les suggestions de quelqu'un, cette personne peut être considérée comme l'hypnotiseur de l'autre en vertu de la relation particulière d'accompagnement qui s'est établie. L'hypnose n'est pas nécessairement un état de détente. Pourtant, un certain état de détente se présente comme éminemment hypnotique. Du reste, en hypnose profonde, on observe une paresse des sujets par rapport aux interactions extérieures. Même si certaines partie du corps peuvent agir ou être en tension, globalement, la personne a tendance a être plutôt « dans le pâté », et à être trop détendue pour s'exprimer clairement et longuement, bien qu'on puisse lui suggérer d’être plus active.
Reprendre tous les clichés et les contre-clichés de l'hypnose pour les éclairer en fonction de mon approche et de mon expérience personnelle (et professionnelle) serait un travail de très longue haleine et qui vous demanderait encore plus de temps de lecture que je ne vous en vole déjà. Alors, procédons par épisodes : je compléterai régulièrement cette liste avec deux ou trois nouveaux points, analysés avec plus ou moins de détails. Si un aspect vous intéresse particulièrement et que vous désirez que je développe mon point de vue sur sur celui-ci, faites moi parvenir votre question par e-mail ( contact@hypno-paris.fr ) ou par commentaire.

mardi 6 décembre 2011

Quant-à-rien n°2 : Sur l'avenir de ce qu'il nous reste à vivre...

"Jamais dans les siècles et dans le monde il n'y eût de façon de comprendre la situation qui s'apparente à celle qui se présente à nous aujourd'hui, parée d'une arrogance à la hauteur de sa majesté. Jamais nous n'avions compris d'une façon aussi limpide autant que spontanée ce que nos regards blasés renvoient à la menace d'un devenir ordinaire. Nous aurions pu passer à côté. Mais nous l'avons laissé nous éblouir. Et pour cela, il est de notre devoir de lui adresser à chaque matin de nos humbles destins et du plus profond de ce qu'il nous reste d'âme le plus silencieux des hommages, celui qui n'est porté par aucun mot pour ne trahir aucune douleur. Tous, chacun, d'un même regard, reconnaissons enfin ce que nous venons de comprendre pour la toute première fois, ce qui ne laisse aujourd'hui plus de place au doute d'hier et qui chasse la peur de demain ! Reconnaissons ce qui ose sourdre du monde sans se faire annoncer, lors qu'il annonce à son tour, en chantant son hymne familier ce que nous ignorions encore quant à l'avenir de ce qu'il nous reste à vivre !"

De neurones en miroirs

Regardez quelqu'un bouger et vos neurones miroirs s'activent en vous exactement comme si c'était vous-même qui aviez fait ce geste. Voilà en très très gros la découverte faite dans les 90 qui a confirmé beaucoup d'intuitions de la psychologie et lui a donné beaucoup d'espoir. Il est encore tôt pour faire des inférences sur le rôle de ces neurones dans la psychologie et nous nous garderons bien de donner une fausse légitimité à des hypothèses théoriques en brandissant des explications neurologiques non testées de façon formelle et scientifiquement valide.

Dans le domaine de la communication hypnotique, on prête une attention très particulière aux signaux minimes, c'est-à-dire aux micro-mouvements, et modifications infimes du corps qui trahissent la présence d'une pensée en action. Je m'explique : si vous êtes assis et que vous vous imaginez en train de courir, une simple imagination superficielle n'aura peut-être aucune incidence sur votre corps. Mais si vous vous concentrez un peu plus sur cette course, si vous vous imaginez dans l'action, de façon soutenue et investie, il y a fort à parier qu'apparaîtront rapidement des micro-mouvements correspondants aux mouvements principaux de la course, et que votre respiration se modifiera ainsi que l'expression de votre visage, votre regard et le teint de votre peau. Si vous vous imaginez en train de dormir, il en sera de même (non, ne révélons pas que c'est là un des « trucs » qui permettent d'induire ou de s'auto-induire l'hypnose!)

Votre corps « trahit » par des petits mouvements à peine perceptibles le fait que vous vous imaginiez en train de faire ceci ou cela. Or, il en va de même si vous observez quelque en train de faire ceci ou cela. Il est possible de regarder quelqu'un courir avec une distance mentale qui ne vous implique pas beaucoup dans l'action. Et il est aussi possible de regarder quelqu'un avec ce « petit plus » d'implication qui nous plonge dans l'action de l'autre, qui nous « met dans sa peau ». Et alors, comme le supporter de foot derrière son écran qui doit retenir ses membres pour ne pas taper lui même dans un ballon imaginaire au moment où son buteur préféré s'apprête à marque un but, le simple fait d'observer active une partie de nous, "empathique", qui nous imagine « à sa place en train d'agir » et qui trahit nos pensées par des micro-mouvements et des changements subtiles du corps.

Avec cette même implication, regardez quelqu'un qui pleure, et vous serez triste. Regardez quelqu'un qui rit... regardez quelqu'un qui dort... Peut-être que vous n'allez pas pleurer, rire ou vous endormir. Et pourtant, essayez de rester neutres, et vous verrez que d'infimes changements apparaissent qui trahissent le début d'une réaction d'empathie.

Sur la base de cela, je me souviens d'avoir fait il y a quelques années une petite expérience collective d'induction de l'hypnose. J'ai pris sept personnes désireuses de vivre un état d'hypnose. Une seule d'entre elles pratiquait régulièrement l'auto-hypnose et avait suivi des séances d'hypnose. Les autres n'avaient jamais fait d'hypnose mais semblaient répondre de façon moyenne à des tests de réceptivité aux suggestions et d'empathie (j'avais exclu de l'expérience une personne trop « dissociée »).  Je les ai disposées en quinconce en veillant bien à ce que la personne entraînée (A) soit en bout de rang. G observait très attentivement le visage de F qui observait très attentivement le visage de E, etc... jusqu'à A qui regardait devant lui.

A            C            E            G
        B            D            F

Pour ne pas trop fausser l'expérience, j'avais dit à B, C, D, E, F et G qu'il s'agissait d'un simple exercice de concentration que je leur demandais de faire en contre-partie de leur expérience d'hypnose qui viendrait plus tard. A part, j'avais demandé à A de se mettre à mon signal dans un état d'hypnose de type stuporeuse, les yeux ouverts, en développant une catalepsie (raideur figée) générale du corps, puis d'approfondir cet état quitte à ce que les yeux se ferment spontanément.
J'ai donc fait le signal à A de se mettre en hypnose.
En quelques secondes, son corps figé et son regard hagard, sa respiration haute et rapide montraient les signes d'une hypnose stuporeuse en bonne voie. Pendant ce temps, E montrait aussi les signes d'un état d'hypnose mais probablement spontanément induit par l'excès de concentration visuelle et l'immobilité. Rapidement B, qui observait A adopta le même regard perdu avec les yeux très grand ouverts. Par mimétisme, son corps se redressa progressivement et ses bras se contractèrent juste assez pour que ses mains ne semblent plus lourdement posées sur ses genoux mais maintenues dans un contact léger avec les genoux. Il montrait la même catalepsie stuporeuse que A. C modifiait naturellement tous ces paramètres exactement au rythme de B, sans aucun délai de réaction, dans une parfaite synchronisation. Les respirations de C et de B étaient parfaitement synchrones et s'accéléraient sur le modèle de la respiration de A. D observait C dans une décontraction générale du corps qui n'était pas la raideur confortable de A, B et C. Pourtant la contraction cataleptique des bras se mit à apparaître au bout d'une trentaine de secondes en même temps qu'un relâchement soudain des yeux vers un regard grand ouvert et totalement perdu. E, qui semblait déjà dans une hypnose autonome gardait quand même un lien empathique vers D qui lui fit adopter également ce regard et le relâchement de la mâchoire que C et D développaient de plus en plus (leurs bouches s’entrouvraient progressivement). A et B avaient les mâchoires assez détendues bien que figées et leurs bouches restaient fermées. F, qui mit du temps à se laisser impliquer hypnotiquement dans l'expérience, répondit d'un coup,en même temps aux signes hypnotiques que E reprenait de D et à ceux que E avait développés de façon autonome avant le début réel de l'expérience. Mais en plus, il développa un balancement de la tête et du haut du corps d'avant en arrière assez subtile mais qui s’amplifiait progressivement. J'observai que A et C (tous deux dans le champ de vision périphérique de F) montraient aussi des signes d'un léger balancement avant-arrière du corps. G, quant à lui eut un sourire nerveux au moment où l'attitude de F changea complètement. Mais il semblait avoir répondu aux transformations hypnotiques de D (dans son champ de vision périphérique). Le changement de F eut plutôt pour effet de le sortir de tout mimétisme. Il changea sa position librement sur sa chaise et observa F de façon dissociée et peu empathique.
Au bout de deux minutes environ, les yeux de A papillonnèrent et se fermèrent. Quelques secondes plus tard, les yeux de B et C se fermèrent simultanément. D, qui voyait que C avait fermé les yeux montra les signes d'une grand fatigue sur le visage et d'une lutte pour ne pas s'endormir tandis que sa tête voulait piquer en avant. Il finit par laisser les yeux se fermer et la tête se baisser un peu. E ne ferma pas les yeux. Cependant, il sembla encore plus « loin » en lui, son regard encore plus absent et sa mâchoire plus détendue laissait s'ouvrir un peu plus la bouche. F avait déjà fermé les yeux à la suite de C et A. G ne ferma pas les yeux et sourit en voyant ce qui se passait.

Après quelques minutes, j'allai discrètement glisser à l'oreille de A de se réveiller confortablement, joyeusement et complètement. Il mit quelques secondes à se redresser, , s'étendre et ouvrir les yeux. Il bailla. C'est à ce moment là que C et D se redressèrent et retrouvèrent leur tonus. Ils ouvrirent les yeux. E resta en hypnose profonde bien que sa respiration devint plus naturelle et plus calme à ce moment là. F se redressa au moment où les étirements des autres se faisaient entendre et émergea très progressivement pour se réorienter gentiment vers l'extérieur. G sourit de plus belle en restant parfaitement éveillé. J'ai alors glissé à l'oreille de E qu'il pouvait se réveiller confortablement, joyeusement et complètement. Ce qu'il fit aussitôt.

Tous sauf G ont dit n'avoir aucun doute sur le caractère hypnotique et très intéressant de cette sorte de « sieste figée » qui les a prises. A a dit avoir vécu l'hypnose d'une façon beaucoup plus profonde que d'habitude et très différente. E restait incapable de dire si l'expérience totale avait duré 30 secondes ou 1 heure (en réalité une dizaine de minutes). B, C, D et F n'avaient pas trop perdu la notion du temps mais ont décrit un état très dissocié avec parfois l'impression d' « être l'autre », d' « être seul », que "rien n'existe d'autre que la personne qu'ils observaient", et autres remarques caractéristiques de cette expérience.

Depuis, j'ai largement développé l'utilisation de ce phénomène naturel dans l'induction de l'hypnose ou dans son application et intégré cela à ma pratique ainsi qu'à ma compréhension des phénomènes. Je me garde pourtant d'en donner une explication neurologique qui outrepasserait le champ de mes compétences légitimes.
Cette petite expérience n'était pas réalisée dans des conditions optimales et rigoureuses permettant de contrôler les paramètres et les interférences et ne peut en aucun cas servir de base à une discussion scientifique. Il s'agit juste d'une illustration concrète d'une utilisation de l'observation impliquée dans l'hypnose.

lundi 5 décembre 2011

Quant-à-rien n°1 : C.Q.F.D...

"Pour commencer, il est important de préciser que ce qui doit être dit afin de comprendre ce qui suit découle de la nécessité de présenter chronologiquement et logiquement les éléments dans le seul ordre qui autorise une compréhension naturelle de l'argument principal mais également des arguments qui l'introduisent et le préparent.

En outre, le développement qui s'ensuit répond inévitablement à une même logique de ne pas laisser en suspens une argumentation à peine ébauchée alors qu'elle accueillerait si favorablement un complément d'explication qui autoriserait enfin le lecteur, désireux de comprendre de quoi il en retourne, à percevoir une progression linéaire de l'idée depuis une ébauche déjà fort prometteuse vers une thèse aussi audacieuse que limpide.

Cependant, il est impensable de passer sous silence l'éventualité troublante d'une dérive de cette logique vers une logique inverse, mais qui tairait son nom, sous le seul prétexte qu'elle ne pourrait plus longtemps rester dans l'état adéquat dans lequel s'efforçaient à la contenir ses plus fervents défenseurs ainsi qu'une partie de ses détracteurs. Et qui oserait encore nous faire croire qu'il n'est pas sensible à une telle menace ?

C'est pourquoi, dans cette lutte trouble des idées, apparaît comme unique solution et comme délivrance le choix de se refuser sans transiger d'accorder ne fut-ce qu'une seconde de crédit et d'intérêt à toute initiative se présentant comme un « contre-courant » à l'aboutissement logique d'un consentement de bon-sens. Et c'est ainsi, et seulement ainsi, et nul ne saurait en douter, que nous pouvons nous réjouir des conséquences de nos choix."

Pour un désenclavement de l’hypnose

Avant que la médecine ne s’intéresse à l’hypnose, celle-ci était noyée dans l’obscurantisme des pratiques magiques ainsi que dans la dramatisation des spectacles de magnétisme. Or, l’histoire moderne de l’hypnose dont on considère le commencement avec Mesmer est une sortie progressive de l’obscurantisme par l’appropriation du corps médical. Notons au passage qu'une certaine irrationalité a tendance, depuis les années 70, à faire régresser l’hypnose vers un obscurantisme nouveau, même en psychothérapie.
Malgré son appropriation très bénéfique par les médecins au XIXe siècle, l’hypnose n’est pas un fait médical : c’est une compétence humaine. Et les craintes des médecins quant à la banalisation d’un usage de l’hypnose sont à mettre en grande partie sur le compte du fait que ceux-ci travaillent principalement avec des personnes fragiles et malades, et centrent leur vision sur la cure psychiatrique. Ces craintes étaient aussi dues à la croyance désormais révolue que l’hypnose augmente la suggestibilité et rend un sujet manipulable. On sait désormais que ça n’est pas le cas et que l’hypnose n’est pas un accès direct au cerveau de l’autre.
L’hypnose comme état est aussi naturelle que le sommeil, bien que moins ordinaire dans la vie de tout un chacun, en particulier sous la forme extrême d'une transe (plus courante sous la forme de rêverie profonde ou d'obnubilation persistante). Et l’hypnose comme technique n’est qu’une communication particulière, une relation de confiance, qui ressemble beaucoup à d’autres formes de communications complices et chaleureuses courantes dans la vie de chacun (surtout dans la relation parents/enfants).
Ainsi, pour ne pas laisser l’hypnose être stigmatisée soit comme une pratique magique, soit comme une pratique de foire à la limite de la charlatanerie, soit encore comme une pratique médicale délicate et dangereuse, il semble intéressant que d’autres champs professionnels s’approprient avec rigueur et compétence un usage direct et assumé de l’hypnose (la vraie, pas la relaxation mièvre qui se prétend parfois hypnose). On a vu les prémisses d’une telle ré-appropriation par la pédagogie bien que cela ne semble pas avoir fait l’objet d’un véritable mouvement convaincant. Les pratiques artistiques, qui rencontrent souvent par hasard la nécessité d’états hypnotiques n’ont pas non plus formalisé et systématisé leur droit à maîtriser et à utiliser l’hypnose. L’usage militaire de l’hypnose, quant à lui, reste confidentiel. Le sport n’a pas non plus systématisé l’usage de l’hypnose dans l’entraînement physique et psychologique, bien que cette pratique soit de plus en plus répandue.
Le faible développement de l’hypnose hors des mains-mises de la psychothérapie, de la médecine et du divertissement est la cause d’une polarité conflictuelle et de luttes ténues pour revendiquer la compréhension, voire l’exclusivité de la pratique de l’hypnose. Il est également à l’origine d’une méconnaissance de la nature de l’hypnose, de son accessibilité et de ses applications. Ce faible développement a encore pour conséquence qu’il existe très peu de recherches sérieuses sur l’hypnose hors de la neurologie, de la psychiatrie, de l’anesthésie, et de la psychologie expérimentale, par exemple sur des champs d’application aussi prometteurs et malheureusement négligés que la pédagogie et la psychologie de l’apprentissage.
Ce désenclavement de l'hypnose et sa banalisation sont une étape nécessaire et un objectif de la démarche de démystification qui nous est chère. Une étape nécessaire et urgente car trop de lobbys ont intérêt à brandir une menace fantasmée afin d'obtenir que l'hypnose soit interdite hors de leurs prérogatives. Une telle dérive basée sur l'ignorance serait une régression totale et la perte d'un des rares outils de psychologie appliquée permettant une facilitation réelle des apprentissages. Alors, avis à ceux d'entre vous qui voient une application possible de l'hypnose dans leur métier, informez-vous, formez-vous, venez qu'on vous enseigne, et augmentez votre art d'une capacité nouvelle. De la même façon qu'on utilise la créativité, la réflexion, la concentration... utilisons l'hypnose !

dimanche 4 décembre 2011

L'illusionniste illusionné

En tant qu'hypnotiseur professionnel, je rencontre très régulièrement d'autres hypnotiseurs. En théorie, nous faisons le même métier. Pourtant, j'ai souvent le sentiment que nos approches, nos compréhensions de ce qu'est l'hypnose et de son usage, ainsi que nos pratiques diffèrent tellement que nous n'avons en commun que le mot « hypnose », que chacun de nous assume joyeusement. Parfois aussi, je rencontre des hypnotiseurs dans le discours desquels je me reconnais assez.

Il y a quelques jours de cela, j'ai retrouvé un collègue dans un café pour déjeuner et « parler boulot ». Tout comme moi, il pratique l'hypnose en consultation individuelle. Bien que psychologue de métier, il refuse le titre de « psychothérapeute » et assume une approche de la thérapie principalement élaborée autour de l'usage de l'hypnose. Humainement, nous avons beaucoup d'atomes crochus, bien que la plupart de nos opinions divergent. …
Ce jour-là, il est arrivé accompagné d'un homme que je ne connaissais pas. Il s'est présenté comme hypnotiseur-magnétiseur. Étrangement, j'ai eu très souvent l'occasion de croiser des hypnotiseurs férus de magnétisme et de techniques énergétiques. Je dis « étrangement » car l'hypnose telle que je la conçois embrasse assez difficilement ce type de croyance, et c'est précisément l'objet de ce témoignage.

(parenthèse visant à expliquer pourquoi ce lien entre magnétisme et hypnose et pouvant ne pas être lue par ceux qui auront lu l'article précédent sur l'origine de l'hypnose moderne...
Un petit rappel pour les profanes : aujourd'hui, l'hypnotisme se présente globalement comme un art de manipuler les langages et les représentations pour inciter des comportements spécifiques et des états transitoires de dépersonnification partielle ou totale, appelés transes hypnotiques. On pourrait débattre pendant plusieurs vies de chacun des termes de cette définition très simpliste, mais remettons cette discussion à plus tard. Je poursuis... Pour aboutir à cette véritable psychologie appliquée par les développements linguistiques et comportementaux, l'histoire de l'hypnose est partie d'un phénomène aussi courant que fascinant : la transe magique. Les pratiques chamaniques, spirites, les sorcelleries et médiumnités de toutes sortes, quand elles ne se contentaient pas d'un jeu d'acteur, consistaient à provoquer chez un individu un état temporairement troublé de sa personnalité (pouvant aller jusqu'à se croire quelqu'un d'autre), et accompagné de tout un ensemble de distorsions de la perception (hallucinations, perception modifiée du temps, amnésies, hypersensibilité à certains stimuli, etc...). Ces phénomènes pratiqués dans les campagnes comme dans un spiritisme mondain naissant, et montrés dans les foires avaient tous cette même caractéristique de la transe mais provoquée et guidée de façon très diverses, par des rituels et des récits très différents, et des explications extrêmement variées. Au XVIIIe siècle, des personnes éduquées, médecins ou non, se sont intéressés à cette possibilité de créer un rituel permettant d'inciter un comportement de transe, voire un « état » de transe chez un individu. Deux idées sous-tendent cet intérêt : a) l'hystérie pourrait être de nature semblable à la transe et la transe pourrait fournir un éclairage précieux sur l'hystérie ; b) les sujets en transe semble montrer des signes de rémission à certains symptômes physiques ou mentaux pendant ou après la transe (les miracles, guérisons ?)
Un des premiers à s'intéresser à cela, Mesmer, a élaboré une explication de l'émergence d'un état de transe chez une personne sous l'influence d'une autre par l'idée d'un fluide magnétique communiqué de l'un à l'autre. Mais au même moment, ses détracteurs pressentirent que la mise en scène de ces pratiques magnétiques n'était autre qu'une manipulation spectaculaire pour inciter ces âmes crédules ou complaisantes à se comporter d'une telle manière. Et c'est ainsi que, malgré la persistance d'études sur le magnétisme en hypnose jusqu'au début du Xxe siècle, la recherche dans ce domaine s'est rapidement orientée vers l'idée de « simuler » des rituels et des manipulations pour obtenir le même résultat que les pratiques magiques, mais sans magie, et ainsi comprendre les mécanismes psychologiques et linguistiques en jeu, les formaliser et les maîtriser. Sans arriver à une reproductibilité et une rigueur qui en fasse une science, l'hypnose est devenue la discipline sérieuse et efficace (qui est devenue ensuite la psychothérapie) qu'on connaît aujourd'hui, et qu'on pourrait qualifier de « science humaine » pour sa partie théorique.
fin de la parenthèse historique. Ce petit rappel est assez redondant mais nécessaire pour comprendre de quoi il est question ici.)

Car voilà, c'est cette hypnose-ci qui me fascine et me passionne : celle qui nous offre de comprendre comment un certain langage (la suggestion) des mots et du corps, élaboré et raffiné, utilisé dans une interaction intelligente et complexe, permet d'inciter un individu à une altération temporaire de son mode de réponse aux stimuli, de certains comportements automatiques, de sa perception, et qui offre des perspectives formidables.... C'est l'hypnose sous sa forme actuelle.
Et à mon sens, considérer que l'hypnose est le produit d'un fluide magnétique n'est pas une option acceptable en l'état. Certains revendiquent la liberté de croire cela. Mais si je crois qu'il s'agit d'une erreur, je ne peux pas trouver normal qu'on se trompe. On ne peut pas plus choisir d'être un hypnotiseur « fluidiste » ou « linguistique » qu'on ne peut désormais choisir de croire que la terre est ou plate ou ronde. Ce n'est pas « au choix ». 
Je ne dis pas que le magnétisme et les énergies (pas ceux de la physique mais ceux de ce type de pratiques) n'existent pas. Je dis juste qu'il me semble étrange que certains hypnotiseurs, disposant d'un outil de compréhension des mécanismes de suggestion et d'autosuggestion ne fassent pas preuve de plus de réserve quant à ce type d'explications. Je ne dis pas non plus qu'ils sont moins compétents que les autres, bien au contraire, ni qu'il n'est pas possible pour eux de pratiquer cela. Je questionne simplement leur conviction et leur discours. 

L'hypnotiseur est celui qui mieux que quiconque comprend comment la mise en scène, les rituels, le jeu des croyances et des valeurs, le jeu d'acteur, la communication verbale et non verbale sont autant d'éléments maîtrisés par les vendeurs de miracles de tous poils dont les discours pseudo-scientifiques n'ont qu'une valeur suggestive en vue d'un résultat. Il est normal pour un magnétiseur de croire fermement à sa théorie. Mais pour un hypnotiseur, qui saurait reproduire sans magnétisme des résultats identiques, il n'est plus possible de croire aveuglément. Il n'est pas question de « nier » les choses mais d'adopter l'attitude que l'on nomme « scepticisme » et qui consiste à refuser de croire ou de ne pas croire tant que rien ne montre clairement et objectivement que cette explication est la seule possible. Et il refusera, l'hypnotiseur, qu'une simple démonstration suffise à accepter la théorie qui est présentée derrière.
L'hypnotiseur a le droit d'avoir ses croyances propres. Elles lui sont même absolument nécessaires. Cependant, la connaissance de l'hypnose d'aujourd'hui ne me semble pas offrir beaucoup de place à la crédulité quant à certaines explications magiques de phénomènes psycho-linguistiques.

Après que ce monsieur s'est présenté, j'engage la conversation sur ce terrain. Je lui demande comment il concilie la double étiquette d'être hypnotiseur et magnétiseur. Il me répond que pour lui, c'est une seule et même chose. Je lui demande alors pourquoi deux noms, mais il ne semble pas relever mon sarcasme. Il me fournit une explication assez abstraite dont je n'ai pas compris toute la logique. Alors j'ai eu une révélation effrayante : mon interlocuteur me parlait comme si c'était une évidence absolue que je croyais moi aussi à l'existence du fluide magnétique et des énergies. Bien souvent, dans ce milieu les gens s'adressent à vous en présupposant que vous partagez leurs croyances, même les plus farfelues. (Je reviendrai prochainement sur cela).
Je n'entre pas dans la contradiction et je lui demande simplement des précisions techniques sur la façon dont il pratique le magnétisme. Il m'explique sa pratique d'imposition des mains à quelques centimètres du corps, en ajoutant un pot-pourri de discours énergétiques yogi, chinois, occidentaux, ésotériques et autres réki sans aucun scrupule. Je ne le questionne alors que sur les aspects techniques. Puis je lui demande « Toi qui connais l'hypnose, est-ce que tu penses que, sans utiliser le magnétisme mais simplement la suggestion, on pourrait imiter si bien toutes ces techniques que la personne vivrait exactement la même expérience et montrerait les même progrès ? ». Il m'a dit que ça lui semblait absolument possible. Évidemment, je lui ai demandé, dans ces circonstances ce qui lui permettait à lui même d'être sûr qu'il s'agit bien de magnétisme et non pas d'une façon hypnotique de s'en convaincre lui et son client. Que son client puisse être dupé lui semble réaliste. Mais que lui ne sache pas discerné l'illusion de la réalité, cette hypothèse a semblé le vexer profondément, et son attitude s'est soudain passionnée.
Je lui ai bien précisé que je n'avais rien contre l'utilisation d'un rituel qui marche et qui repose sur les attentes et les croyances du public (bien que personnellement, je suis enclin à la pédagogie et à la démystification et non à l'abus de confiance).
Il m'a répondu qu'il avait lui-même assisté à des choses et ressentis des énergies qui ne laissent aucun doute. Il m'a expliqué que c'était normal que je ne sois pas convaincu tant que je n'ai pas vécu de telles « preuves ». Et caetera. J'ai compris que, devant de tels arguments, liés au vécu subjectif, aucune discussion « ouverte » ne sera vraiment possible. Le scepticisme est une attitude ouverte et tolérante puisqu'elle questionne et refuse de s'enfermer dans une réponse à l'exclusion d'une autre tant qu'une réponse n'a pas exclu l'autre par l'épreuve de tests toujours plus pointilleux. Or, j'ai rencontré beaucoup de pratiques énergétiques. J'ai vu, expérimenté, subit, observé, servi de cobaye à beaucoup d'exercices du magnétisme. Et je n'ai jamais rien ressenti, ni vécu, ni vu qui pose de réelles questions. En tout cas, rien qu'on ne puisse questionner autrement. D'où le fait que je demeure dans cette attitude curieuse, ouverte et interrogative qu'est l'attitude sceptique.
Avec ce cher monsieur, nous avons parlé de beaucoup de choses. Et tout toujours revenait à sa croyance magique et à son pot-pourri théorique. Tout dans le monde semblait « prouver à l'évidence » que tout cela était « logique et vrai ». A mes yeux, rien ne semblait plus s'éloigner mot après mot de la clarté et de la vérité.
Alors, j'ai expliqué à ce monsieur qu'il n'avait pas à chercher à me convaincre pour me plaire. Je ne choisis pas mes amis parmi les gens avec qui je suis d'accord sur tout, bien au contraire. Et pour lui prouver, j'allais lui dire ce qu'est pour moi un « hypnotiseur-magnétiseur ». Je lui ai précisé que je n'espérais pas qu'il soit d'accord. Pour moi, c'est absolument comme un prestidigitateur qui travaille depuis des années un tour de carte. Pour faire disparaître une carte, il apprend les rouages, les mouvements, les façons d'orienter l'attention du public, de le tromper, de créer l'illusion. Il connaît les coulisses du tour, les mécanismes, les trucs. Mais il l'enrobe d'un récit propre à emporter son public loin de la mécanique, dans une autre réalité. Puis il est face à son public et débite son récit. Et il la trouve si belle, sa légende, qu'il s'y laisse prendre. Il fait disparaître la carte et... il ne comprend pas comment c'est possible, il est plus étonné que son public lui-même. La carte a disparu et pour lui, c'est de la pure magie, de la vraie magie, un miracle. Lui, le prestidigitateur ne voit plus « derrière la magie », il s'y laisse prendre. Il est l’illusionniste et tout à la fois l'illusionné. L'espace d'un instant, ce trouble a son charme. Mais s'il persiste, comment peut-il continuer de faire si bien semblant ? Il est son propre public. Mais comment progressera-t-il ?
Mon collègue et ami que je retrouvais ce jour-là et qui était venu accompagné d'un hypnotiseur-magnétiseur s'est étonné que je sois si « fermé sur la question ». N'est-ce pas parfaitement paradoxal ? Je lui ai demandé si « être ouvert à la question » signifiait « adhérer sans soupçon » ? Il m'a répondu : « Il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas encore, admets-le ». Mais j'ai renoncé à lui démontrer que cette phrase allait précisément dans le sens de ma réserve. Alors je lui ai répondu : « La prochaine fois que ton fils te dira que 2+2=5, réponds-lui que c'est possible, que tu ne sais pas encore. Après tout, il a le droit de choisir de croire cela, non? »
Est venue l'heure du dessert. Changement de sujet. Nous avons parlé de tout et de rien, de beaucoup de choses très peu sérieuses et en riant un peu trop fort au goût du jeune couple de la table d'à-côté. Puis, le café. Voilà un déjeuner comme je les aime.

Le « big bang » de l’hypnose moderne et de la psychothérapie en quelques mots.

Texte disponible sur www.hypno-paris.fr
Avant d’intéresser le corps médical, la psychologie était une branche de la philosophie qui spéculait intellectuellement sur l’âme, sa réalité, sa nature, ses attributs, etc... Les psychiatres, pour leur part, étudiaient le cerveau comme organe et le système nerveux de façon expérimentale : c’était l'approche physiologique. Quelques grands médecins physiologues du XVIIIe et du XIXe siècle, après avoir assisté à des spectacles d’hypnose donnés par des magnétiseurs de foire, ont considéré que les phénomènes mentaux manipulés par ces hommes de spectacles étaient d’un intérêt certain pour l’étude du système nerveux humain et pour la cure psychiatrique. L'autrichien Franz-Anton Mesmer le premier détourna ce type de représentations artistiques dans un but curatif. Les auteurs se disputèrent déjà sur la réalité du magnétisme (le terme d’hypnose n’était pas encore inventé, et on utilisait encore le terme de magnétisme issu de l’explication fluidiste dominante dans les milieux magiques dont on tirait l’hypnose et dans les milieux scientifiques qui l’étudiaient) : est-ce la conviction du sujet qui agit ou bien un fluide réel ? Une commission royale étudia le Mesmerisme et en fit une critique qui est certainement l’origine moderne de la psychologie et une émergence de l’idée de suggestion : la personnalité du magnétiseur, le contexte, les croyances sociales agissent sur l’imagination des sujets pour les inviter à provoquer en eux-mêmes les conditions physiologiques de la transe si fortement attendue par eux et par le médecin. Mesmer et les discussions qu’il a suscitées furent le « big bang » de l’hypnose et de la psychothérapie en général.
Les éminents médecins qui pratiquèrent le « magnétisme animal », puis, « l’hypnotisme » selon la nouvelle appellation inventée par Henin de Cuvillers en 1820 afin de coller mieux à l’idée de sommeil partiel, commencèrent, sous l’influence de cette nouvelle pratique qui leur ouvrait une nouvelle perspective intellectuelle, à considérer la question de l’imagination, de la pensée et du langage dans l’interaction hypnotique et dans la cure mentale : cet « esprit » qui n’intéressait que les philosophes devint un objet d’étude concret à travers les mécanismes de l’hypnotisme. La psychologie passait du domaine de la métaphysique à celui de la médecine pour aboutir à une nouvelle pratique : la psychothérapie (terme inventé par lemédecin spécialiste de l'hypnose Bernheim au XIXème siècle).
Depuis cette époque, seuls les médecins se sont intéressés à l’outil hypnotique d’un point de vue rigoureux et ont cherché sérieusement à le comprendre et à le maîtriser. Ces psychiatres inscrits dans des problématiques centrés sur la maladie mentale, la psychose et la névrose ont cantonné l’hypnose au champ délicat de la psychiatrie tandis qu’à son extrême opposé, les magnétiseurs de foire continuaient d’en donner une vision volontairement mystifiée et dramatisée.
Avant Freud, l’hypnose était la seule pratique psychothérapeutique et partageait avec la physiologie l’intérêt des psychiatres. Freud fut très impressionné par la sensualité latente et parfois vive qu’il percevait entre lui et les patientes dans la relation hypnotique. Découvrant à travers l’hypnose les phénomènes des transfert et de contre-transfert, il préféra créer une distance thérapeutique en pensant autrement la méthodologie de la cure psychologique et inventa la psychanalyse. Bien qu’il donnait la primauté à son invention, il exprima le souhait qu’hypnose et psychanalyse puisse trouver une façon de s’apporter mutuellement leurs qualités thérapeutiques à l’intérieur d’une forme complète de thérapie. Après Freud, l’hypnose intégrera de plus en plus l’idée de prise de conscience curative, l’idée d’introspection et de recherche des origines du symptôme et de sa fonction, et donnera une importance particulière au rapport entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé, c’est-à-dire à l’utilisation et à la canalisation du transfert. La psychanalyse, pour sa part, sembla évoluer contre l’hypnose à qui elle devait tant, et ignora ses progrès en grande partie.
Désormais la psychologie offrait aux psychiatres deux alternatives à la physiologie et à la chimie : la psychothérapie (hypnose) et la psychanalyse.
Par la suite, l’intérêt croissant pour la suggestion et l’impopularité nouvelle de l’hypnose en France qui suivit le décès du professeur Charcot, chef de file de l'école de la Salpétrière, poussèrent la psychothérapie à négliger les états de conscience modifiés pour s’intéresser aux pures mécanismes de pensée et de comportement et aux interactions sans transe hypnotique entre le psychothérapeute et le patient dans le traitement psychosomatique.
Le développement hors de la médecine de la psychologie expérimentale, de la psychologie sociale, des neurosciences, du comportementalisme et du cognitivisme firent du vingtième siècle une époque très riche en progrès de toutes sortes, bien que, dans l’opinion publique, la philosophie psychanalytique, pourtant teintée d’un romantisme désuet, resta plus séduisante et s’imposa comme référence de compréhension des relations et de cure psychologique.