mercredi 25 janvier 2012

Quelques questions-réponses...


Mlle Meryem Bengoumi, Nour Mestiri et Fatma Frikha du lycée français Pierre-Mendès-France de Tunis (classe de 1ère S3) m’ont posé quelques questions dans le cadre de leur TPE sur le thème de l’hypnose. Avec leur permission, je poste ici les questions qu’elles m’ont posées et les réponses que je leur ai envoyées.

1.    Après avoir fait plusieurs recherches, nous avons trouvé diverses définitions au mot hypnose. Pouvez vous nous donner la votre ?

Nous avons tous un état de conscience ordinaire, actif de notre réveil à notre endormissement (nous avons aussi un état de sommeil). Bien que notre humeur et notre condition varient en fonction des instants et des contextes, notre conscience ordinaire se caractérise par une personnalité stable et reconnaissable et une continuité de mémoire (alors qu’on a que des bribes de ce qui est vécu durant le sommeil).
L'état de transe hypnotique est un état second de la conscience qui se caractérise par une autre continuité de mémoire et parfois une autre personnalité complète, sous la même identité. On parle alors d'une dissociation complète ou transe hypnotique somnambulique. A son réveil, la personne ne se souvient de rien de ce qu'elle a vécu en transe. En transe, son comportement s'avère plus automatique, mécanique et passif, mais la personne peut réagir de façon adaptée à son environnement, parler, marcher, écrire, résoudre un problème, travailler, etc...
Entre l'état ordinaire (état d’éveil) et l'état second (état de transe), il est possible d'induire des états intermédiaires qu'on regroupe sous le nom d'hypnoses.
a)    Une hypnose légère est très proche de l'état ordinaire de conscience mais légèrement dissociée. La personne est comme spectatrice de ce qui se passe en elle et des réactions de son corps et se contente de laisser les choses se faire.
b)    Un état moyen est un mélange d'état premier et d'état second : les deux coexistent comme dans une sorte d'ivresse sage et raisonnable. Le corps, les émotions et les pensées réagissent de façon automatique tandis que la personne se sent toujours ici, capable d'observer ce qui se passe mais sans vraiment pouvoir intervenir, tant que rien de grave ne se produit.
c)    Dans un état profond, la personne « dort » mais la plupart de ses fonctions peuvent être activées, comme un somnambule : c'est l'état somnambulique. Au delà, il s'agira d'une transe hypnotique. Cependant, on utilise souvent le mot de transe comme les anglophones le font, comme synonyme du mot hypnose, quelque soit le niveau de dissociation provoqué.
L'hypnose est un phénomène naturel tout comme le sommeil, le somnambulisme ou n'importe quelle transe. Cependant, l'art de l'hypnose consiste à induire artificiellement chez une personne un certain degré de cette dissociation et de guider la personne à travers cet état pour utiliser certaines capacités cérébrales que cet état autorise, notamment dans un but pédagogique ou thérapeutique ou dans le simple but d'en faire la démonstration pour la science ou pour le divertissement. 

2.    En quoi consiste le métier d’Hypnotiseur ?
Hypnotiseur n'est pas vraiment un métier en soi. Mais on peut en faire un métier en faisant des spectacles d'hypnose, ou en étant hypnothérapeute, ou anesthésiste, psychologue, psychiatre, en faisant de la recherche en psychologie cognitive et comportementale, en neuro-sciences ou en neuro-psychologie à l’aide de l’hypnose, en étant pédagogue spécialisé, préparateur mental, conseiller, etc...
L'hypnotiseur formule des suggestions et présente aux personnes des exercices qui, combinés, les feront entrer dans un état plus ou moins profond d'hypnose. Ils les accompagnent ensuite dans cet état pour leur faire développer certains phénomènes hypnotiques (catalepsie, réponses idéo-motrices, rêves guidés, régressions, hallucinations, paralysies, anesthésies, amnésie, hypermnésie, etc..). Dans le cas d'un usage thérapeutique ou pédagogique, l'idée sera d'utiliser l'état d'hypnose, les suggestions, et les phénomènes hypnotiques pour intégrer à un niveau inconscient des changements, notamment des changements dans les conditionnements de la personne (mais pas seulement) et d’intégrer des apprentissages. 

3.    Quelles sont les études à poursuivre pour devenir hypnotiseur ?

Malheureusement, il n'y a pas de cursus d'étude vraiment satisfaisant pour cela. Et il n'en y a pas qui valide officiellement une compétence à la pratique de l'hypnose non médicale. Le mieux est de suivre certaines formations privées en gardant son esprit critique, de beaucoup lire, notamment les auteurs classiques et sérieux, surtout ceux issus de l'hypnose médicale, éviter les formations trop commerciales et les livres un peu trop vulgarisants, même si on peut y apprendre aussi beaucoup. Réfléchir et innover. Pratiquer beaucoup, et se mettre en contact avec plusieurs professionnels expérimentés acceptant de superviser votre apprentissage. En gros, ce sont tous les ingrédients de l'apprentissage autodidacte. Les formations privées, bien que souvent commerciales et jamais diplômantes sont tout de même une approche souhaitable pour apprendre les tous premiers outils. Mais mieux vaut ne pas s'en contenter, et ne pas prendre tous ce qu'ils disent pour argent comptant. Éviter les formations qui mélangent hypnose et idéologie.

4.     N’importe qui, ayant suivi votre cursus serait-il capable de pratiquer de l’hypnose ? Quels sont les requis nécessaires supplémentaires, qu’il faut posséder ?

Je pense qu'une maîtrise correcte du langage est nécessaire. En effet, il faut savoir s'adapter à tous types de personnes, de celles qui s'expriment le plus correctement à celles qui s'expriment avec beaucoup de simplicité. Et toute la partie suggestion de l'hypnose n'est que de la linguistique appliquée. Il faut accepter l'échec avec joie, être persévérant, pas dans la volonté de pouvoir, ne pas vouloir valoriser son ego et être rigoureux et travailleur. Un intérêt pour les neuro-sciences et la psychologie est appréciable. Pour être hypnothérapeute, la psychopathologie, la psychologie cognitive et autres domaines de la thérapie sont précieux.
Je ne pense pas que le cursus que j'ai suivi suffise à pratiquer l'hypnose. Aucun cursus proposé actuellement ne suffit à le pratiquer sérieusement. Il faut donc beaucoup compléter sa formation par soi-même. Être très exigeant avec soi-même. 

5.    Cette pratique est-elle considérée comme une branche de la médecine (en général, dans le monde) ?
Officiellement non. Historiquement, c'est la médecine qui s'est le plus intéressé à cette pratique et qui l'a fait le plus avancer. Aujourd'hui, c'est une pratique ouverte bien que certains médecins souhaitent la réserver à leur exercice. Dans l'esprit des gens, elle est soit assimilée au divertissement, soit à la médecine, soit aux « médecines alternatives », soit à la psychothérapie, soit au charlatanisme. 

6.    Pourquoi avez-vous décidé d’exercer ce métier ?
C'est une question difficile. Je pense que ce métier correspondait à mes qualités naturelles (enfin acquises bien entendu). J’ai donc appris très rapidement et eu vite de très bons résultats. Les aspects théoriques, historiques, sociologiques, neurologiques, psychologiques, linguistiques et surtout techniques et pratiques de l’hypnose m’ont tous rapidement intéressés et passionnés. Donc,je m’en suis trouvé comblé. 

7.    Quelles sont les limites de votre métier ?
Il y en a beaucoup. En hypnothérapie, ce sont les limites de la psychosomatique notamment. Et puis ne pas empiéter sur la psychiatrie (les psychoses notamment). Il y a évidemment les limites liées à la complexité des cas. Une limite importante réside dans le niveau de compétence de l’hypnotiseur. Une limite trop souvent franchie est celle de l’irrationalité.
Mes propres limites sont celles de ma compétence, de la complexité des individus humains que j'ai devant moi (qui ne sont pas des machines), et de mon éthique (les limites que je m'impose). Je respecte également les limites du consentement individuel, de la correction, de la civilité, les limites de temps (contrainte très importante), les limites de la loi. N'hésitez pas à me reposer la question en précisant de quelles limites vous parlez et dans quels domaines. 

8.    Pourquoi vos patients viennent-ils vous voir ? Qu’attendent-ils de vous ? Donnez nous les exemples les plus fréquents.
Comme je ne suis pas médecin, je ne suis pas légalement autorisé à dire que les personnes qui viennent me voir sont des patients. Les demandes les plus fréquentes portent sur les addictions (tabac en tête, cannabis,...), les comportements alimentaires, les phobies, angoisses, mal-être, dépression, problème de confiance en soi, gestion des émotions,troubles légers de la personnalité, TOC, tics, problèmes relationnels, troubles sexuels, troubles du sommeil, etc... Beaucoup de demandes. Mais pas seulement en thérapie. Il y a  aussi : préparation d'un examen, préparation mentale pour un sportif, relaxation, etc... Ça fait un peu marabout comme ça, mais c’est la réalité de notre métier. Quelque chose d’évident est commun à toutes ces demandes, c’est la possibilité d’agir partiellement ou totalement par la psychosomatique, le conditionnement, le déconditionnement, la psychologie des profondeurs, la dissociation... en bref, l’hypnose
En général, ils attendent de moi un changement concret en peu de séances, et de s'orienter petit-à-petit vers l'avenir en réglant la question du passé. La thérapie est un gain d’autonomie par un certain lacher-prise et souvent un gain de maturité émotionnelle important. 

9.    Comment arrivez vous à gagner la confiance de vos clients ?
Il y a bien des « techniques » comme les techniques d'adaptation, d'écoute active, etc... Mais le mieux c'est encore d’être honnête, sincère, naturel, simple et pas prétentieux. Et généreux. Et alors, la confiance s'établit très vite. Et si jamais ça n'était pas le cas, se dire qu'on ne peut pas plaire à tout le monde, et ça n'est pas très grave. Après, il faut garder à l’esprit que les gens viennent de leur plein gré. Ils ont déjà en partie assez confiance pour se prêter au jeu. Je ne demande jamais aux gens d’avoir une confiance aveugle. Ça serait inquiétant. C’est pourquoi l’état d’hypnose est souvent vécu comme une façon d’être à la fois présent et attentif et à la fois très profondément plongé dans l’expérience, surtout lors de la première séance. Avec l’habitude et le fait de mieux se connaître, les personnes explorent ensuite un plus grand lacher-prise. 

10.    Est-ce qu’on hypnotise toutes les personnes de la même manière ?
Absolument pas. Chaque personne est différente. Certaines personnes sont très réceptives à la suggestion. On utilisera alors des suggestions adaptées à elles pour les guider dans l'hypnose. D'autres sont moins sensibles à la suggestion, il faudra être plus subtil et plus détaillé dans les suggestions et utiliser également des techniques, des exercices qui induisent l'hypnose. D'autre personnes, rares heureusement, sont très rétives aux suggestions et résistantes aux techniques de base : il faudra alors les entraîner à l'hypnose plus progressivement et patiemment avec des méthodes adaptées. En plus de cela, on adaptera l'induction (= façon d'hypnotiser) aux attentes de la personne, à son désir, à son objectif thérapeutique, à sa personnalité, à son intelligence, etc... Malgré cela, certains trucs peuvent marcher pas trop mal pour beaucoup de gens. Mais en général, les méthodes apprises par cœur, rigides et simplistes ne sont efficaces que sur les personnes très réceptives et qui de toute façon, n'en auraient même pas eu besoin pour entrer en hypnose.

11.    Quels sont les éléments indispensables au bon déroulement d’une séance d’hypnose ?
- la confiance et l’assurance
- la patience
- l'écoute et une attention de chaque instant à la personne, à son discours, à ses réactions, etc... Il s'agit d'une véritable navigation subtile pour ne pas que la personne sorte de l'état ou qu'elle simule ce qu'on attend d'elle.
- le sens de l’observation
- le calme et la confiance en ses compétences
- la créativité
- le temps (ne pas être pressé par le temps)
- la simplicité
- la sincérité

12.    Comment faites vous pour hypnotiser vos clients ? Quelles sont les étapes à suivre ?
Je ne fais presque jamais de la même façon. Il y a donc des centaines de façons de faire et des milliers de combinaisons possibles. Une bonne façon de procéder pourrait se résumer ainsi :
1 : expliquer à la personne ce qu'elle va vivre. En gros, on influence ce que la personne pourra dire si on lui demande comment c'était après la séance. C'est de la suggestion pure, parfois appelé « pre-talk ». ex : « l'hypnose est un état qui … ». On peut le faire par une explication, un récit, une anecdote, une démonstration, etc.. On pose le cadre de référence.
2 : créer le désir et l'attente. Ex : « Vous aimeriez essayer ?vous voulez que je vous explique comment on fait ? » on peut même créer la frustration en retardant un peu l'instant.
3 : proposer une technique. Soit basée sur la suggestion, soit sur une technique mécanique, (des milliers de possibilités à ce stade). En général, on crée une catalepsie partielle (de la main) pour accélérer le développement d'une catalepsie générale du corps qui est caractéristique d'un bon état d'hypnose (bien que pas systématique). Catalepsie = rigidité naturelle et involontaire des muscles qui se produit pour permettre de garder longtemps et sans effort une position inconfortable. Ça contrarie un peu le cliché de la détente en hypnose.
Ensuite, il y a les étapes de la séance elle-même, par exemple pour la thérapie ; les étapes du travail thérapeutique avec le développement de phénomènes hypnotiques spécifiques et l’intégration de suggestions thérapeutiques et d’apprentissages inconscients. Et avant tout cela, on prend le temps de parler avec la personne, de l’écouter, de répondre à ses questions, et de lui expliquer des choses importantes.  

13.    Y a-t-il des risques à pratiquer l’hypnose ? Pouvez vous perdre le contrôle de l’esprit d’une personne ? Que faîtes vous si le cas survient ?
On ne contrôle pas l'esprit de l'autre, on le guide. Une personne peut s'endormir, ou se réveiller et dans les deux cas ne plus suivre le guide. Dans ce cas, on tachera de « rétablir le contact ». L'hypnose profonde n'est pas un état anodin et l'utilisation des phénomènes hypnotiques et de la dissociation n'est pas un jeu sans conséquence. Il est important pour l’hypnotiseur de s'assurer que tout se passe de façon que la personne n'aura que des bénéfices à cette expérience. Mais globalement, l'hypnose étant basée sur une confiance et un accord profond, la personne garde toujours un certain contrôle de l'expérience même très inconsciemment, de sorte qu'il ne peut pas vraiment se passer de choses dommageables. 

14.    Comment faites vous si vous êtes face à une personne insensible à l’hypnose ?
Toute personne disposant d'un cerveau est capable de dissociation. Une personne n'est pas donc pas insensible à l'hypnose en elle-même. Simplement, on peut être plus ou moins réceptif à telle méthode, appliquée par telle personne, dans tel contexte, dans tel but. Certaines personnes ont un blocage profond pas toujours évident à contourner. Certaines personnes ont besoin de plus de temps que d'autres. La confiance est l'élément principal de l'efficacité, ainsi que l'adaptation et la diversité des outils. Si je suis face à une personne que je n'arrive vraiment pas à accompagner dans l'hypnose dans le temps que nous pouvons nous accorder. , ce qui, par chance, est très rare, je l'aiguillerai vers un collègue ou lui conseillerai des exercices réguliers pour accroître sa réceptivité et son lacher-prise.
Par contre, il existe de réelles différences de réceptivité à la suggestion. Dans le cas d'une personne peu réceptive à la suggestion, on évitera d'essayer de lui induire l'hypnose par de simples suggestions ou par l'imagination et on privilégiera une méthode plus mécanique, ou bien on fera en sorte d'accroître sa réceptivité aux suggestions. Dans le cas d'une personne très réceptive à la suggestion, très peu de choses suffiront pour que ce qu'on lui fait imaginer deviennent un véritable vécu, ce qui simplifie largement la tache. 

15.    Avez-vous quelques astuces à nous proposer afin que nous aussi puissions hypnotiser d’autres personnes ?
Repérez les personnes très réceptives à la suggestion. Par exemple, demandez aux gens de mettre un de leur bras droit devant eux et d'imaginer que des millions de ballons d'hélium sont accrochés à leur poignet, et de continuer d'imaginer et de ressentir. Les personnes dont la main commencera à monter involontairement très rapidement ont un excellent lien entre ce qu'elles imaginent et la réponse que leur cerveau donne, qui essaie d'en faire une réalité. A ces personnes là, demandez-leur d'imaginer un immense pendule qui se balance plusieurs mètres derrière eux et de bien le fixer mentalement et de se laisser bercer et endormir par le balancement. Dites leur que plus ils regardent et plus une étrange fatigue va fermer leurs yeux progressivement et que quand les yeux se ferment, il s'endorment profondément en restant bien immobiles. Rappelez leur de bien regarder le pendule se balancer derrière eux. Quand ils ont les yeux fermés, dites leurs de se sentir bien et de se réveiller complètement à 3, puis comptez jusqu'à 3. Un petit truc aussi rudimentaire et « à l'ancienne » fonctionnera très bien sur des personnes réceptives et leur offrira un peu de bien-être sans danger. Ça n'est pas d'une grande subtilité, mais ça a le mérite d’être simple et efficace. 

16.    Plusieurs personnes ne croient pas en l’hypnose. Quelles preuves scientifiques pouvez vous avancer afin de leur prouver le contraire ?
Le mieux est d'en faire l'expérience soi-même. Presque toutes les personnes qui viennent me voir sont sceptiques en arrivant. Et tant mieux. Croire n'est pas une nécessité. L'hypnose n'est pas imaginaire, c'est une capacité cérébrale. Vous n'avez pas besoin de croire que le sommeil existe pour dormir, n'est-ce pas? L'hypnose n'est pas une question de croyance, de même qu'elle n'est pas une affaire d'idéologie ou de religion et encore moins de morale. 

17.    D’après les dernières avancées scientifiques, avons-nous prouvé d’une quelconque manière que l’hypnose est à l’origine de traces dans le cerveau ?
Beaucoup d'expériences sont faites pour identifier l'hypnose dans le cerveau et qui donnent des résultats intéressants. Le problème, c'est que la méthode utilisée pour induire l'hypnose influence énormément ce que sera cet état. Ainsi, il est très difficile d'obtenir des résultats généralisables. De même, la questions des états simulés d'hypnose et des véritables états d'hypnose pose également problème. L'utilisation de médicaments hypnotiques est une solution à ce problème de méthodologie scientifique, mais guère satisfaisante. L’hypnose est une pratique complexe et trop de paramètres subtiles ont une influence sur la nature de la dissociation vécue. Par conséquent, les études fréquentes ont tendance à se contredire car chacune utilisant un protocole d’induction expérimentale de l’hypnose différent et parfois pas assez contrôlés expérimentalement. 

18.    Avez-vous entendu parler des neurones miroirs ? Si oui, concernent-ils l’hypnose ?
Difficile à dire encore à ce stade. Des méthodes pour provoquer l'hypnose peuvent se baser sur les neurones miroirs. Leur découverte vient de plus confirmer beaucoup de choses que les hypnotiseurs pratiquent depuis longtemps pour augmenter le rapport de confiance qu'ils établissent, et également les suggestions non-verbales, gestuelles. Il est possible également que le principe des neurones miroirs soit très proche de ce qui se produit lors d'une action imaginée qui se traduit pas une réponse idéo-motrice, en générale une action imaginée de façon associée (je vis l'action de l'intérieur, et je ne me vois pas faire l'action d'un point de vue extérieur), mais cela reste à étudier pour relier le rôle des neurones miroirs à l'étude des degrés de dissociation. 

19.    Est-ce que les illusions d’optiques peuvent être mises en relation avec l’hypnose ?
Dans un sens oui. Elles montrent que la réalité extérieure n'existe pour nous que par la façon dont nous la percevons et qui est entièrement composée dans notre cerveau. Notre perception du monde n'est qu'une immense hallucination qui cherche à créer des suites logiques, à compléter les trous, à donner une perception simple des choses. Et parfois, cela nous joue des tours. En hypnose, on prend conscience de cette subjectivité pour « jouer » avec, la transformer temporairement. On peut modifier cette illusion du cerveau pour modifier la réalité perçue, et même créer une autre réalité comme dans les rêves. 

20.    Pensez vous que les fictions (romans, films, séries…) sur l’hypnose coïncident-ils avec la réalité scientifique ? Si oui, en quels points ? Que pensez vous des spectacles d’hypnotiseurs ?
L'hypnose n'est pas une science. La science peut s'intéresser à l'hypnose et en donner une explication mais l'hypnose est un phénomène naturel et une pratique humaine. De la même façon, la science explique le feu, mais le feu n'est pas une science, c'est un fait de la nature. Les fictions donnent un éclairage de l'hypnose différent de celui de la science. Et parfois, les fictions perpétuent des clichés éculés et ringards et des contre-vérités comme des prétendus dangers, etc... Mais en réalité, les conférences d'apparence sérieuse, les livres aux titres incompréhensibles, etc, sont parfois tout aussi porteurs d'approximations et de contre-vérités.
Les spectacles d'hypnose sont rares en France. A part quelques animations de comité d'entreprise ou de discothèques, des apparitions télé et autres ou un hypnotiseur hypnotise des groupes de gens pour les désinhiber. On ne peut pas vraiment parler de spectacle au sens moderne à cause du manque de travail artistique autour, mais plutôt de démonstration divertissante, ou d’animation. Il en existe certains qui sont de vrais spectacles innovants utilisant l'hypnose mais trop rares malheureusement. Les désinhibitions collectives souvent de mauvais goût qu'on voit à la télévision ne sont pas vraiment basées sur l'hypnose en réalité mais sur un phénomène de complaisance parfois à la limite de l'hypnose moyenne sur les sujets naturellement réceptifs et de la simulation semi-volontaire sur les autres . Le numéro consistant à placer une personne rigide entre deux chaises est un principe anatomique qui n'a rien à voir avec l'hypnose contrairement à ce qui est prétendu. Il est assez malhonnête de le présenter comme un « pouvoir du cerveau ». De même, beaucoup de numéros sont basés sur la suggestion et non sur l’hypnose. Là aussi, ça n’est pas très honnête de les présenter comme de l’hypnose.
Cependant, certains hypnotiseurs qui utilisent des sujets très réceptifs pour faire la démonstration d'amnésies ciblées, de réactions programmées sur un déclencheur, d'hallucinations, etc., sont habiles et divertissants et permettent de mettre en évidence de façon ludique et amusante les capacités réelles du cerveau humain. Il est souhaitable que cela se développe à mon avis, avec plus d'innovation, de créativité et de diversité. Trop de numéros sont des reprises quasi identiques de numéros datant parfois de plus d’un siècle.
Beaucoup de gens appellent « hypnose classique » l'hypnose faite en spectacle. C'est une erreur, puisque l'hypnose classique consiste en un ensemble de techniques spécifiques très mécaniques, répétitives et longues utilisées surtout au XIXe et au début du XXe siècles par les médecins pour obtenir des états somnambuliques artificiels. L'hypnose de spectacle, elle, si elle est bien faite, est beaucoup plus subtile et indirecte que cela. En effet, pour donner l'impression qu'une simple instruction a permis d'obtenir un résultat impressionnant, et ainsi donner l’illusion d’un « pouvoir de fascination », l'hypnotiseur a à cœur de glisser beaucoup de suggestions cachées dans son discours de présentation, dans son récit, dans son apparence, dans sa mise en scène, etc...

mardi 24 janvier 2012

L'écriture automatique : mon cerveau en colocation ?

 Dr Thomas Hamilton et Mrs Poole lors d'une séance d'écriture en transe.

Le principe de l'écriture automatique est bien connu. Il s'agit d'un processus d'écriture où non seulement le choix des mots n'est pas conscient mais l'action physique du corps qui forme ou tape les lettres est perçue comme involontaire, voire incontrôlable. Nous ne parlerons pas ici de la prétendue écriture automatique qui consiste simplement à écrire n'importe quoi "au hasard", à laisser les mots venir, pour voir ce qui sort de notre "pure spontanéité. Bien que cette écriture spontanée puisse aboutir à une authentique surprise quant aux choix des mots et des phrases, et puisse être un exercice enrichissant, elle ne peut pas être dite automatique d'un strict point de vue expérimental.

Une expérience simple : écrivez un mot au hasard au crayon sur une feuille.
Cela paraît simplissime. Vous avez fait une seule chose, n'est-ce pas ? Et vous pensez avoir le plein contrôle de vous-même lorsque vous la faite, n'est-ce pas ? En réalité cela mobilise une grande quantité de neurones chargés de tâches très diverses et qui, par chance, travaillent pour la plupart sans nous demander notre avis. En gros, parmi ces tâches, on peut citer :

  • décider du mot à écrire (certainement la partie la plus difficile pour beaucoup d'entre nous). En réalité, la décision est prise dans le cerveau avant qu'on ait l'impression (l'illusion) de le décider. Pourtant, choisir finalement celui-ci, et renoncer aux autres est parfois si difficile, surtout devant un menu de restaurant...
  • retrouver une image mentale correspondant à l'orthographe du mot
  • voir la position de la feuille
  • ressentir + voir la position de la main
  • commander aux bons muscles d'opérer le bon degré de contraction pour à la fois, serrer correctement le crayon, placer la main au bon endroit au-dessus de la feuille, maintenir la tète tournée vers ce qu'il y a à voir,  etc...
  • diriger les yeux vers l'endroit précis de l'action, accommoder,  et réduire le champ de l'attention à la tâche en cours
  • descendre le crayon et l'appuyer sur la feuille avec exactement la bonne pression pour écrire sans casser la mine
  • bouger la main sans trembler dans différentes directions afin de tracer des barres et des ronds qui forment des lettres. Selon les personnes, lier les lettres entre elles où relever un peu le crayon pour reprendre une lettre à un autre endroit. Pour un changement de mot, lever le crayon et déplacer légèrement la main, ni trop ni trop peu.
  • Revenir compléter avec des accents, des barres aux T et des points sur les I si nécessaire.
  • Vérifier, par les yeux, que l'image obtenue permette de reconnaître le mot écrit. Et vérifier par la même occasion que l'orthographe est conforme à l'orthographe de référence dans la mémoire (cette fonction n'est pas très bien entraînée chez toutes les personnes... )
Tout cela, nous le faisons automatiquement. Vers 5-6 ans, il nous a fallu l'apprendre. Mais désormais, c'est chose relativement aisée, et nous n'avons heureusement pas à penser à chacun de ces aspects, et encore moins à contrôler les stimulations nerveuses, échanges thermiques, approvisionnement des muscles en oxygène, et autres (ré)actions qui se produisent dans le corps pour cette simple action.
Ajoutons que, lorsque nous exécutons cette simple expérience, il y a encore des parties de notre cerveau qui s'occupent de :

  • nous faire reconnaître que c'est bien nous qui sommes à l'auteur de cette action et nous donner l'illusion que c'est bien sous notre contrôle que tout cela c'est fait.
  • Enregistrer cette expérience dans la mémoire à court terme, voire dans d'autres types de mémoire
  • inscrire cette action dans une continuité de souvenir qui forgent notre expérience propre afin que nous percevions ce qui se passe comme un événement de notre existence.
  • Etc... (toutes tâches qui contribuent à ce qu'on appelle la conscience : identité, continuité, ego, contrôle, discernement, auto-évaluation, proprioception, etc...)

Il y a plusieurs domaines où l'on parle d'écriture automatique : la littérature, le spiritisme, l'hypnose, etc...

 En spiritisme, par exemple, l'expérience de l'écriture n'est pas reconnue par le sujet comme provenant de sa propre décision, mais son attente et sa croyance sont si fortes (j'assume ici une position sceptique) qu'il se convainc que sa main agit comme « possédée » par une autre conscience que la sienne. Cette simple conviction suffit à activer un système différent de référence qui fait appelle à un autre modèle d'écriture, et toutes les parties du cerveau qui le peuvent concourent à offrir à cette personne une expérience la plus convaincante possible de ce qu'elle désire si chèrement vivre. C'est une des caractéristiques du cerveau de faire son possible pour que la réalité ne déçoive pas l'attente et la croyance personnelle, développant pour cela des biais de confirmation, la mauvaise foi, l'amnésie, les faux-souvenirs, des illusions, des hallucinations, etc... Votre cerveau vous fait voir autant qu'il le peut ce que vous voulez voir, quitte à vous mentir. Éviter la déception, et la frustration d'un ego construit pendant des années sur un système de croyance est une des tâche de survie du cerveau : il nous protège contre la déception d'avoir tort. Sauf à accepter d'avoir tort (ce que l'on pense tous faire, n'est-ce pas?) Bref, si vous pensez très fortement qu'en faisant ceci, cela, etc., l'esprit d'Einstein, qui, avec Beethoven, ne trouve jamais de repos dans les milieux spirites, vous possédera et écrira à travers votre main, et que pour vous cette expérience représentera quelque chose de très important, il semble possible pour votre cerveau de le simuler de bonne foi à un très fort degré, vous faisant même oublier d'où viennent toutes les informations que le cerveau utilise pour cela, oubliant cette émission qu'on a vu sur Einstein à la télévision, et son écriture sur un bout de papier dans un musée des sciences, etc...

En littérature, l'écriture automatique est le phénomène courant d'un auteur qui passe tellement de temps à répéter cette action d'inventer un récit et de le transcrire immédiatement par écrit que son corps peut continuer cette action tant de fois répétée sans avoir recours à sa conscience, ni même au contrôle comme le fait de regarder ce qu'on écrit. Ainsi vous avez des écrivains qui, dans des états seconds, peuvent laisser leur conscience de coté, les yeux fermés ou révulsés, ou le regard hagard, et avoir sincèrement l'impression que leurs mains écrivent « toutes seules ». De la décision du mot à l'exécution de l'action, tout se fait normalement, mais le contrôle conscient et le sentiment d’être l'auteur de la décision ne sont plus nécessaires et sont laissés de coté, comme désactivés. Pour autant, je n'aurai pas forcément l'impression qu'une « autre conscience », l'esprit de quelqu'un d'autre est l'auteur du texte à ma place. Je peux très bien me dire que c'est « une partie de moi » qui a écrit ce texte, ou simplement « moi, mais de façon automatique ». (Merci Okham pour ce coup de rasoir)

La différence entre l'écriture automatique du spirite et celle de l'écrivain se résume à une question : est-ce que le contenu du texte me semble émaner d'une intelligence et d'une personnalité éloignée de la mienne, ou simplement une version plus intuitive de ce que j'aurais peut-être pu écrire avec un peu plus de travail et d’entraînement ?

En hypnose, les cas d'écriture automatique spontanée ou induite dans un cadre expérimental sont décrits depuis le XVIIIe siècle (Puységur, etc...), c'est-à-dire depuis les débuts de l'hypnose moderne et associé au somnambulisme provoqué. Il s'agit, comme en littérature, d'une écriture qui se fait absolument normalement, à la différence que la personne n'a pas le sentiment que la décision du mot et de la phrase vient d'elle. Le problème de l'induction de l'hypnose fait que, parfois la dissociation hypnotique n'est pas assez complète pour retrouver toutes les autres caractéristiques de l'écriture. Alors il faut souvent ré-entrainer la « main » de la personne afin que celle-ci écrive de façon lisible. Et les caractéristiques de la transe hypnotique font que l'expérience peut parfois s'accompagner d'une perte totale ou partielle des sensations dans la main, si bien que, si on place une planche sous son menton, la personne peut ignorer totalement que sa main est en train de bouger et d'écrire un mot. Peu importent ces modalités à condition que la personne soit authentiquement surprise de découvrir le mot qui s'écrit au moment où elle le lit. On peut l'autoriser à le lire au fur et à mesure, mais alors, à chaque lettre, en général écrite lentement et laborieusement, la personne s'efforcera de deviner le mot avant la fin, ce qui interrompt parfois l'écriture de la fin du mot. On peut aussi cacher ou demander à la personne de fermer les yeux, ce qui fait reposer la reconnaisse du mot uniquement sur les sensations de la main, s'il en reste, et qui ne permet pas toujours de deviner le mot écrit. Sans voir, la difficulté est de passer à la ligne et de ne pas réécrire sur des mots déjà écrits. Le risque du pâté littéraire est grand !
En état de dissociation totale ou transe somnambulique, la question est différente. La personne se trouve pleinement éveillée dans une conscience seconde. Elle peut écrire et « savoir » ce qu'elle écrit et reconnaître qu'elle a décidé d'écrire cela et même expliquer pourquoi et en débattre, etc... Mais à son réveil, la personne dans son état premier lira le mot comme si une autre personne l'avait écrit et en découvrira le contenu.

Mais dans tous les cas la question reste la même, que nous avons évoquée précédemment : est-ce que la « partie de moi » qui a écrit à mon insu n'est qu'une version de moi, peut-être libérée de certaines contraintes liées à mes doutes et à mes questionnements conscients, ou est-ce que cette partie, qui exprime un contenu réellement surprenant, est une personne très différente de moi, dont la personnalité, le savoir, les souvenirs, et les idées différent des miennes et qui « vit dans ma tête », dort quand je suis éveillé et se réveille quand on m'endort, et habite certaines parties de mon cerveau qui me sont inaccessibles, comme un parasite ou un colocataire discret ?

L’expérience de l'écriture automatique en hypnose fait apparaître beaucoup de degrés de différence : 

  1. Parfois, la main n'écrit que des mots entendus, saisis aux hasard sur l'instant, ou des mots en relation directe avec le contexte, ou bien continue un mouvement simple, etc... Dans ces cas, nous avons à faire à un simple automatisme, tellement familier qu'il peut se faire sans conscience, sans intelligence, mais incapable de créer un contenu original. Il s'agit juste d'un mouvement, qui, comme c'est souvent le cas en hypnose, est perçu comme « se faisant par lui-même » ou répondant à une demande de l'hypnotiseur, ou à une stimulation particulière. Un mouvement bête...
  2. Parfois, à partir de ce simple geste automatique, on peut obtenir des réponses à des questions différentes de celles qu'apporte la personne à l'état d'éveil, souvent plus honnêtes, moins voilées, parfois même très franches, des souvenirs non accessibles à la personne consciemment, etc... Le cerveau, pour répondre utilise avec plus ou moins de talent les apprentissages du langage comme la grammaire, la métaphore, pour exprimer des réponses qui semblent libérer des informations que la personne cache aux autres ou à elle-même. La personnalité est encore celle de la personne, mais dans un mode désinhibé, libéré de certaines contraintes sociales et ayant un meilleur accès à certaines informations personnelles. C'est cette écriture automatique qui est principalement utilisée dans l'hypnose thérapeutique non psychiatrique, ainsi que pour les démarches non thérapeutiques de connaissance de soi, ou pour un usage pédagogique de l'hypnose.
  3. Parfois l'écriture, par ses réponses ou par ce qu’elle écrit spontanément, semble sélectionner des informations imitant une personnalité vraiment seconde. L'écriture peut être différente, le vocabulaire, les pensées, les souvenirs peuvent être différents, la façon de comprendre les choses et d’interpréter les situations radicalement différente, l'intelligence et les compétences peuvent être très différentes, le caractère, etc... Parfois, la personnalité seconde organisée dans cette action peut même parler de la personnalité habituelle  à la troisième personne et se présenter sous un autre nom. Un truc en vous parle de vous comme si vous n’étiez pas là ou encore s'adresse à vous. Mieux vaut y être préparé. Tout cela évidemment se produit dans le cadre de l'expérience sans pour autant que la personne ne souffre de dédoublement spontané et pathologique de la personnalité et sans que ça ne se développe dans l'avenir. De plus, l'hypnotiseur fait bien en sorte que ça ne soit pas ses suggestions qui aient induit un tel dédoublement. La personnalité seconde, lorsqu'on l'interroge semble coexister depuis longtemps avec la personnalité première. Et on peut découvrir comme cela plusieurs personnalités pouvant se saisir de l'écriture. Une personnalité seconde peut faire preuve d'une sensibilité différente, de goûts, de sentiment et d'émotions différents. Et si on suggère à la personne que c'est telle autre personne qu'elle connaît assez qui écrit à travers sa main, tout se passe comme si son cerveau peut mobiliser un maximum de données et de calculs pour simuler le mieux possible une réponse probable de cette personne. La dimension de jeu de rôle de l'inconscient semble être une des caractéristiques principales de l'hypnose. En tout cas, c'est mon intime conviction. Et c'est ce qui fait que je ne peux pas voir le spiritisme comme autre chose qu'un phénomène naturel de psychologie déguisé. Un jeu de rôle qui ne se dit réalité. La simulation des phénomènes du cerveau par l'hypnotisme est un outil précieux de l'approche sceptique en psychologie.

Entre ces différentes degrés, il en existe beaucoup d'autres qui sont des intermédiaires ou des façons différentes pour l'écriture automatique de se développer. Ces degrés et ces variantes sont souvent le résultat de variations dans les suggestions, la méthode d'induction de l'hypnose, les attentes et les croyances des sujets et parfois des hypnotiseurs eux-mêmes. En hypnose, on veillera souvent à orienter les suggestions de façon que l'expérience soit vécue avec juste ce qu'il faut de dissociation pour ne pas faire surgir des dédoublements qui n'existent pas.

Depuis un siècle et demi que les hypnotiseurs observent ces données expérimentales et travaillent avec, la question se pose toujours de savoir ce qu'elles nous apprennent : qu'est-ce que l'inconscient ? N'est-il qu'une machine à réflexe qui continue automatiquement ce que nous avons déjà l'habitude de faire ? Est-il une version primaire, animale, non inhibée de nous-même ? Est-il multiple ou unique ? L'inconscient est-il en fait une autre conscience ? Le cerveau a-t-il le pouvoir d'organiser nos souvenirs, nos perceptions, nos pensées et notre caractère pour adopter à loisir d'autres personnalités complètes ? C'est que questionne les phénomènes de possession ainsi que les pathologies du dédoublement de personnalité. C'est ce que questionne également l'hypnose, à travers l'écriture automatique notamment, mais aussi le dédoublement totale qu'est la transe somnambulique, et autres phénomènes de dissociation du langage.

Tachons simplement de ne pas considérer les questions sans réponse comme une opportunité d'affirmer les explications les plus créatives et les plus farfelues sur la base de rien. Continuons de les questionner par la pratique ou de façon expérimentale en veillant à ne pas perdre notre sens critique et la rationalité qui fait l'intelligence de notre siècle.

Sommes-nous « plusieurs dans notre tête » ou un cerveau flexible capable d'incarner des rôles mieux que le meilleur acteur de théâtre du monde ? N'est-ce pas simplement qu'on vit selon un regard, sans pour autant perdre cette capacité à voir le monde sous d'autres angles ?

mardi 10 janvier 2012

L'Inconscient : un fantôme linguistique un peu encombrant

 
Hier une personne m'a demandé :

« Est-ce que vous pensez que mon inconscient est gentil ? » 

Évidemment, cette question est pleine d'implications. Dans cette simple phrase, on peut lire beaucoup d'informations cachées :
  • cette personne considère qu'il existe une entité ontologique telle qu'on puisse la désigner sous le nom de « inconscient ».
  • elle considère qu'il en existe autant que d'individu et qu'elle en possède un en propre.
  • cette personne accorde à cet « inconscient » des attributs d'intention habituellement attribués aux humains ou, dans certains cas, aux animaux, comme la gentillesse. (vision anthropomorphe de l'inconscient)
  • si elle me demande c'est que cette personne considère qu'elle n'a pas la compétence pour savoir seule si cet « inconscient » est ou non gentil (peut-être même suppose-t-elle qu'elle ne le connaît pas)
  • cette personne considère que moi, en tant que professionnel de ces affaires-là, j'ai une meilleure connaissance qu'elle de son « inconscient » et que j'ai la possibilité de lire dans ses intentions pour savoir si celui-ci est « gentil » ou non.
  • À la fois, elle utilise le verbe « penser », donc elle ne considère pas que j'ai une connaissance de la chose mais une simple opinion, une intuition.
  • Sa question implique aussi que divers inconscients peuvent avoir des attributs moraux différents. Un peut être gentil, et un autre non. Et le sien ? C'est à moi de dire.
  • Etc...
En entendant cette question, il m'est apparu qu'aucune des croyances et des suppositions qui la sous-tendent ne me semblait raisonnable. Lorsqu'on reconnaît à travers le discours de quelqu'un ses croyances, il est tout-à-fait raisonnable de les adopter temporairement afin de communiquer avec cette personne par un langage commun et compréhensible. C'est ce qui est recommandé en thérapie et qu'on appelle : la synchronisation.
Or, cette question n'entrant pas dans un cadre professionnel, il me tenait à cœur de faire passer un message différent et d'amener la personne à adopter temporairement le langage de mes convictions qui me semblent, évidemment, plus proche de la raison, mais surtout, et je pense qu'il est raisonnable de le penser, reposent sur des connaissances légèrement plus informées.
Le niveau de connaissance actuel sur le fonctionnement du cerveau permet d'avoir de la conscience et de l'inconscient une compréhension plus rationnelle que celle qui sous-tend cette phrase.

Cependant, n'étant pas neurologue, c'est en termes de langage que je vais donner à comprendre cette conception.

1er élément : Dissociation et sujet de la phrase

Nommer quelque chose ne le fait pas exister, (sauf dans des conceptions éidétiques qui me semblent hors de propos ici).
Le substantif « un inconscient » est un dérivé de l'adjectif « inconscient ». Or, il est pertinent d’utiliser les adverbes « inconsciemment » et « consciemment » pour réellement comprendre de quoi il s'agit.

Imaginons une action simple depuis différents point de vue :

A/ Je parle avec quelqu'un et, sans y prêter attention, je me gratte la joue. Cette personne, observateur extérieur qui lui y a prêté attention me dit : « Tu t'es gratté la joue ».
  1. Pour lui, le sujet de l'action c'est « TU », c'est-à-dire moi, dans l'ensemble. (= je crois reconnaître chez l'autre une conscience : altérité)
  2. Pour moi, au moment de l'action, je n'avais aucune conscience de l'action, donc pas de sujet, pas de verbe, rien. (= l'action s'est déroulé totalement automatiquement, sans que j'en prenne conscience, INCONSCIEMMENT)
  3. Quand la personne me fait remarquer cela, je me souviens et je me vois comme il m'a vu, je m'observe mentalement dans le souvenir et je fais la même remarque que lui : « JE » me suis gratté la joue. (= altérité puisque ce jeu est quelqu'un d'autre que j'observe sur l'image de mon souvenir. Je confonds le souvenir et l'action souvenue)
B/ Je parle avec quelqu'un et il me dit : « s'il te plaît, gratte-toi la joue ». J 'ai pris conscience de sa demande, et si je le fais, je peux vraiment avoir le sentiment que « JE me gratte la joue ». Le sujet de l'action, c'est JE, donc moi. En ce cas, on considère que l'action est faite CONSCIEMMENT.

C/ Je parle avec quelqu'un, il se gratte la joue, et cela me fait me gratter la joue automatiquement. Il me le fait remarquer sur le coup.
  1. Bien que je n'ai pas pris consciemment la décision de le faire, il n'est pas trop tard pour que je reconnaisse que c'est une partie de moi qui me gratte la joue, donc moi, donc « JE me gratte la joue ». Là encore, on peut considérer que, même si on ne sait pas trop pourquoi on le fait, on fait l'action CONSCIEMMENT, puisqu'on observe consciemment l'action. On confond l'observation et l'action observée.
  2. Comme je surprends l'action en cours et qui s'est décidée « sans moi », je pourrais faire la remarque suivante : « ma main gratte ma joue ». Le sujet de l'action est la main et non plus moi. La partie est dissociée du tout. C'est la définition-même de la dissociation. C'est une façon de désigner par la dissociation une action qui se fait INCONSCIEMMENT bien que l'observation puisse s'en faire CONSCIEMMENT. L'observation consciente par le sujet d'une action automatique qui se produit en ou sur lui peut interférer sur cet automatisme et l'interrompre, le modifier, ou ne pas le déranger. Ainsi, je me rend compte que je me gratte la joue :
  • je peux arrêter. (=interruption d'un schéma d'automatisme)
  • je peux me mettre à le faire en contrôlant l'action CONSCIEMMENT, volontairement, (= interruption et récupération d'un automatisme ; en général, cela aboutit à une exécution plus médiocre de l'action comme lorsqu'on marche sans y penser et que, sous le regard de quelques observateurs ou d'une caméra qui nous pointe du regard notre propre automatisme, on se met à vouloir contrôler consciemment sa façon de marcher et, au lieu que ça se fasse naturellement et avec compétence, la démarche devient rigide et maladroite.)
  • ou je peux encore laisser l'action se terminer en me contentant d’observer, voire de commenter. (= DISSOCIATION ; soit parce que l'action est courte et ne laisse pas le temps de se faire interrompre, soit que la personne soit bien « assise » dans la dissociation qui la maintien en position d'observateur. C'est là une caractéristique de l'état de dissociation qu'on appelle transe hypnotique.)
D/ Selon les croyances d'une personne, la dissociation peut être perçue et exprimée à travers de multiples sujets agissants.
Prenons pour ça un autre exemple. On dit rarement « Je bats mon cœur. ». Cette action est en général dissociée du fait de son caractère inexorablement automatique (sauf cas rares de yogi éventuellement). On dit alors « Mon cœur bat ». Mais demandez à plusieurs personne « Qui fait battre votre cœur ? »... si une personne ne refuse pas de répondre à cette question, elle entre nécessairement dans le jeu de celui qui la pose et va lui livrer sur un plateau le mythe (croyance) qui, dans son esprit, sous-tend et explique ce mystère.
  • Mon cerveau fait battre mon cœur
  • Mon corps fait battre mon cœur
  • La Vie qui circule en moi fait battre mon cœur
  • Dieu fait battre mon cœur
  • L'énergie vitale fait battre mon cœur
  • Le Qi (« chi » chinois) fait battre mon cœur
  • l'Amour universel fait battre mon cœur
  • une onde magnétique envoyée par le cerveau d'un grand serpent vert qui vit au centre de la terre fait battre mon cœur
  • l'inconscient fait battre mon cœur
  • « Je » fais battre mon cœur « inconsciemment » (le dernier mot annule le premier ou lui donne une acception nouvelle, abstraite et sujette à discussions).
Et vous saisissez évidemment toute l'absurdité de la supercherie linguistique qui nous pousse à bricoler une réponse la plus proche possible de nos convictions mythologiques profondes sur le monde afin de répondre à une telle question. Et alors, les tenants de telle ou telle réponse pourront se battre pour essayer de se convaincre les uns les autres que leur réponse est plus raisonnable et plus vraie, etc... Quelle différence donc entre les guerres d'écoles en psychologie et les guerres de religion ?

E/ Les personnes soucieuses de l'impact des suggestions, par exemple les hypnotiseurs, conscients de l'importance de ces formulations, sont, en général, particulièrement prudent quant à la façon dont leur langage crée des entités qui prennent la place de l'agent mécanique dans la dissociation.

a) quand un psychologue (ou autre) commence une phrase par « L'inconscient... » ou « Le subconscient... », il pose la réalité de ces entités. Et la différence est énorme, quand on a une autorité intellectuelle sur quelqu'un, entre lui dire : « Des souvenirs vous reviennent » et « Votre inconscient vous permet de vous souvenir ». Dans les deux cas, on exprime une action dissociée : le JE observe CE QUI SE PASSE. On a bien une observation consciente et une action inconsciente. De là dire qu'il existe quelque chose qu'on appellerait inconscient et qui pourrait vous permettre ou non des choses... il s'agit sûrement d'une « façon métaphorique d'expliquer les choses », tout au plus.
b) il existe une différence fondamentale entre :
  • utiliser un outil sémantique : le psychologue peut, par commodité de langage et parce que l'impact suggestif d'une telle dissociation est grand, parler de l'inconscient comme d'une personne dans le cadre du travail mené avec un patient. De même, par commodité, on dit souvent « le cerveau fait ceci ou cela », ou encore « le corps ressent », etc... Cela est de l'ordre de l'outil. En même temps que j'explique les choses, je crée tout un univers de fantômes, d’être hybrides en partie individus agissants, en partie capacités, en partie concepts, en partie organes... La tradition du langage psychologique consiste en cette implication d'entités sémantiques à vocation ontologique. La vulgarisation scientifique fait également cela. Dans ce cadre, dire « votre inconscient est gentil » n'est pas plus farfelu qu'autre chose. Quand on invente un fantôme appelé « inconscient », pourquoi ne pas le pourvoir de la capacité d’être méchant ou gentil. Quelle importance au fond ? Ou est l'erreur ? La thérapie consiste bien souvent a créer un lieu de pensée imaginaire répondant à des règles précises dans lequel on convoque les termes du problème pour les résoudre de façon que cela influe sur l'existence réelle de la personne. La thérapie se situe tout entière dans un langage métaphorique, tout comme le théâtre, la littérature, etc...
  • créer une véritable mystification, favoriser un obscurantisme de la connaissance en traitant, hors du cadre de la fiction, de ces entités comme si elles existaient. Il est facile de comprendre qu'un psychologue utilise l’inconscient, comme il est facile de comprendre qu'un écrivain écrive sur les licornes. Mais dans les deux cas il est difficile de comprendre quelle légitimité ils ont à dire que l'inconscient ou les licornes existent bel et bien, réellement, « scientifiquement ». Quelle différence alors entre littérature, psychologie et religion ?
Pourtant, on ne s'en prive pas. Les phrases impliquant le substantif « inconscient » et lui prêtant des attributs, des capacités, des jugements, des traits de personnalités, etc., on en lit et on en entend quotidiennement. Et l'anthropomorphisme s'épanouit joyeusement. Alors que de leur coté, les neurosciences étudient les comportements et l'action du cerveau exactement sur le modèle de l'explication linguistique que je viens d'évoquer : pendant cette action, y a t-il ou non activation de la zone cérébrale permettant d'attribuer l'action à un JE ? Si oui, l'action sera reconnue comme consciente, et sinon inconsciente. En réalité c'est plutôt : que se passe-t-il dans le cerveau de différent entre une action perçue comme volontaire et la même action perçue comme involontaire et encore la même action non perçue. C'est ainsi qu'on recherche quelle activation du cerveau correspond à la conscience comme identité.
De plus, les neurosciences tendent à montrer que la conscience est toujours en retard sur le choix automatique du cerveau, ce qui tend à confirmer qu'il s'agit d'une impression de conscience, même si toutefois, dans le cadre de l'apprentissage, la conscience reste un chemin d'intégration d'automatismes nouveaux, donc, une capacité d'innovation et de progrès.

En définitive, il me semble utile et efficace dans certains cadres pratiques, de parler de l’inconscient. Mais il est plus prudent d'ajouter qu'on fait « comme si » il existait quelque chose comme l'inconscient et qui corresponde à l'ensemble de nos automatismes, qu'on les observe, qu'on oublie de les observer, ou qu'on ne puisse pas les observer. Et il me semble important de communiquer autant que possible en utilisant l’adverbe « inconsciemment » accolé à un verbe, plutôt que de posé le substantif « inconscient » comme sujet ou objet de la phrase, en particulier dans des articles, publications diverses et communications médiatiques.

2ème élément : La responsabilité.

La personne qui demande si son inconscient est gentil se réfère à un outil de jugement de ce qui est gentil et de ce qui ne l'est pas qui m'échappe totalement. Je ne peux pas en juger comme elle pourrait en juger.
D'aucuns diraient que c'est justement un jugement de la conscience sur l'action inconsciente de l'individu. Or, il est tout-à-fait probable que le fait de juger quelque chose comme gentil ou non se décide neurologiquement de façon très automatique bien avant que ne se développe le sentiment d'avoir volontairement produit ce jugement. D'où le fait de pouvoir accéder à ce jugement prédéterminé soit par la réflexion, soit pas « l'intuition », la sensation, etc... La façon dont je pense juger que c'est gentil n'a pas tellement d'importance puisque je ne prends pas conscience des multiples paramètres sociaux, neurologiques, contextuels, psychologiques, etc., qui entrent en jeu dans ce simple jugement. Ce qui en résulte que le jugement de gentillesse, s'il existe, est un mécanisme inconscient. Par conséquent, savoir si un mécanisme inconscient est gentil ou non, revient à appliquer un mécanisme sur un autre. Savoir si l'inconscient est gentil ou non revient à demander à son poissonnier si son poisson est frais.
Pourtant, dans le cas où on pose un nouveau sujet de l'action (Ma main gratte ma joue, Dieu me fait gratter la joue, le serpent vert me fait gratter la joue, l'esprit d'Einstein me fait gratter la joue, l'univers me fait gratter la joue, l'inconscient me fait gratter la joue...), arrive une autre question : celle de la responsabilité de l'action. Pour faire bref : c'est pas ma faute, c'est ma main ; c'est pas ma faute, c'est Dieu ; c'est pas ma faute, c'est l'esprit d'Einstein ; c'est pas ma faute, c'est le serpent vert ; c'est pas ma faute, c'est l'univers ; c'est pas ma faute, c'est mon inconscient.
Dans le cadre moral de la responsabilité, la dissociation attribuée à un sujet différent du « JE » pose un grand problème. Et dans ce cadre une personne pourrait trouver que « son inconscient est méchant avec elle ». Ca n'a pas de sens dans le cadre de la psychoneurologie, mais ça a du sens notamment dans le cadre de la psychologie qui va considérer que plusieurs forces d'intention peuvent coexister chez une même personne, une étant reconnue comme « JE », et d'autres non. C'est ainsi qu'on peut comprendre les conflits chez l'individu et qu'une personne peut s'opposer à son propre inconscient ou le trouver méchant. Imaginons qu'une partie de moi veuille ma survie, et une autre partie veuille me détruire. Si je m'assimile à la première, j'aurais l'impression que « quelque chose, en moi, veut me détruire malgré mon désir de vivre ». Si je m'assimile à la seconde, je dirais que « Je veux profondément mourir et pourtant, c'est plus fort que moi, il y a en moi comme un instinct de survie, une force de vie qui m’empêche de sombrer ».

3ème élément : la validation par un tiers.

La personne me demande si moi, avec ma grille d'évaluation, je trouve que son inconscient est gentil ou non. Elle me demande donc de valider le fait qu'elle n'est pas responsable. Elle cherche à m'obliger, par un double lien très subtile, à la conforter dans l'idée qu'il y a bien une force en elle qui peut ne pas être gentille ou être gentille, et qu'elle n'y peut rien puisque ça n'est pas elle, et qu'elle n'en est pas responsable mais éventuellement victime et donc à plaindre.
Si je réponds à sa question par un oui ou un non, j'accepte ses règles du jeu et qui l'arrangent sûrement quelque soit ma réponse. Mais en même temps, si je réponds, j’accepte de me laisser manipuler dans un système de pensée qui n'est pas le mien.

Comment répondre ?

Quoi répondre à une question aussi dénuée de sens dans mon cadre de compréhension du monde et pourtant certainement très significative et même chargée de beaucoup d'implications très importantes dans l'univers de cette personne ? Et comment condenser en quelques mots simples une réponse qui invite la personne a adopter mon cadre de compréhension pour tenter de répondre à sa question et ainsi, lui offrir l’opportunité de penser différemment le problème et d'apporter un éclairage nouveau sur toutes les implications personnelles qui se cachent derrière ? En même temps, la question morale, je voulais la reformuler pour l'éclairer autrement mais surtout ne pas y répondre. Et refuser un tel double lien, refuser de m'engager dans une réponse qui ne me concerne pas et échappe à ma compétence demandait que je réponde à sa question par une autre question.

Voilà donc ce que je lui ai répondu :
« Qu'est-ce que vous en pensez ? Si vous me faites du bien sans le faire exprès, c'est gentil quand même de votre part ? Si vous me faites du mal mais sans le faire exprès, c'est méchant quand même de votre part ? Et si c'est à vous-même que vous faite du bien ou du mal, mais sans le faire exprès ? »
Ça condense l'idée d'action involontaire et de jugement moral tout en renvoyant à la dissociation et à la relation à soi. J'ai bien reformulé sa question en termes simples et adéquats à ma conception et sans y répondre. Et pourtant la question reste d'une difficulté extrême. Non, la question « Vous pensez que mon inconscient est gentil ? » n'est pas une question simple. C'est une question qui, en dépit de son apparente naïveté, mélange psychologie et philosophie morale au plus plus profond d'elle-même et pose une énigme digne d'animer toute l'existence d'une personne. Au lieu d'y répondre par soi-même, cette personne a tenté de s'en sortir en me demandant une réponse toute faite. Ça l'aurait sûrement aidé, aiguillé, soulagé. Mais c'est se vouloir gourou ou grand prêtre que de répondre à ces questions à la place des autres. Je l'ai donc laissé repartir avec...

jeudi 5 janvier 2012

Erickson : l'état post-hypnotique et son utilisation, 2ème partie

(Cet article ne se destine pas aux non-professionnels qu'il ennuiera sûrement royalement.)

 Dr Milton Erickson, psychiatre, 1901-1980, USA

Comme nous l'avons déjà évoqué dans la première partie, le fait qu'une prestation post-hypnotique soit accompagnée (partiellement ou totalement) d'un état de transe hypnotique et qu'une interférence dans cette prestation suffise à provoquer l'émergence d'une transe profonde n'est pas seulement une curiosité de la psychologie mais un phénomène qui présente de multiples utilités et laisse entrevoir de multiples applications. En 1941, Erickson constatait déjà que cette transe post-hypnotique permettait entre autres
  • « l'élaboration de critères objectifs pour les états de transe et les conditions de transe,
  • l’entraînement des sujets à développer des transes plus profondes,
  • l'obtention directe de divers phénomènes hypnotiques sans passer par le processus d'induction de transe.
  • De plus, la transe post-hypnotique se rapporte au problème général de la dissociation,
  • aux divers problèmes des phénomènes hypnotiques individuels, tels que le rapport hypnotique, l'amnésie, les souvenirs sélectifs, la catalepsie et les états dissociés,
  • et aux implications générales des phénomènes post-hypnotiques sur le plan expérimental et thérapeutique. »

A. La TPH comme preuve de l'hypnose.

Tout d'abord, Erickson insiste sur la valeur de la transe spontanée comme « preuve » de la transe d'origine. En clair, lorsqu'il y a vraiment besoin de savoir si un sujet a été hypnotisé ou a simplement simulé avec une complaisance involontaire les comportements qui étaient attendus de lui, il suffirait de lui proposer une suggestion post-hypnotique puis d'observer si l'exécution de celle-ci passe par une phrase de réorientation vers la transe et si les interférences plongent bel-et-bien le sujet dans un abyme de stupeur hypnotique. Cette idée pose question, cependant, dans le cadre expérimental ou pédagogique, ou lors de démonstrations, ou lors de spectacles d'hypnose, ou pour trancher les discussions entre hypnotiseurs, ce type de preuve de la transe par la suggestion post-hypnotique s'avère redoutablement efficace et même nécessaire pour la cartographie IRM de la transe.
Erickson ajoute : « Apparemment, la transe post-hypnotique est un phénomène séquentiel ; elle se fonde sur la transe originale et constitue en réalité une reviviscence des éléments hypnotiques de cette transe. » On perçoit évidemment l'importance de cette remarque pour une utilisation thérapeutique de la transe post-hypnotique. Par exemple, si lors d'une transe hypnotique particulièrement active et dynamique, je suggère l'exécution d'une tâche automatique par le sujet juste avant de s'endormir, dans le but d'exploiter la transe qui accompagnera la tâche, j'ai des chances d'induire malheureusement un type de transe dynamique au moment du sommeil, sauf si la tâche consiste précisément à se détendre et à s'endormir, ou comprend ces comportements.
Erickson précise justement que la formulation de la suggestion post-hypnotique peut comprendre des suggestions impliquant une transe post-hypnotique différente de la transe d'origine. C'est notamment un léger flou introduit dans l'instruction qui empêchera la reproduction exacte de la transe tandis qu'une formulation extrêmement précise impliquera souvent une réminiscence fidèle. Inutile de préciser ici cet aspect technique et très spécifique de formulation des suggestions.
Notons seulement qu'il est l'occasion pour Erickson de rappeler qu' « on ne devrait jamais supposer que le sujet comprend les instructions de la même façon que l'hypnotiste. Pas plus qu'on ne devrait supposer qu'une même formulation doive nécessairement véhiculer le même sens pour des sujets différents. »

Erickson fait reposer ce principe de test sur « l'incapacité à développer une transe spontanée lors de l'exécution apparente de la suggestion post-hypnotique chez des sujets qui,
  • soit manifestaient de la complaisance,
  • soit étaient trop empressés à croire qu'ils étaient en transe,
  • soit avaient réussi, pour diverses raisons, à simuler un état hypnotique. »
Et également sur ces personnes qui « vont réellement aller dans une transe hypnotique profonde mais qui, pour des raisons qui leur sont propres,
  • semblent incapables de réaliser le fait qu'elles ont été hypnotisées
  • ou ne peuvent se l'avouer,
  • et refusent donc de croire qu'elles sont ou ont été hypnotisées.
Ces sujets développent toujours une transe spontanée à l'exécution des suggestions hypnotiques, un événement qui en lui-même constitue souvent un moyen efficace pour corriger leur état d'esprit et leurs croyances erronées. » Ce que certains appellent aujourd'hui, un « convincer », ou un recadrage.

La transe post-hypnotique permet donc de repérer les simulations, même quand le sujet se trompe lui-même, de confirmer la transe aux sceptiques, et d'autres preuves encore.

B. La TPH comme méthode rapide d'induction d'un somnambulisme hypnotique.

L'utilisation la plus intéressante de la transe post-hypnotique n'est sûrement pas son rôle de test. Pour introduire d'autres utilisations, Erickson rapporte un exemple charmant que j'aimerais citer ici :
« Une enfant de cinq ans, qui n'avait jamais assisté à une transe hypnotique fut reçue seule par l'hypnotiste (je rappelle que c'est ainsi qu'Erickson se désigne lui-même). Elle fut installée sur une chaise et il lui répéta à maintes reprises de « dormir » et de « dormir très profondément », tout en tenant sa poupée préférée. Elle ne reçut aucune autre sorte de suggestion jusqu'à ce qu'elle fut apparemment profondément endormie pour quelques temps. Ensuite, il lui dit, comme suggestion post-hypnotique, qu'un autre jour l'hypnotiste lui poserait des questions à propos de sa poupée, après quoi elle devrait (a) la placer sur une chaise, (b) s'asseoir à coté d'elle, et (c) attendre que la poupée s'endorme. Après avoir répété plusieurs fois ces instructions, il lui dit de se réveiller et de continuer à jouer. Il eut recours à cette triple suggestion post-hypnotique puisque y obéir amènerait progressivement le sujet dans une attitude essentiellement statique. Le troisième volet, en particulier, exigeait une forme de réponse passive et prolongée qui nécessiterait la persistance de la transe post-hypnotique spontanée.
Quelques jour plus tard, alors qu'elle jouait, il l'interrogea l'air de rien sur sa poupée. Elle sortir la poupée de son berceau, la montra fièrement et expliqua alors que la poupée était fatiguée et voulait dormir, et tout en parlant, elle l'installa, sur la chaise et s'assit tranquillement à coté d'elle pour la regarder. Elle donna bientôt l'impression d’être dans un état de transe, alors que ses yeux étaient encore ouverts. Quand l'hypnotiste lui demanda ce qu'elle faisait, elle répondit : « j'attends », et elle hocha affirmativement la tête quand il lui dit d'un ton insistant : « Reste juste comme tu es et continue à attendre. » Il fit alors des tests, tout en évitant ce qui pourrait provoquer une manifestation qui ne serait qu'une réaction à une quelconque suggestion hypnotique involontaire ; il retrouva une large variété de phénomènes typiques de la transe induite de manière habituelle ».

La fillette faisait montre d'une catalepsie générale l’empêchant de bouger de sa position initiale. Elle développa également des hallucinations visuelles positives (on a enlevé la poupée et elle continue de la surveiller comme si de rien n'était). De même, elle ne réagissait qu'aux stimuli provenant de l'hypnotiseur et ne semblait pas percevoir les autres personnes ni réagir à ce qu'ils faisaient. Par la suite, elle démontra une amnésie totale de la transe et reprit la conversation là où elle avait bifurqué sur la transe spontanée comme si de rien n'était.

Rappelons qu'en 1941, cette « astuce » pour induire une transe somnambulique directement à partir d'un sommeil hypnotique sans passer par le développement progressif de tous les comportements du somnambulisme constituait une véritable innovation. Aujourd'hui, elle fait ou devrait faire partie des méthodes couramment utilisées pour l'induction de la transe hypnotique somnambulique. La seule différence est que les hypnotiseurs ont beaucoup plus rarement qu'à l'époque recours au somnambulisme hypnotique.

La transe post-hypnotique est une méthode express d’entraînement à l'hypnose :
« On reconnaît en général l'importance de répéter des inductions de transe pour obtenir des états hypnotiques plus profonds, mais la prestation post-hypnotique et la transe qui l'accompagne permettent d'atteindre cet objectif de façon plus satisfaisante et plus facile. Il en est surtout ainsi parce que la prestation post-hypnotique fournit l'occasion d'obtenir rapidement un état de transe, sans que les sujets s'y attendent et n'aient l'occasion de s'y préparer ni d'adapter de quelque manière leur comportement »
Pour Erickson, c'est l'alternative à la suggestion, et notamment à l’entraînement laborieux par la suggestion d'une dissociation par rapport aux schémas de comportement de l'état d'éveil.

C. La TPH en thérapie.

« En situation thérapeutique, l'utilisation de la transe post-hypnotique spontanée possède des mérites particuliers pour la psychothérapie hypnotique, puisqu'elle évite le développement des résistances et rend le patient particulièrement sensible aux suggestions thérapeutiques. De plus, l'amnésie qui suit cette transe spontanée est moins facilement rompue par le désir du patient de se souvenir des suggestions qu'il a reçues comme c'est si souvent le cas dans les transes induites. Il y a donc moins de risque que le patient conteste la psychothérapie dispensée. De plus, la transe post-hypnotique spontanée permet de combiner facilement la thérapie à l'état vigile et à l'état hypnotique, ce qui est souvent absolument essentiel pour obtenir de bons résultats. »

D. La TPH comme dissociation réelle ; perspective et problèmes.

Dans la suite de l'article, Erickson explique en quoi la transe post-hypnotique est une dissociation, c'est-à-dire bel et bien une transe. L'action programmée ne s'intègre par à ce que le sujet est en train de faire à l'état d'éveil. Le sujet s'interrompt, change d'attitude et de comportement, exécute sa tâche avec ou sans interférence, puis reprend le fil de son activité, avec une amnésie totale de l'interruption. Pour Erickson, cette dissociation ouvre de grande perspective expérimentale. Pour ma part, j'aimerais souligner que c'est précisément cela que trop d'hypnotiseurs semblent négliger quand ils « s'amusent » à programmer des comportements (internes ou externes) à des sujets aussi bien en hypnose de spectacle qu'en hypnothérapie. Ces comportements automatiques ne vont pas s'ajouter au comportement normal de la personne mais interférer avec lui. Par exemple, si je demande à un sujet, lorsqu'il parle en public, d'adopter une attitude de parfaite conviction et de parfaite aisance à chaque fois que son regard croisera celui de telle ou telle personne, je prend le risque que l'exécution de ce changement programmé entraîne une réminiscence de la transe d'origine, une rupture du fil de comportement et des trous de mémoire chez le sujet. Dans la pratique, on s’aperçoit qu'il existe des façons de formuler les suggestions qui permettent qu'elles agissent non pas à un niveau « post-hypnotique », mais comme l'amélioration d'un comportement à l'état vigile. Cependant, ce fait entraîne la nécessité d'un savoir-faire et confirme que l'hypnose n'est pas un jeu d'amateur mais l'affaire de professionnels éclairés et nécessite une formation solide à ses aspects les plus spécifiques.

Il est possible, comme l'explique Erickson, de superposer une action consciente et une prestation post-hypnotique. Cependant, cela demande de bien formuler la suggestion sans évoquer l'action consciente afin de na pas induire un va-et-vient d'un état à un autre, d'un tache à une autre.
« Dans l'approche expérimentale du concept de dissociation, le problème consiste en fait à concevoir une technique qui assure l'indépendance des tâches malgré la simultanéité des prestations ».

Les développements ultérieurs d'Erickson sur le problème de la simultanéité des tâches à des niveaux différents de conscience introduit une réflexion possible sur les techniques d’entraînement à l'hypnose par la saturation. C'est la question du partage de l'attention et la circonscription d'une tâche à une partie d'une autre. Mais c'est là un thème que je garde pour plus tard.

Je ne peux que vous inviter à lire les cas rapportés dans cet article et que je peux malheureusement pas tous citer et notamment les expériences avec le garçon de ferme ou avec les sténographes.

Bonne lecture...