lundi 13 février 2012

De la distraction à l'hypnose... et vice versa...

 Un drôle de pickpocket dans les règles de l'art.

Index des parties :
Qu'est-ce que la distraction ?
L'art de faire diversion et l'art de la suggestion.
De la distraction à l'hypnose...
Hypnotiser.
La qualité de l'hypnose.
Hypnotiser rapidement.
L'hypnose est un phénomène naturel mais PAS quotidien.
L'hypnose sans transe. La confusion entre distraction, suggestion et hypnose.
Obtenir les mêmes phénomènes par la distraction et par l'hypnose.
L'anesthésie par distraction et l'anesthésie hypnotique dans l'exercice médical.
Pour conclure...

Qu'est-ce que la distraction ?

Il est un phénomène très banal et pourtant extraordinaire quasiment indissociable du thème de l'inconscient, et c'est... la distraction. Elle est un thème plus que classique de la psychologie expérimentale. Mais qu'est-ce vraiment que la distraction ? En quelque sorte, le pendant de la concentration.
Lorsqu'on est concentré sur quelque chose, on est distrait de toutes les autres. Et inversement. Le cancre qui rêvasse à ses dernières vacances au fond de la classe : pour le professeur, il est un élève distrait, car il n'est pas concentré sur la leçon. Mais de son point de vue, le cancre a sûrement l'impression d'être parfaitement capable de se concentrer... sur ses souvenirs de vacances. Tellement concentré qu'il n'entend même plus son professeur. A peine un flot inintelligible de mots, un bourdonnement de fond. Et seulement quand le maître répète son prénom, le cancre est tiré de ses souvenirs, et son attention est violemment forcée à revenir dans la triste réalité de sa salle de classe.

La plupart des techniques de prestidigitation sont de pures techniques de distraction. Tandis que le magicien attire d'une façon ou d'une autre votre regard (et votre attention) vers sa main gauche, vous êtes trop distrait pour voir qu'il intervertit des cartes de sa main droite.

La conscience ne peut pas tout-à-fait se porter sur plusieurs choses à la fois, sauf à passer très rapidement de l'une à l'autre. Mais lorsqu'une une tâche nous demande beaucoup d'attention, il est très difficile de surveiller autre chose en même temps. Est-ce que, pour autant, on arrête de faire les choses, de les percevoir ? La plupart du temps, non. Quand nous n'y faisons plus attention, tout ce qui peut se faire automatiquement (parce que c'est très facile, ou parce qu'on a l'habitude de le faire) se fait automatiquement. Comme notre conscience se porte alors sur autre chose, on oublie qu'on le fait, et pourtant on continue de le faire, c'est pourquoi on dit qu'on le fait « inconsciemment ».
Par exemple, vous conduisez. Et votre passager entame une conversation passionnante qui vous captive totalement. Si vous êtes un conducteur expérimenté, vous allez continuer de conduire normalement, de vous adapter aux situations, de doubler des voitures, de surveiller vos rétro-viseurs, de façon parfaitement automatique, sans y prêter attention. Parfois, une petite attention pour être vraiment sûr, mais guère plus. Une petite vérification en passant. Si on vous demande combien de véhicules vous avez dépassé, et de quelles couleurs, vous serez incapable de le dire. Tout ce dont vous vous souvenez, c'est de cette conversation passionnante. Votre cerveau et votre corps n'ont alors plus besoin depuis longtemps que vous soyez concentrés sur votre conduite pour conduire parfaitement.
Qu'est-ce à dire ? La concentration, c'est le domaine de la conscience. La distraction, c'est l'immense champ de l'inconscient. Ce que je n'écoute pas, je l'entends quand même. Et je perçois énormément plus d'informations que je ne le sais. C'est tout le champ du subliminal.
Et c'est comme cela qu'on a décrit les phénomènes naturels de la distraction dont voici quelques exemples :
  • la catalepsie : rigidité naturelle du corps qui permet de maintenir longtemps une position inconfortable sans se fatiguer. Imaginez que vous êtes à la terrasse d'un café. Vous amenez votre tasse à la bouche pour boire lorsque...Paf ! Une voiture en percute une autre un peu plus loin dans la rue. Les gens s'agitent et vous observez la scène, médusé, surpris. Votre bras reste suspendu en l'air aussi longtemps que cet accident accapare toute votre attention, et vous distrait de tout le reste. Puis lorsque vous reprenez des mouvements et des pensées plus libres, vous continuez de boire comme si de rien n'était. Pendant que vous étiez parfaitement captivé par la scène, tout votre corps était dans une catalepsie temporaire et naturelle.
  • L'hallucination négative : ne pas voir, entendre, sentir, ou percevoir quelque chose qui est pourtant présent. On pourrait citer à nouveau l'exemple du cancre qui pense à ses dernières vacances avec une telle intensité qu'il n'entend plus la voix de son professeur. Ou bien au contraire, un professeur passionnant vous captive pas son cours magistral dans tous les sens du terme. Et vous oubliez littéralement que votre siège est très inconfortable, qu'il fait un froid sibérien dans la salle, et vous n'entendez même plus les deux pipelettes papoter derrière vous.
  • L'anesthésie : c'est l'hallucination négative des sensations. Lorsque vous enfilez vos vêtements le matin, à moins que ceux-ci vous grattent, vous en faites instantanément une hallucination négative, vous les oubliez, pour toute la journée, car tout vous distrait de cette information si peu importante.
  • L'analgésie : c'est le fait de percevoir moins fortement ou plus du tout une douleur. A moins qu'elle soit très vive, la plupart des douleurs ne sont pas perçues en continu mais juste quand on y fait attention. Bout-à-bout, les moments où on a prêté attention à la douleur ne constitueraient souvent qu'une petite partie de la journée. Et pourtant, on a parfois l'impression après coup d' « avoir eu mal toute la journée », une illusion de continuité. De la même façon, la meilleure façon d'aider un ami qui a une douleur, ça n'est pas de lui en parler pour lui dire que « ça n'est pas grave », mais de l'en divertir, de lui faire penser à autre chose, et à des choses qui captivent tellement bien son attention qu'il en oublie, l'espace d'un long instant, cette satanée douleur.
  • L'attention sélective : certaines informations peuvent venir rompre même temporairement la distraction. Le cancre, malgré la profondeur de sa rêverie, sera ramené à la réalité s'il entend son prénom, ou un mot qui n'est pas cohérent avec le langage de son professeur (les professeurs savent qu'employer un terme grossier ou ayant un double sens impudique permet de récupérer l'attention des élèves), ou bien s'il entend un silence trop long dans la classe (il se demandera si on ne vient pas de l'interroger lui). De la même façon, vous êtes en conversation avec un ami dans un café. Et la conversation du couple derrière ne vous intéresse pas plus que cela. Et pourtant certains mots « ressortent », attirent votre attention régulièrement. Et tout se passe comme si il prononçaient une bouillie de mots incompréhensibles avec, de temps en temps, un mot clair et frappant. Il y a fort à parier que vous perdiez temporairement le fil de la conversation avec votre ami. Et pourtant, tout comme le conducteur continue de conduire, vous continuerez sûrement de montrer touts les signes d'une écoute active et d'approuver ce qu'il dit, même si votre allure sera assez mécanique et pas très vive. Espérons juste qu'il ne vous sorte pas un « Qu'est-ce que tu en penses ? » à ce moment précis.
  • L'amnésie : il est déjà difficile de se souvenir dans le détail des choses auxquelles ont prête attention, alors les choses dont on n'a pas conscience sont d'autant plus difficiles à retrouver dans notre mémoire. Et pourtant, le cancre à qui le professeur demandera « Répétez ce que je viens de dire » pourra sûrement « rembobiner » les dernières phrases, stockées dans une mémoire à très court terme, et les répéter comme s'il avait été attentif.
  • Le souvenir caché : une information qui n'était pas accessible lorsque vous essayiez de vous en souvenir volontairement, avec concentration, vous revient en mémoire au moment où vous vous y attendez le moins, où vous êtes le plus distrait par rapport à cela. Vous avez le nom de cet acteur sur le bout de la langue, celui qui joue le méchant dans le dernier James Bond, mais impossible de vous en souvenir, plus vous essayez et plus il vous échappe, il glisse, insaisissable, comme la savonnette dans la baignoire. Et puis vous passez à autre chose, et au bout d'un certain temps... hop, le nom vous revient.
  • Les réponses automatiques : ce sont des réactions réflexes à des situations. Vous avez une conversation passionnante avec un ami. Sans s'interrompre, il vous propose un verre. Vous lui répondez spontanément « non, merci », entre deux phrases. Et puis vous vous reprenez en disant « mais en fait, si avec plaisir, je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça ». Vous étiez si distrait par la conversation que vous avez géré la situation par un réflexe social qui est de refuser poliment cette offre (ou l'inverse). De la même façon, si quelqu'un vous parle mais que vous avez un peu « décroché » de la conversation, et qu'il vous jette un « n'est-ce pas ? » à la figure, vous aurez très certainement le réflexe de répondre « oui », du moins avec la tête, avant de réfléchir pour vous reprendre si nécessaire.
  • La suggestion subliminale : c'est une information qui est perçue par les sens, et traitée par le cerveau mais sans qu'on s'en rende compte, si bien qu'on peut y répondre sans savoir pourquoi on le fait. Reprenons la conversation avec un ami dans le café et le couple qui discute derrière. Certains mots de ce couple vous « parlent » et pourtant vous n'y faites pas attention. Mais vos oreilles les entendent, et... hop, alors que vous parlez à votre ami, vous utilisez sans le savoir un mot de leur conversation. Vous bifurquez sur un thème dont ils sont en train de parler. Et vous êtes sûr que c'est juste parce que vous y pensez. De même, vous faites vos courses dans un magasin, et vous vous demandez quelle lessive vous allez acheter. Vous ne prêtez aucune attention à la publicité dans le fond sonore pour une barre chocolatée. Mais après un moment, vous avez bien envie de vous faire plaisir en achetant une barre chocolatée de cette marque, sans savoir vraiment d'où vous vient cette envie. Lorsqu'une information est perçue dans le domaine de la distraction et non de l'attention, il est plus évident qu'elle trouve une réponse inconsciente.
  • L'apprentissage naturel : le cerveau apprend des choses nouvelles, des réactions et des compréhensions nouvelles sans même qu'on ait besoin de faire l'effort de les apprendre. C'est ce qui se passe quand un enfant apprend naturellement sa langue maternelle. Il continue de l'apprendre à tout moment, même lorsqu'il joue près d'un groupe d'adulte qui discute. Ses oreilles entendent les mots, les phrases, les intonations, les interactions, les façons d’argumenter, les façons de penser des adultes. Et son cerveau prend modèle directement sur tous ces exemples plus ou moins bons pour forger ce qui constituera plus tard la façon de penser et de s'exprimer de cet individu. Et bien, lorsqu'on est distrait, le cerveau reçoit très directement des informations qu'il est capable de transformer en apprentissage.
  • Le conditionnement et le déconditionnement : c'est la même chose que l'apprentissage inconscient, mais un apprentissage spécifique. Une réaction s’associe à un déclencheur de façon automatique. Lorsque j'entends mon prénom prononcé dans la rue, je me retourne immédiatement, par réflexe. Mon prénom est conditionné à un réflexe de vigilance. Prenons un autre exemple : je veux apprendre à me détendre avant de m'endormir. J'essaie volontairement d'être calme et détendu à chaque fois que je m'allonge dans mon lit. Je veux que cela devienne un réflexe, que je me détendre automatiquement aussitôt que je m'allonge dans le lit. Il est possible que, au bout d'un moment, ça finisse par fonctionner. Mais il existe une autre façon, plus rapide de procéder. Au lieu de chercher à me détendre, à chaque fois que je me mets au lit, je me plonge totalement dans la lecture d'un roman que j'adore et qui me détend et me calme, par exemple. Dans le champ de l'inconscient, mon cerveau enregistre que le lit est toujours accompagné de détente, il « croit » qu'il y a un lien entre les deux et fabrique ce lien. Il construit un automatisme, un réflexe conditionné. Ainsi, sans même m'en rendre compte, entrer dans mon lit s'accompagnera automatiquement d'un sentiment de détente et de calme. Et lorsque, durant la journée, j'aurai une raison d'être stressé, je penserai peut-être à mon lit en me disant que ça serait si bien de pouvoir m'y allonger, dans cet endroit où je me sens si calme et détendu. Et je ne comprendrai pas forcément que c'est ce livre passionnant qui a produit cet effet. Le conditionnement comme le déconditionnement sont des phénomènes naturels qui se produisent très rapidement et fortement quand ils sont involontaires. Quand ils sont volontaires, ils demandent beaucoup plus de répétition et d'effort. C'est pourquoi la distraction permet un apprentissage inconscient et des changements de réflexe très naturels et très rapides.

Et ce ne sont que des exemples. Il existe bien d'autres phénomènes liés à la distraction.


L'art de faire diversion et l'art de la suggestion.

La distraction est un fonctionnement naturel et les phénomènes qui y sont liés nous sont parfaitement familiers et quotidiens. Certains, pourtant, ont cherché à provoquer ces phénomènes en dirigeant sciemment l'attention.
La distraction intéresse en premier lieu les psychologues depuis le XIXe siècle au moins. Et bien d'autres professions se sont penchés de très près sur ce principe pour en faire un véritable « art de distraire ». Comme nous l'avons dit déjà, les magiciens en sont sûrement les plus anciens et les plus grands maîtres. Mais plus récemment, Les psychologues se sont rapidement rendu compte qu'il était possible de communiquer littéralement avec l'inconscient d'une personne à l'intérieur du champ de la distraction. Ils ont développé des suggestions cachées, un langage à double sens (conscient-inconscient), notamment à travers les métaphores, les associations d'idées, le langage non verbal et les suggestions indirectes. Le but est d'envoyer des messages à l'inconscient d'une personne et de recevoir des réponses sans que la personne, à un niveau conscient, ne se rende compte de cette conversation parallèle. Par exemple, si un ami est triste, je peux lui demander s'il préférerai aller avec moi à la fête foraine ou aller voir un film comique passionnant au cinéma. Il est alors concentré sur le choix à faire et sur chacune des alternatives, et ne se rend pas compte que l'une et l'autre présupposent le plaisir et la joie. Le message à sont conscient, c'est que je ne sais pas choisir tout seul et qu'il doit m'aider à choisir. Le message à son inconscient, c'est qu'on remplacera la tristesse par la joie et le plaisir. Évidemment, c'est un exemple un peu basique mais qui permet de comprendre une des liens entre la distraction et la suggestion indirecte. Il en existe encore beaucoup.
Ces méthodes de communication à double niveau ont été reprises par les vendeurs (aujourd'hui appelés « commerciaux ») et aussi les politiciens. Les publicitaires ont également compris tout l'enjeu du subliminal et de communiquer les informations directement à l'inconscient sans passer par la conscience. Notamment grâce aux recherches privées financées par les grandes marques, ils ont fait progresser de façon importante la connaissance dans ce domaine. On a vu également se développer des séminaires où l'on enseigne par exemple des « techniques de séduction » basées sur les phénomènes de la distraction, des techniques de « communication efficace », etc...
L'idée est toujours plus ou moins la même : diriger l'attention d'une personne et la garder assez longtemps distraite/concentrée pour lui adresser des suggestions subliminales ou pour stimuler des réponses automatiques et des comportements inconscients.


De la distraction à l'hypnose...

Quel rapport, me direz-vous, avec l'hypnose ?
Et bien l'hypnose est une réaction naturelle qui se produit chez une personne quand sa concentration est si longtemps et/ou si intensivement maintenue sur quelque chose qu'elle entre dans un état très particulier ou le phénomène devient stable et permanent. En gros, l'hypnose, c'est une concentration qu'on ne peut plus distraire. Cet état s'appelle une dissociation.
Reprenons notre exemple de catalepsie. Normalement, ma main reste figée en l'air avec ma tasse, arrêtée sur le chemin de ma bouche, aussi longtemps que je suis absorbé par l'accident de voiture au coin de la rue. Et aussitôt que je fais à nouveau attention à mon environnement immédiat, que je me réoriente par rapport à lui, je reprends « le contrôle » de mon bras et je finis de boire ou bien je pose ma tasse. Et bien, si je développe un état d'hypnose entre temps, cela signifie que la catalepsie se sera maintenue si longtemps que je commence à me dissocier de mon corps. Mon corps, c'est déjà un peu moins « moi ». Et, une fois la distraction terminée, au lieu de « ré-intégrer » mon corps naturellement, de reprendre des mouvements normaux, je « reste bloqué un instant » dans cette dissociation. En d'autres termes, je suis resté si longtemps inattentif à mon corps qu'il a été obligé de se débrouiller tout seul et qu'il ne me laisse plus le contrôler à nouveau naturellement. On peut le comprendre. Alors je me retrouve avec une main en l'air, assez contractée pour rester figée et tenir fermement ma tasse. Si je la regarde, j'ai presque du mal à reconnaître ma main. On dirait plutôt une sorte de sculpture, posée là. Cette main qui tient la tasse, je peux la regarder et m'étonner de la voir ainsi immobile, et il me faudra quelque temps pour me dire que c'est bien « ma » main et que je peux la bouger naturellement. Il y a un retard entre le fait d'observer et le fait de reprendre le contrôle. Je suis devenu spectateur de moi-même et non plus acteur : c'est la dissociation. C'est parfois ce qu'on ressent lorsqu'on on met du temps à se réveiller le matin ou encore lorsque notre corps fait quelque chose automatiquement, par réflexe ou par habitude. On devient spectateur de ce qu'on fait et on est « en retard » sur ce qui se passe.
Et bien c'est ce retard plus ou moins long qui constitue ce qu'on appelle l' « hypnose », ou du moins son début. C'est aussi ce qui se produit sous l'effet de certaines substances dissociatives comme l'alcool ou certaines drogues. On se regarde agir. En hypnose, on se regarde plutôt « ne pas agir » car l'hypnose, si on la laisse se faire naturellement, se caractérise en général par une grande paresse et une grande économie de mouvements et d'interactions avec l'extérieur. Bref, on se coupe plus ou moins de ses interactions habituelles avec l’extérieur. Et le moment où l'on habite à nouveau son corps, son espace, son environnement, son instant, le moment où l'on redevient l'acteur complet de soi-même, c'est le moment où l'on se réveille de l'hypnose. Et lorsque je vois ma main ainsi suspendue en l'air mais que je ne suis plus que spectateur, je peux décider d'en reprendre le contrôle, ou bien décider de la laisser comme ça. Et alors, la main pourra rester suspendue ainsi très longtemps.
A ce moment là, et à ce moment là seulement, la catalepsie, phénomène naturel de la distraction devient ce qu'on appelle un « phénomène hypnotique ». En résumé, L'hypnose est une concentration stable, qui se maintient d'elle-même.


Hypnotiser.

Un des clichés de l'hypnose, c'est la méthode traditionnelle consistant à faire fixer à une personne un objet, brillant de préférence, ou un pendule, ou les yeux. Prenons l'exemple du pendule. L'hypnotiseur répète au « sujet » qu'il ne voit que le pendule, et qu'il ne peut voir que le pendule, et n'entendre que sa voix. Le champ de l'attention est donc très restreint. En effet, tant que la personne reste concentrée, elle ne fait plus attention à ce qu'il y a autour, ni aux autres sons. Il n'existe pour elle qu'un pendule à voir, et qu'une voix à entendre. Mais si l'hypnotiseur passe trop rapidement à autre chose, ou s’interrompt trop vite, il y a fort à parier que la personne fera à nouveau un usage libre de son attention : il pourra voir d'autres choses autour de lui et pourra entendre d'autres sons.
Par contre, si l'hypnotiseur insiste assez longtemps et de façon assez convaincante, il se passera un moment particulier où se développera une « transe hypnotique », c'est-à-dire que les fonctions et les perceptions restées longtemps inutiles et inhibées s'endormiront en quelque sorte et ne se réveilleront que lorsque l'hypnotiseur le demandera. L'état de sur-concentration deviendra stable. Cela signifie que l'hypnotiseur pourra demander au sujet de regarder autour de lui ; et pourtant, il ne verra rien, car la seule chose qu'il peut voir c'est le pendule. La personne est devenue littéralement aveugle de tout, sauf du pendule. Seul l'hypnotiseur pourra l'autoriser à voir telle ou telle chose en les citant précisément. L'hypnotiseur pourra lui demander ce qu'il entend ; et même si un orchestre joue à côté, même si une meute de chien aboie autour de lui, il répondra qu'il n'entend que la voix de l'hypnotiseur. Il est devenu sourd, de cette surdité toute sélective qui lui permet tout de même d'entendre la « voix de son maître » (ce que Ivan Pavlov appelle le « point vigile »). Plus besoin de « distraire » la personne pour que le phénomène naturel se maintienne. Le phénomène provoqué est devenu stable. L'hypnotiseur pourra attirer l'attention d'une personne sur l'immobilité de son corps ; et pourtant cette personne pourra observer et constater avec amusement cette immobilité sans pour autant pouvoir bouger à nouveau le corps. C'est la paralysie hypnotique, étonnamment confortable et agréable parce qu'elle s'accompagne en général, comme nous l'avons dit, d'une grande paresse intérieure.
Une autre méthode pour provoquer l'hypnose (parmi des milliers) consiste à inciter une personne à penser à une scène, ou simplement un lieu. Il peut s'agir d'un souvenir ou de quelque chose de purement imaginaire. L'hypnotiseur l'incite à s'y plonger avec tellement de détail que l'attention est toute accaparée par cette expérience de l'imagination. La personne en oublie temporairement ce qu'il y a autour d'elle, ici et maintenant. Tout comme le cancre plongé dans son souvenir de vacances. Naturellement, cet oubli devrait être temporaire. Mais l'hypnotiseur veillera à maintenir la concentration de la personne jusqu'au moment où se produit ce « blocage » qu'est l'hypnose, cette stabilité. Dans l'hypnose, cet oubli de tout ce qui n'est pas l'imagination devient alors durable et solide. La personne est totalement plongée dans son rêve. Vous pouvez alors faire autant de « perturbation » que vous voulez autour d'elle, crier, jouer de la trompette, l'appeler par son nom etc... et pourtant rien ne la distraira de son rêve. Toutefois, celui qui l'y a conduit (l'hypnotiseur) peut l'inviter à en sortir complètement et de la façon la plus agréable possible par une méthode qu'il connaît.


La qualité de l'hypnose.

Évidemment, cette stabilité est relative : la transe hypnotique varie en qualité. Dans le meilleur des cas, le phénomène hypnotique se poursuivra même si on laisse la personne seule pendant des heures dans une pièce ou qu'on tente de la perturber. Dans d'autres cas, un certain temps sans être encouragée par de nouvelles suggestions de l'hypnotiseur, ou un certain niveau de perturbations ambiantes ramèneront la personne naturellement à se contrôler et à se réveiller. Dans tous les cas, toute personne finit toujours par se réveiller, ou d'elle-même, ou parce qu'on l'y invite.

Pour que la personne reste « bloquée » dans sa concentration, on peut la maintenir longtemps et intensément concentrée jusqu'à que la dissociation se fasse toute seule et s'approfondisse. Reprenons l'exemple du pendule. On peut faire fixer le pendule très longtemps, jusqu'à ce que l'hypnose se développe d'elle -même. Chez certaines personnes ça prendra quelques minutes, chez d'autres des heures. Pour tester, on peut poser la main de la personne en l'air en catalepsie. Si on arrête le pendule, qu'on fait regarder sa main à la personne sans rien lui dire et qu'après un long moment elle est encore à l'observer avec curiosité sans en reprendre le contrôle, c'est qu'un bon état stable de dissociation a déjà commencé.
C'est d'ailleurs une excellente façon de provoquer soi-même sa propre hypnose : maintenez assez longtemps une concentration intense sur quoique ce soit de très précis et minutieux, que ce soit dans votre imagination ou autour de vous, jusqu'à ce que vous puissiez porter votre attention sur d'autres choses sans pour autant retrouver le contrôle total de vos perceptions, de vos pensées, et de vos mouvements. L'auto-hypnose, dans ce sens, est une démarche évidemment intéressante.


Un moment de distraction ou une douce et profonde hypnose ?

Hypnotiser rapidement.

La dissociation peut donc venir toute seule, à la longue, « à l'usure ». Mais on peut également utiliser des techniques de suggestion qui vont permettre d’accélérer le processus. On distrait et on utilise cette distraction pour « expliquer » à l'inconscient ce qu'on attend de lui, pour demander une dissociation. De cette façon, l'hypnose se fait beaucoup plus rapidement. On peut beaucoup plus rapidement obtenir cet état stable.
Illustrons cette technique par un petit exemple un peu simpliste et pas des plus subtiles mais, je l'espère, assez clair. Serrez la main d'un ami en même temps que vous le distrayez en lui posant des questions sur le dernier film qu'il est allé voir au cinéma. Il est obligé d'aller chercher dans sa mémoires des informations parfois lointaines pour vous répondre et cela occupera bien toute son attention, surtout si vous posez des questions précises avec une vraie curiosité naturelle. Pendant ce temps, au lieu de lâcher bêtement sa main après l'avoir serrée, vous commencez à la relâcher lentement tout en la faisant lentement glisser vers le haut. Distrait qu'il est, il ne s’aperçoit pas que sa main continue automatiquement le mouvement lent que vous lui avez donné. Sa main continue de monter lentement même quand vous l'avez lâchée totalement. Au moment où vous attirez son attention dessus, il devrait arrêter le mouvement et reprendre le contrôle de la main aussitôt. Mais au lieu d'attirer simplement son attention dessus, vous continuez de le regarder en lui demandant : « Qu'est-ce que tu préfères dans le cinéma, est-ce que c'est le fait d'être spectateur et de pouvoir prendre du plaisir à regarder ce qui se passe devant toi et découvrir comment ça se déroule sans pouvoir changer le cours du récit ? » Évidemment, il s'agit d'une première suggestion pour orienter sa pensée sur le plaisir qu'on a à observer les choses sans pouvoir intervenir et influencer par avance sa réaction. Vous pourrez ajouter : « Est-ce que tu as remarqué que, parfois, on croit qu'on peut reprendre les choses comme si de rien n'était, et pourtant on s’aperçoit qu'on préfère observer sans rien faire ? » Il se demandera un peu confus où vous voulez en venir et ne se doutera pas que vous venez simplement de reformuler une seconde fois la suggestion de « devenir avec plaisir observateur d'un phénomène ». A ce moment-là, ajoutez : « Par exemple, c'est curieux de laisser cette main monter tout seule, n'est-ce pas ? » A ce moment seulement vous orientez son regard vers sa main en la regardant vous-mêmes. Puis enchaînez sur un « je me demande jusqu'où elle peut monter comme ça. » Si vous éveillez aussi sa curiosité de savoir jusqu'où elle peut monter, il maintiendra naturellement cette dissociation pour le savoir. Ajoutez : « Je suis très jaloux de toi, on dit que plus la main monte haut, et plus on sent un calme profond se faire en soi ». Ça c'est une petite suggestion afin de donner un sens au phénomène, le lier au plaisir de l'expérience. En plus, votre ami aura d'autant plus envie de laisser les choses se continuer d'elles-mêmes. Après quoi, vous pouvez éprouver la stabilité du phénomène. Par exemple, le plus simplement du monde, en vous taisant. Et voyez combien de temps se passe sans que le processus ne s'interrompe. Il n'a plus besoin de vos suggestions pour se faire. Ou encore, vous lui dites : « Essaie de toutes tes forces de l’empêcher de monter pour voir ? » Et s'il n'y parvient pas en essayant sincèrement, c'est un signe de qualité supplémentaire de l'hypnose. Plus vous testerez cette stabilité, et plus vous aurez un indicateur de la qualité de l'hypnose induite. Utiliser un tel jeu de suggestions permet de provoquer cette stabilité hypnotique beaucoup plus rapidement qu'en attendant que ça se fasse tout seul.
Le temps nécessaire varie quand même en fonction des personnes et de l'habileté de l'hypnotiseur : entre quelques secondes et quelques heures. En moyenne quelques minutes. Et la qualité de stabilité de l'hypnose dépendra souvent du temps passé à bien approfondir et consolider cette dissociation.
Le résultat est le même, que ça soit immédiat ou que ça demande un entraînement plus progressif : l'inconscient prend le relais de la conscience et maintient l'état d'hypnose. En gros, au lieu de tenir la porte pour qu'elle reste ouverte, on peut mettre une cale dessous pour y passer plus aisément. Et c'est tout l'art de l'hypnose moderne que de :
  • provoquer une distraction,
  • la dissocier assez rapidement pour en faire de l'hypnose,
  • la stabiliser et l'approfondir,
  • ainsi, pouvoir y travailler librement (qu'il s'agisse de faire une démonstration, un test psychologique, d'enseigner quelque chose sous hypnose, ou le plus courant, de faire un travail thérapeutique sous hypnose).
Il existe pour cela un nombre considérable de méthodes dont certaines sont enseignées et il s'en développe quotidiennement de nouvelles.

Par la distraction et la suggestion, on peut faire de la thérapie aussi bien que par l'hypnose puisque l'inconscient est aussi bien « contacté ». La distraction demande que le thérapeute dirige en permanence l'attention du sujet et utilise des ruses de langage très subtiles pour glisser des suggestions cachées. L'hypnose permet d'obtenir un état où le champ de l'inconscient reste ouvert de façon permanente. Alors, l'hypnothérapeute peut faire le travail de thérapie directement, sans avoir à ruser ni à s'occuper de distraire continuellement la pensée consciente de la personne. Il peut se consacrer entièrement à la thérapie. Une fois la cale sous la porte il peut facilement faire entrer ou sortir des meubles volumineux, que sont les suggestions importantes de changement. S'il doit tenir la porte et l'ouvrir à chaque fois, c'est moins confortable.


L'hypnose est un phénomène naturel mais PAS quotidien.

On compare souvent l'hypnose au sommeil dans la mesure où, quand on dort, on maintient pendant de nombreuses heures et le plus naturellement du monde une dissociation complète (on est totalement coupé de l'environnement). Et on s'en réveille tout aussi naturellement pour se réorienter dans l'espace et dans le temps et « habiter à nouveau son corps » pour le restant de la journée. L'hypnose est une sorte d'échantillon de ce phénomène. Il est même étonnant de rencontrer encore des personnes sceptiques quant à l'hypnose, alors qu'elles-mêmes vivent toutes les nuits une très longue dissociation bien plus complète, avec hallucinations négatives et positives, distorsion du temps, amnésie, et encore d'autres phénomènes parmi les plus délicats à provoquer en hypnose. Tout le monde dort. Et toute personne capable de dormir est largement capable d'entrer dans un état d'hypnose.

Mais contrairement au sommeil, la transe (hypnotique ou autre) est une réaction assez rare. Il est rare de connaître une hypnose spontanée. La distraction est quotidienne mais, le plus généralement, une fois la distraction terminée, on reprend immédiatement et normalement une attention et une perception normales des choses. Quand sonne l'heure de la récréation, le cancre ne reste pas « bloqué » dans sa rêverie, il reconnecte naturellement avec son entourage et sort jouer comme tous ses camarades. Le fait de développer spontanément un état stable qui permet, après une longue distraction, de rester « aveugle » ou « paralysé », ou « sourd », ou « anesthésié », ou « bloqué dans un rêve » sans pouvoir reprendre sa perception normale pendant un certain temps, même court, est un phénomène heureusement rare.


L'hypnose sans transe. La confusion entre distraction, suggestion et hypnose.

Pourtant, à la suite du Dr Milton Erickson, beaucoup de personnes ont commencé à répété que l'hypnose était un état quotidien et à nommer hypnose ce qui relève de la simple distraction, comme on le disait avant. A l'origine, cette confusion était destinée à faire un parallèle légitime entre l'hypnose et la distraction, pour expliquer en quelques mots à quoi cela se rapporte. Mais avec le temps, la confusion s'est inversée, et beaucoup de gens ont commencé à définir réellement l'hypnose comme une distraction, et oublier littéralement que l'hypnose est un phénomène stable de dissociation. Certains sont allé jusqu'à nier l'existence de l'hypnose comme état stable pour ne présenter que des techniques de distraction. Certains ont commencé à dire que ce qui prouve l'hypnose, c'est le fait d'obtenir un phénomène ou une réponse inconsciente. Ca n'est pas parce qu'il y a catalepsie qu'il y a hypnose. Ca n'est pas parce qu'il y a amnésie qu'il y a hypnose. Aucun phénomène ne prouve l'hypnose, puisqu'ils sont parfaitement naturels et ordinaires et peuvent bien être stimulés par une simple suggestion, surtout accompagnée de distraction. C'est la façon dont le phénomène résiste aux perturbation qui constitue l'hypnose dans la tradition de la psychologie.
Ce qui fait l'hypnose, c'est la stabilité du phénomène et sa durée dans le temps.
Mais lorsqu'on définit l'hypnose par des réponses, alors peu importe comment arrivent ces réponses : et ainsi, le mot hypnose s'est mis à désigner de plus en plus toute technique de suggestion et de distraction permettant d'obtenir une distorsion de la perception, du contrôle, ou une réponse inconsciente.
Dans cette confusion, on n'a pourtant jamais cessé de vouloir différencier la simple distraction de l'hypnose. Certains ont renommé l'art de la distraction et de la suggestion. On a vu beaucoup de tentatives dans ce sens comme la Programmation Neuro-Linguistique, qui s'est éloignée rapidement de la notion de transe hypnotique pour privilégier les mécanismes de la suggestion, ou encore des concepts comme l'hypnose conversationnelle (dont la définition varie beaucoup selon ses pratiquants) ou encore l' « hypnose sans transe » ou bien une certaine « hypnose » du mentalisme. Il est très étonnant de voir à quel point le mot « hypnose » s'est mis à désigner des techniques sans hypnose qui utilisent simplement le même art de la suggestion que l'hypnose. A tel point que toute suggestion peut être nommée plus ou moins métaphoriquement « hypnose », ce qui est un contre-sens.
On peut utiliser la suggestion pour provoquer une hypnose plus rapidement. On peut également utiliser un état d'hypnose pour prodiguer des suggestions sans recourir à la distraction. Cependant, l'hypnose et la suggestion sont bien deux choses très différentes. L'hypnose et la rhétorique sont également deux choses très différentes, même si on peut user de rhétorique pour accompagner une personne volontaire dans l'hypnose. De la même façon, l'hypnose et la distraction sont deux choses très différentes, même si on passe par la distraction pour provoquer l'hypnose. Et mélanger ces deux termes, c'est se priver d'un langage de précision au profit d'une grande confusion intellectuelle, conceptuelle, et pratique.


Obtenir les mêmes phénomènes par la distraction et par l'hypnose.

Soyons clairs ! Sous le nom d'« hypnose », vous verrez parfois des démonstrations qui consistent à diriger continuellement l'attention de la personne, par un rythme soutenu, des bombardements de suggestions. En réalité, il s'agit de démonstrations non pas d'hypnose mais de ces phénomènes qui nous sont très ordinaires et qui sont liés à la simple distraction. Le mot hypnose est absolument usurpé pour une telle démonstration puisqu'il y a bien une distorsion de la perception mais sans recours à une véritable transe hypnotique. Si, par contre, on fait constater un phénomène au « sujet » et que celui-ci s'avère incapable d'en reprendre spontanément le contrôle, même quand on lui en laisse le temps, alors on peut commencer à appeler cela de l'hypnose. Vous voilà informés ! On ne vous trompera plus sur la marchandise. Les démonstrations de distorsion de la perception sans hypnose sont très intéressantes, impressionnantes, fascinantes, spectaculaires, etc... Mais rien ne permet de les présenter comme de l'hypnose.
Un exemple : un hypnotiseur veut faire la démonstration de la paralysie comme phénomène de la distraction. Il répétera en continu à son sujet volontaire que sa main est immobile, paralysée, etc. Puis il lui demandera d'essayer de la soulever. Mais avant même que celui-ci commence vraiment à essayer de soulever sa main, il le distraira à nouveau en lui répétant que sa main est paralysée et immobile, et ainsi de suite. La personne ne trouvera pas le temps de se concentrer assez pour retrouver sa façon habituelle de contrôler ses mouvements, et constatera qu'elle n'a pas pu bouger sa main. Il existe toutefois des façons plus subtiles de faire cette démonstration, mais c'est un exemple classique. Un hypnotiseur soucieux de faire comprendre à son public ce dont il fait la démonstration aura à cœur d'expliquer qu'il s'agit non pas d'hypnose mais de suggestion et de détournement de l'attention (« misdirection », en anglais ; dommage que nous n'ayons pas un mot aussi clair pour traduire cela).
Par contre, si l'hypnotiseur veut faire la démonstration d'une paralysie de la main comme phénomène hypnotique et non pas seulement comme phénomène de la distraction, il devra arriver à un stade ou il pourra se taire longtemps, et laisser à la personne tout le temps et tout le loisir de constater qu'elle ne peut réellement plus bouger la main. Plus longtemps il pourra laisser la personne essayer sans y parvenir, plus la transe hypnotique sera de qualité. Dans beaucoup de cas, l'hypnotiseur saura observer si la personne commence à « se réveiller » et ainsi ajouter quelques suggestions pour renforcer la dissociation, maintenir et approfondir l'hypnose.


L'anesthésie par distraction et l'anesthésie hypnotique dans l'exercice médical.

De la même façon, on a vu plus haut que l'anesthésie est un phénomène naturel de la distraction. Sous le nom d'hypnose, certains médecins anesthésistes maintiennent des patients en pleine opération chirurgicale si intensément distraits qu'ils en développent une grande anesthésie. Pour cela, ils utilisent un flot continuel de suggestions ou de métaphores. Là encore, on parle d'hypnose sans avoir la certitude que cet état caractéristique qu'on appelle hypnose joue un rôle dans le processus. Si l'anesthésiste arrêtait soudain de diriger l'attention du patient, on pourrait alors constater si ce dernier a développé une hypnose et alors l'anesthésie se maintient, ou s'il ne s'agit que d'une belle et puissante forme de distraction, au quelle cas, l'anesthésie ne survivra pas au silence, et nous pouvons plaindre le pauvre patient qui se mettra à nouveau à sentir son corps en pleine opération. C'est pourquoi cette méthode est en générale accompagnée d'une anesthésie locale chimique.
Il existe une autre façon d'utiliser l'anesthésie naturelle et c'est justement de passer par l'hypnose. Alors l'anesthésie est développée de façon si stable que l'hypnotiseur n'a pas même besoin d'être présent dans la salle d'opération. En général, l'hypnotiseur entraîne le patient à l'anesthésie hypnotique en cabinet durant plusieurs séances intensives afin que celui-ci soit capable de développer facilement, le moment venu, une belle anesthésie parfaitement stable et qui permette l'opération. La qualité de la transe hypnotique est alors primordiale puisqu'elle doit résister à la perturbation importante que constitue l'acte chirurgical. L'opération ne doit pas déranger l'hypnose.
C'est une méthode notamment très pratique pour les soins dentaires ou pour la préparation à l'accouchement. Le patient apprend à dissocier totalement et de façon stable la perception de tout son corps, ou d'une partie de son corps, jusqu'à être parfaitement à l'aise avec le fait d'anesthésier mentalement de l'intérieur une partie précise de son corps. Ainsi, il pourra « couper » les sensations de sa bouche, ou de sa main, ou d'une autre partie avant l'opération, soit par lui-même, soit sous avec l'aide de l'hypnotiseur qui l'a entraîné. Cette méthode est (hélas !) de moins en moins pratiquée parce qu'elle nécessite que l'hypnotiseur oriente sa pratique sur l'hypnose comme dissociation stable plutôt que sur l'art de la distraction permanente. Toutefois, le résultat des deux méthodes semble aussi satisfaisant. Dans les deux cas, il s'agit d'utiliser la capacité naturelle du cerveau à l'anesthésie. Et le réveil de l'opération se fait beaucoup plus facilement, sans complications. En plus de cela, l'anesthésie hypnotique s'accompagne de modifications physiologiques du membre anesthésique permettant notamment un plus faible écoulement de sang, ce qui offre plus de confort au chirurgien pour opérer.


Pour conclure...

Aujourd'hui, l'hypnotiseur moderne est une personne formée et compétente aussi bien dans l'art de la distraction et de la suggestion qu'à l'accompagnement dans l'hypnose en tant que telle. En thérapie en particulier, les personnes ont pour objectif un changement rapide et complet et qui peut souvent se faire assez facilement par la suggestion sans avoir à créer une véritable hypnose. L'avantage de l'hypnose sera la variété des approches qu'il est possible de déployer à l’intérieur de l'état stable et un grand confort de travail pour l'hypnotiseur. Ajoutons qu'une personne qui se dirige vers un hypnotiseur s'attend à vivre cette expérience très agréable, surprenante, et enrichissante qui est celle de l'hypnose.
Le mot « hypnose » est de plus en plus associé à une culture moderne de la communication à double niveau et de moins en moins à une culture de la transe hypnotique, ce qui est très dommage. La transe hypnotique a été explorée avec passion à travers les quatre derniers siècles parce qu'elle permet bien des choses que la communication, aussi subtile soit elle, n'offre pas à elle seule. Et pour beaucoup de raisons, la transe hypnotique est en elle-même une capacité naturelle qu'il est tout à fait souhaitable que chacun apprenne à développer aussi facilement et naturellement que le sommeil ; qu'il soit aussi facile pour chacun d'entrer en hypnose que de s'endormir.