mardi 10 janvier 2012

L'Inconscient : un fantôme linguistique un peu encombrant

 
Hier une personne m'a demandé :

« Est-ce que vous pensez que mon inconscient est gentil ? » 

Évidemment, cette question est pleine d'implications. Dans cette simple phrase, on peut lire beaucoup d'informations cachées :
  • cette personne considère qu'il existe une entité ontologique telle qu'on puisse la désigner sous le nom de « inconscient ».
  • elle considère qu'il en existe autant que d'individu et qu'elle en possède un en propre.
  • cette personne accorde à cet « inconscient » des attributs d'intention habituellement attribués aux humains ou, dans certains cas, aux animaux, comme la gentillesse. (vision anthropomorphe de l'inconscient)
  • si elle me demande c'est que cette personne considère qu'elle n'a pas la compétence pour savoir seule si cet « inconscient » est ou non gentil (peut-être même suppose-t-elle qu'elle ne le connaît pas)
  • cette personne considère que moi, en tant que professionnel de ces affaires-là, j'ai une meilleure connaissance qu'elle de son « inconscient » et que j'ai la possibilité de lire dans ses intentions pour savoir si celui-ci est « gentil » ou non.
  • À la fois, elle utilise le verbe « penser », donc elle ne considère pas que j'ai une connaissance de la chose mais une simple opinion, une intuition.
  • Sa question implique aussi que divers inconscients peuvent avoir des attributs moraux différents. Un peut être gentil, et un autre non. Et le sien ? C'est à moi de dire.
  • Etc...
En entendant cette question, il m'est apparu qu'aucune des croyances et des suppositions qui la sous-tendent ne me semblait raisonnable. Lorsqu'on reconnaît à travers le discours de quelqu'un ses croyances, il est tout-à-fait raisonnable de les adopter temporairement afin de communiquer avec cette personne par un langage commun et compréhensible. C'est ce qui est recommandé en thérapie et qu'on appelle : la synchronisation.
Or, cette question n'entrant pas dans un cadre professionnel, il me tenait à cœur de faire passer un message différent et d'amener la personne à adopter temporairement le langage de mes convictions qui me semblent, évidemment, plus proche de la raison, mais surtout, et je pense qu'il est raisonnable de le penser, reposent sur des connaissances légèrement plus informées.
Le niveau de connaissance actuel sur le fonctionnement du cerveau permet d'avoir de la conscience et de l'inconscient une compréhension plus rationnelle que celle qui sous-tend cette phrase.

Cependant, n'étant pas neurologue, c'est en termes de langage que je vais donner à comprendre cette conception.

1er élément : Dissociation et sujet de la phrase

Nommer quelque chose ne le fait pas exister, (sauf dans des conceptions éidétiques qui me semblent hors de propos ici).
Le substantif « un inconscient » est un dérivé de l'adjectif « inconscient ». Or, il est pertinent d’utiliser les adverbes « inconsciemment » et « consciemment » pour réellement comprendre de quoi il s'agit.

Imaginons une action simple depuis différents point de vue :

A/ Je parle avec quelqu'un et, sans y prêter attention, je me gratte la joue. Cette personne, observateur extérieur qui lui y a prêté attention me dit : « Tu t'es gratté la joue ».
  1. Pour lui, le sujet de l'action c'est « TU », c'est-à-dire moi, dans l'ensemble. (= je crois reconnaître chez l'autre une conscience : altérité)
  2. Pour moi, au moment de l'action, je n'avais aucune conscience de l'action, donc pas de sujet, pas de verbe, rien. (= l'action s'est déroulé totalement automatiquement, sans que j'en prenne conscience, INCONSCIEMMENT)
  3. Quand la personne me fait remarquer cela, je me souviens et je me vois comme il m'a vu, je m'observe mentalement dans le souvenir et je fais la même remarque que lui : « JE » me suis gratté la joue. (= altérité puisque ce jeu est quelqu'un d'autre que j'observe sur l'image de mon souvenir. Je confonds le souvenir et l'action souvenue)
B/ Je parle avec quelqu'un et il me dit : « s'il te plaît, gratte-toi la joue ». J 'ai pris conscience de sa demande, et si je le fais, je peux vraiment avoir le sentiment que « JE me gratte la joue ». Le sujet de l'action, c'est JE, donc moi. En ce cas, on considère que l'action est faite CONSCIEMMENT.

C/ Je parle avec quelqu'un, il se gratte la joue, et cela me fait me gratter la joue automatiquement. Il me le fait remarquer sur le coup.
  1. Bien que je n'ai pas pris consciemment la décision de le faire, il n'est pas trop tard pour que je reconnaisse que c'est une partie de moi qui me gratte la joue, donc moi, donc « JE me gratte la joue ». Là encore, on peut considérer que, même si on ne sait pas trop pourquoi on le fait, on fait l'action CONSCIEMMENT, puisqu'on observe consciemment l'action. On confond l'observation et l'action observée.
  2. Comme je surprends l'action en cours et qui s'est décidée « sans moi », je pourrais faire la remarque suivante : « ma main gratte ma joue ». Le sujet de l'action est la main et non plus moi. La partie est dissociée du tout. C'est la définition-même de la dissociation. C'est une façon de désigner par la dissociation une action qui se fait INCONSCIEMMENT bien que l'observation puisse s'en faire CONSCIEMMENT. L'observation consciente par le sujet d'une action automatique qui se produit en ou sur lui peut interférer sur cet automatisme et l'interrompre, le modifier, ou ne pas le déranger. Ainsi, je me rend compte que je me gratte la joue :
  • je peux arrêter. (=interruption d'un schéma d'automatisme)
  • je peux me mettre à le faire en contrôlant l'action CONSCIEMMENT, volontairement, (= interruption et récupération d'un automatisme ; en général, cela aboutit à une exécution plus médiocre de l'action comme lorsqu'on marche sans y penser et que, sous le regard de quelques observateurs ou d'une caméra qui nous pointe du regard notre propre automatisme, on se met à vouloir contrôler consciemment sa façon de marcher et, au lieu que ça se fasse naturellement et avec compétence, la démarche devient rigide et maladroite.)
  • ou je peux encore laisser l'action se terminer en me contentant d’observer, voire de commenter. (= DISSOCIATION ; soit parce que l'action est courte et ne laisse pas le temps de se faire interrompre, soit que la personne soit bien « assise » dans la dissociation qui la maintien en position d'observateur. C'est là une caractéristique de l'état de dissociation qu'on appelle transe hypnotique.)
D/ Selon les croyances d'une personne, la dissociation peut être perçue et exprimée à travers de multiples sujets agissants.
Prenons pour ça un autre exemple. On dit rarement « Je bats mon cœur. ». Cette action est en général dissociée du fait de son caractère inexorablement automatique (sauf cas rares de yogi éventuellement). On dit alors « Mon cœur bat ». Mais demandez à plusieurs personne « Qui fait battre votre cœur ? »... si une personne ne refuse pas de répondre à cette question, elle entre nécessairement dans le jeu de celui qui la pose et va lui livrer sur un plateau le mythe (croyance) qui, dans son esprit, sous-tend et explique ce mystère.
  • Mon cerveau fait battre mon cœur
  • Mon corps fait battre mon cœur
  • La Vie qui circule en moi fait battre mon cœur
  • Dieu fait battre mon cœur
  • L'énergie vitale fait battre mon cœur
  • Le Qi (« chi » chinois) fait battre mon cœur
  • l'Amour universel fait battre mon cœur
  • une onde magnétique envoyée par le cerveau d'un grand serpent vert qui vit au centre de la terre fait battre mon cœur
  • l'inconscient fait battre mon cœur
  • « Je » fais battre mon cœur « inconsciemment » (le dernier mot annule le premier ou lui donne une acception nouvelle, abstraite et sujette à discussions).
Et vous saisissez évidemment toute l'absurdité de la supercherie linguistique qui nous pousse à bricoler une réponse la plus proche possible de nos convictions mythologiques profondes sur le monde afin de répondre à une telle question. Et alors, les tenants de telle ou telle réponse pourront se battre pour essayer de se convaincre les uns les autres que leur réponse est plus raisonnable et plus vraie, etc... Quelle différence donc entre les guerres d'écoles en psychologie et les guerres de religion ?

E/ Les personnes soucieuses de l'impact des suggestions, par exemple les hypnotiseurs, conscients de l'importance de ces formulations, sont, en général, particulièrement prudent quant à la façon dont leur langage crée des entités qui prennent la place de l'agent mécanique dans la dissociation.

a) quand un psychologue (ou autre) commence une phrase par « L'inconscient... » ou « Le subconscient... », il pose la réalité de ces entités. Et la différence est énorme, quand on a une autorité intellectuelle sur quelqu'un, entre lui dire : « Des souvenirs vous reviennent » et « Votre inconscient vous permet de vous souvenir ». Dans les deux cas, on exprime une action dissociée : le JE observe CE QUI SE PASSE. On a bien une observation consciente et une action inconsciente. De là dire qu'il existe quelque chose qu'on appellerait inconscient et qui pourrait vous permettre ou non des choses... il s'agit sûrement d'une « façon métaphorique d'expliquer les choses », tout au plus.
b) il existe une différence fondamentale entre :
  • utiliser un outil sémantique : le psychologue peut, par commodité de langage et parce que l'impact suggestif d'une telle dissociation est grand, parler de l'inconscient comme d'une personne dans le cadre du travail mené avec un patient. De même, par commodité, on dit souvent « le cerveau fait ceci ou cela », ou encore « le corps ressent », etc... Cela est de l'ordre de l'outil. En même temps que j'explique les choses, je crée tout un univers de fantômes, d’être hybrides en partie individus agissants, en partie capacités, en partie concepts, en partie organes... La tradition du langage psychologique consiste en cette implication d'entités sémantiques à vocation ontologique. La vulgarisation scientifique fait également cela. Dans ce cadre, dire « votre inconscient est gentil » n'est pas plus farfelu qu'autre chose. Quand on invente un fantôme appelé « inconscient », pourquoi ne pas le pourvoir de la capacité d’être méchant ou gentil. Quelle importance au fond ? Ou est l'erreur ? La thérapie consiste bien souvent a créer un lieu de pensée imaginaire répondant à des règles précises dans lequel on convoque les termes du problème pour les résoudre de façon que cela influe sur l'existence réelle de la personne. La thérapie se situe tout entière dans un langage métaphorique, tout comme le théâtre, la littérature, etc...
  • créer une véritable mystification, favoriser un obscurantisme de la connaissance en traitant, hors du cadre de la fiction, de ces entités comme si elles existaient. Il est facile de comprendre qu'un psychologue utilise l’inconscient, comme il est facile de comprendre qu'un écrivain écrive sur les licornes. Mais dans les deux cas il est difficile de comprendre quelle légitimité ils ont à dire que l'inconscient ou les licornes existent bel et bien, réellement, « scientifiquement ». Quelle différence alors entre littérature, psychologie et religion ?
Pourtant, on ne s'en prive pas. Les phrases impliquant le substantif « inconscient » et lui prêtant des attributs, des capacités, des jugements, des traits de personnalités, etc., on en lit et on en entend quotidiennement. Et l'anthropomorphisme s'épanouit joyeusement. Alors que de leur coté, les neurosciences étudient les comportements et l'action du cerveau exactement sur le modèle de l'explication linguistique que je viens d'évoquer : pendant cette action, y a t-il ou non activation de la zone cérébrale permettant d'attribuer l'action à un JE ? Si oui, l'action sera reconnue comme consciente, et sinon inconsciente. En réalité c'est plutôt : que se passe-t-il dans le cerveau de différent entre une action perçue comme volontaire et la même action perçue comme involontaire et encore la même action non perçue. C'est ainsi qu'on recherche quelle activation du cerveau correspond à la conscience comme identité.
De plus, les neurosciences tendent à montrer que la conscience est toujours en retard sur le choix automatique du cerveau, ce qui tend à confirmer qu'il s'agit d'une impression de conscience, même si toutefois, dans le cadre de l'apprentissage, la conscience reste un chemin d'intégration d'automatismes nouveaux, donc, une capacité d'innovation et de progrès.

En définitive, il me semble utile et efficace dans certains cadres pratiques, de parler de l’inconscient. Mais il est plus prudent d'ajouter qu'on fait « comme si » il existait quelque chose comme l'inconscient et qui corresponde à l'ensemble de nos automatismes, qu'on les observe, qu'on oublie de les observer, ou qu'on ne puisse pas les observer. Et il me semble important de communiquer autant que possible en utilisant l’adverbe « inconsciemment » accolé à un verbe, plutôt que de posé le substantif « inconscient » comme sujet ou objet de la phrase, en particulier dans des articles, publications diverses et communications médiatiques.

2ème élément : La responsabilité.

La personne qui demande si son inconscient est gentil se réfère à un outil de jugement de ce qui est gentil et de ce qui ne l'est pas qui m'échappe totalement. Je ne peux pas en juger comme elle pourrait en juger.
D'aucuns diraient que c'est justement un jugement de la conscience sur l'action inconsciente de l'individu. Or, il est tout-à-fait probable que le fait de juger quelque chose comme gentil ou non se décide neurologiquement de façon très automatique bien avant que ne se développe le sentiment d'avoir volontairement produit ce jugement. D'où le fait de pouvoir accéder à ce jugement prédéterminé soit par la réflexion, soit pas « l'intuition », la sensation, etc... La façon dont je pense juger que c'est gentil n'a pas tellement d'importance puisque je ne prends pas conscience des multiples paramètres sociaux, neurologiques, contextuels, psychologiques, etc., qui entrent en jeu dans ce simple jugement. Ce qui en résulte que le jugement de gentillesse, s'il existe, est un mécanisme inconscient. Par conséquent, savoir si un mécanisme inconscient est gentil ou non, revient à appliquer un mécanisme sur un autre. Savoir si l'inconscient est gentil ou non revient à demander à son poissonnier si son poisson est frais.
Pourtant, dans le cas où on pose un nouveau sujet de l'action (Ma main gratte ma joue, Dieu me fait gratter la joue, le serpent vert me fait gratter la joue, l'esprit d'Einstein me fait gratter la joue, l'univers me fait gratter la joue, l'inconscient me fait gratter la joue...), arrive une autre question : celle de la responsabilité de l'action. Pour faire bref : c'est pas ma faute, c'est ma main ; c'est pas ma faute, c'est Dieu ; c'est pas ma faute, c'est l'esprit d'Einstein ; c'est pas ma faute, c'est le serpent vert ; c'est pas ma faute, c'est l'univers ; c'est pas ma faute, c'est mon inconscient.
Dans le cadre moral de la responsabilité, la dissociation attribuée à un sujet différent du « JE » pose un grand problème. Et dans ce cadre une personne pourrait trouver que « son inconscient est méchant avec elle ». Ca n'a pas de sens dans le cadre de la psychoneurologie, mais ça a du sens notamment dans le cadre de la psychologie qui va considérer que plusieurs forces d'intention peuvent coexister chez une même personne, une étant reconnue comme « JE », et d'autres non. C'est ainsi qu'on peut comprendre les conflits chez l'individu et qu'une personne peut s'opposer à son propre inconscient ou le trouver méchant. Imaginons qu'une partie de moi veuille ma survie, et une autre partie veuille me détruire. Si je m'assimile à la première, j'aurais l'impression que « quelque chose, en moi, veut me détruire malgré mon désir de vivre ». Si je m'assimile à la seconde, je dirais que « Je veux profondément mourir et pourtant, c'est plus fort que moi, il y a en moi comme un instinct de survie, une force de vie qui m’empêche de sombrer ».

3ème élément : la validation par un tiers.

La personne me demande si moi, avec ma grille d'évaluation, je trouve que son inconscient est gentil ou non. Elle me demande donc de valider le fait qu'elle n'est pas responsable. Elle cherche à m'obliger, par un double lien très subtile, à la conforter dans l'idée qu'il y a bien une force en elle qui peut ne pas être gentille ou être gentille, et qu'elle n'y peut rien puisque ça n'est pas elle, et qu'elle n'en est pas responsable mais éventuellement victime et donc à plaindre.
Si je réponds à sa question par un oui ou un non, j'accepte ses règles du jeu et qui l'arrangent sûrement quelque soit ma réponse. Mais en même temps, si je réponds, j’accepte de me laisser manipuler dans un système de pensée qui n'est pas le mien.

Comment répondre ?

Quoi répondre à une question aussi dénuée de sens dans mon cadre de compréhension du monde et pourtant certainement très significative et même chargée de beaucoup d'implications très importantes dans l'univers de cette personne ? Et comment condenser en quelques mots simples une réponse qui invite la personne a adopter mon cadre de compréhension pour tenter de répondre à sa question et ainsi, lui offrir l’opportunité de penser différemment le problème et d'apporter un éclairage nouveau sur toutes les implications personnelles qui se cachent derrière ? En même temps, la question morale, je voulais la reformuler pour l'éclairer autrement mais surtout ne pas y répondre. Et refuser un tel double lien, refuser de m'engager dans une réponse qui ne me concerne pas et échappe à ma compétence demandait que je réponde à sa question par une autre question.

Voilà donc ce que je lui ai répondu :
« Qu'est-ce que vous en pensez ? Si vous me faites du bien sans le faire exprès, c'est gentil quand même de votre part ? Si vous me faites du mal mais sans le faire exprès, c'est méchant quand même de votre part ? Et si c'est à vous-même que vous faite du bien ou du mal, mais sans le faire exprès ? »
Ça condense l'idée d'action involontaire et de jugement moral tout en renvoyant à la dissociation et à la relation à soi. J'ai bien reformulé sa question en termes simples et adéquats à ma conception et sans y répondre. Et pourtant la question reste d'une difficulté extrême. Non, la question « Vous pensez que mon inconscient est gentil ? » n'est pas une question simple. C'est une question qui, en dépit de son apparente naïveté, mélange psychologie et philosophie morale au plus plus profond d'elle-même et pose une énigme digne d'animer toute l'existence d'une personne. Au lieu d'y répondre par soi-même, cette personne a tenté de s'en sortir en me demandant une réponse toute faite. Ça l'aurait sûrement aidé, aiguillé, soulagé. Mais c'est se vouloir gourou ou grand prêtre que de répondre à ces questions à la place des autres. Je l'ai donc laissé repartir avec...

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