mercredi 13 juin 2012

Petit cours sur la suggestion

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Pierre Janet (1859-1947)


Avant-propos : 
 
Il y a deux sortes d'influence à distinguer :
- action : inciter une personne à faire quelque chose en pensant qu'elle le fait de sa propre décision.
- représentation : influencer (sur le coup ou par avance) la façon dont une personne pense, ou va comprendre, interpréter, apprécier, ressentir quelque chose.

Les deux formes d'influence peuvent être liées puisqu'on peut passer par l'une pour parvenir à l'autre et que l'une comme l'autre peuvent passer par le fait d'influencer les croyances d'une personne, se attentes, etc...

Cependant il y a bien une différence notoire :

Si je dis à une personne « Ne pensez surtout pas à un bateau rose qui flotte dans le ciel ». En m'entendant prononcer ces mots, la personne ne peut pas ne pas se représenter un bateau rose qui flotte dans le ciel, surtout si je ne le dis pas trop vite. Elle y pensera à coup sûr. Le verbe « penser » renvoie à une représentation, et c'est une chose bien difficilement contrôlable volontairement. Qui n'a pas joué à évoquer des plats succulents pour faire saliver un ami qui vient de dire qu'il avait très faim ?

En revanche, si je dis à une personne « Ne me paye surtout pas un verre. » Il y a des chances que je meure de soif avant qu'elle décide, par esprit de contradiction de m'offrir un verre. C'est une action contrôlable, et la personne peut tout-à-fait facilement décider de le faire ou non. Commander à l'action de quelqu'un est une influence possible mais qui demande plus de subtilité et de discrétion dans la formulation. On privilégiera les suggestions indirectes et imperceptibles (subliminales).

C'est donc à l'influence des représentations que nous allons nous intéresser ici et non pas des actions.

Encore un détail important : dans un état ordinaire de conscience, la suggestion n'est pas une commande à laquelle on ne peut pas résister, c'est juste une nuance qui vise à influencer, mais qui n'est pas sûre de réussir. C'est pourquoi, en général, on combine diverses suggestions entre elles pour augmenter les chances de succès. L'efficacité de la suggestion dépend de beaucoup de paramètres extérieurs, et la même suggestion n'aura pas la même efficacité sur des personnes différentes, à des moments différents, prononcées de façons différentes, ou par des personnes différentes.

Nous ne traiterons pas ici de la suggestion dans un état d'hypnose ou dans un autre état altéré puisque alors les règles sont bien différentes. Il s'agit simplement ici de la suggestion dans la communication ordinaire, dans une relation normale, dans un état normal. 

 
Propos :

Prenons donc une expérience simple :

Je tends un seau d'eau tiède à une personne. Je veux qu'elle mette la main dans le seau et qu'elle trouve que l'eau est chaude. Pour qu'elle mette la main dans le seau, je vais simplement le lui demander.
Mais pour qu'elle trouve l'eau chaude alors qu'elle est parfaitement tiède, il faut que j'use de suggestions afin d'influencer son appréciation.

Voici donc une liste de formulations (quelques exemples seulement) suivies d'un petit commentaire sur leur pertinence dans cette expérience :

1. affirmation
  • L'eau est chaude
en anglais statement, affirmation. Jugement. Ca n'est pas une suggestion mais une pure affirmation. Le fait d'exprimer aussi sèchement mon opinion pourra influencer l'autre tout de même si nous sommes dans une relation où j'ai une grand influence morale sur lui, ou que cette personne a une tendance à accorder très peu de confiance à son jugement, ou si cette personne veut profondément aller dans mon sens. Mais dans tous les autres cas, une personne dans un état ordinaire de relation critique (non hypnotisée et personnalité mature) ne subira aucune influence.

2. instruction
  • Trouve que l'eau est chaude !
  • Je veux que tu trouves que l'eau est chaude !
  • L'eau te semble chaude !
Ces phrases sont des ordres purs et simples et pas encore des suggestions. Or les ordres portant sur la sensation ne seront presque jamais obéis sincèrement hors d'un état hypnotique. La personne pourra éventuellement mentir si elle ressent une forte pression de l'autorité. Mais le fait de lui ordonner ne lui fera pas pour autant sentir que l'eau est chaude. Au contraire, beaucoup de gens auront une tendance à prendre le contre-pied pour ne pas se soumettre à l'autorité directe. Il faudrait les combiner avec des techniques de soumission (compliance), comme la réciprocité, le fait de se rendre aimable, la concession, etc., mais ça n'est vraiment pas notre propos, d'autant que ça ne semble pas très pertinent lorsqu'il s'agit de représentations et de jugements.

3. suggestion directe
  • Tu as vu comme l'eau est chaude ?
  • Mets ta main dans l'eau si chaude

  • Attention, elle est peut-être chaude. 

  • Tu vas peut-être la trouver chaude. 

Ce sont déjà des suggestions car des tentatives d'influencer le jugement mais dites « directes » parce que le fait que l'eau soit chaude est encore central, et la suggestion est très évidente pour quiconque.

4. suggestion indirecte par présuppositions
  • Si tu veux te réchauffer, mets ta main dans l'eau ;
  • Est-ce que l'eau est plus chaude dés que tu y mets la main ou après quelques secondes ?
  • Est-ce que la chaleur de l'eau est encore supportable ou limite ?

Ici, on fait porter l'attention de la personne sur quelque chose qui présuppose déjà que l'eau est chaude. Dans les présuppositions, il y a plusieurs catégories (double-liens, implications...) que nous ne détaillerons pas ici.

5. suggestion indirecte par évocation
  • Je boue d'impatience de connaître ton avis. Tu sais comment parfois on peut percevoir les choses différemment les uns des autres. Quand on partage son avis sur quelque chose parfois, ça devient chaud, même. Quand il fait 30°c, si tu viens d'Egypte, tu n'auras pas chaud alors qu'un norvégien pourra vraiment trouver qu'il fait trop chaud. Tiens, mets ta main dans l'eau, doucement, fais attention et dis-moi comment tu la trouves ?

Suggestions subliminales. Le choix des mots, les idées mises en avant, les exemples, etc. évoquent tous ce que je veux suggérer : de la chaleur + le fait qu'une sensation est subjective (donc le fait qu'on peut s'illusionner). Cela crée un faisceau convergent d'associations d'idées qui favorisent le fait que la personne trouve l'eau chaude puisque l'idée de chaleur est déjà installée en elle au moment de l'expérience. Si la suggestion est suffisamment subtile (ce qui n'est volontairement pas le cas dans l'exemple ci-dessus), la personne ne s’aperçoit pas du tout que son jugement a été modifié par l'autre et croit que ce qu'elle fait ne vient que d'elle. C'est pourquoi il s'agit du style le plus indirect de suggestions et qui, utilisé très subtilement permet une influence très forte. Evidemment, plus on fera converger d'idées, de mots, d'images, etc... suggérant tous la même représentation et plus on aura de chance que la personne se laisse influencer par tout cela. Egalement, on aura soin de faire toutes ces suggestions dans un climat d’approbation (que la personne ait tendance à nous écouter en opinant positivement du chef).
Là aussi il y a des catégories (saupoudrage, etc...) mais qui ne nous semblent pas toujours pertinentes et pas utiles à détailler ici. 


Les suggestions non verbales : 


La pantomime : c'est un type de suggestions particulièrement efficaces si exécuté subtilement et non sur-joué. Je peux par exemple, mettre la main dans le seau moi-même mais faire mine de me brûler puis souffler sur ma main comme pour la refroidir. Le oui et le non : c'est une forme de suggestion non-verbale combinée à la suggestion verbale. Je peux dire par exemple « l'eau est peut-être froide, ou tiède ou alors l'eau est très chaude ». Et au moment ou je dis les mots « froide » et « tiède », je fais un léger geste « non » de la tête et peut-être une légère moue d'incrédulité. Lorsque je dis « l'eau est chaude » je le dis avec une voix légèrement plus projetée, plus assurée et en faisant un geste « oui » de la tête avec une expression de conviction. Cette suggestion, si elle est répétée et combinée avec d'autres est étonnamment très efficace avant et pendant l'expérience. L'effet de contraste : je peux mettre un seau d'eau glacée et un seau d'eau tiède. Je demande alors à la personne de mettre d'abord la main dans l'eau glacée avant de la mettre dans l'eau tiède qu'elle trouvera chaude.
Ici c'est le contexte qui influence le jugement. Je peux mettre en scène le contexte afin qu'il influence le jugement de la personne.
Le contexte : de la même façon, je peux mettre au mur des photographies et images évoquant la chaleur ou bien tenir la pièce particulièrement froide. Ca ne suffira sûrement pas, mais ça peut contribuer au faisceau convergent. 


Conclusions :

Ce ne sont que quelques exemples de suggestions et bien sûr il en existe beaucoup d'autres formes. Mais ces catégories principales vous permettrons d'y voir un peu plus clair. Retenez une chose : lorsqu'il s'agit des représentations (jugements, appréciations, perceptions, sensations, goûts, etc...) plus une suggestion est subtile, subliminale et imperceptible et plus elle est efficace. 


 Suggestion et hypnotisme :

Dans le champ de la recherche moderne, au XIXe siècle, la suggestion comme puissance d'influence a commencé a être étudiée dans le cadre des recherches sceptiques sur l'hypnotisme. Puis rapidement, à cet époque, les chercheurs ont distingués ces deux phénomènes et étudiés séparément l'hypnotisme et la suggestion.
Dans le cadre de l'hypnotisme, ce qu'on appelle la « suggestion hypnotique » est un phénomène assez distinct de la suggestion en général et qui mérite d'être étudié à part.
Cependant, pour parvenir à plonger une personne dans un état second d'hypnose, on s'est rapidement rendus compte que les suggestions (telles que décrites plus haut) ajoutaient beaucoup d'efficacité aux techniques physiologiques mécaniques et pouvaient même les remplacer. En gros, l'hypnose et la suggestion sont deux choses totalement distinctes, mais on peut obtenir de l'hypnose par la suggestion.
En réalité, la suggestion bien maîtrisée permet de recréer « artificiellement » beaucoup d'états altérés comme l'ivresse, la narcose, le sommeil, la stupeur, l'euphorie, le somnambulisme, l'obnubilation, l'obsession, la colère, etc., sans aucune substance et sans préparation préalable. Pas étonnant alors que la suggestion permette de provoquer des états d'hypnose.

Mais le plus étonnant, c'est qu'elle permet d'obtenir
sans passer par un état altéré la plupart des phénomènes d'illusion, d'hallucination, et de distorsion de la perception, de la mémoire, etc. qu'on obtenait jusque là avec les personnes en somnambulisme hypnotique ou des personnes en crise hystérique.
Les mots peuvent influencer à tel point notre jugement qu'ils changent les règles de notre réalité, sans même avoir à être dans un état second.


lundi 11 juin 2012

Les bons conseils, les mauvaises suggestions, et les dégâts de la pensée positive...


"The secret" : une version laïque contemporaine de l'intentionnalité judéo-chrétienne ?

Précédemment, j'ai présenté à plusieurs reprises ce qu'est une suggestion. En bref, une suggestion est une information (mot, phrase, idée, geste, image, etc...) qui tend à influencer une personne dans son jugement, son interprétation, sa perception. Si un ami m'envoie le sms suivant « est-ce que tu veux aller au cinéma ce soir ? », on ne peut pas dire que cette question soit très suggestive.
Si, par contre, il m'écrit « qu'est-ce que tu dirais de te faire un bon petit film entre pote ? », alors il est évident qu'il pose la question de façon suggestive. Il suggère au passage l'idée que ce sera bien agréable afin d'influencer ma réflexion et d'augmenter les chances que j’accepte.
Si mon ami est devant moi et qu'il me demande « est-ce que tu veux aller au cinéma ce soir ? », en faisant un geste « oui » avec la tête, un grand sourire et des yeux suppliants, c'est son attitude qui rend la demande suggestive : on parle alors de suggestion non-verbale. Sa façon de me demander n'est pas neutre, elle tend à influencer ma réponse.

La suggestion est un phénomène de la communication absolument extraordinaire. Il existe de nombreuses formes de suggestions, de nombreuses façon d'utiliser les mots, les tournures de phrases, la voix, les gestes, les images, etc., qui permettent d'influencer une personne subtilement dans son jugement, son interprétation, sa perception des choses. Et tout le monde utilise quotidiennement la suggestion, même sans le savoir.

Ce qui va nous intéresser particulièrement aujourd'hui, c'est précisément la façon dont on peut parfois dire ou croire quelque chose qu'on pense positif tandis qu'en réalité la façon dont on le formule, ou dont on se le formule contient une suggestion négative et parfois même très dangereuse.

Prenons un exemple simple : on entend parfois dire que « le bon sommeil, c'est le sommeil d'avant minuit ». Et je n'ai pas l'impression qu'il soit mal intentionné mon bon ami qui me dit « si tu veux être en forme, couche-toi avant minuit ». Et pourtant...
Qu'est-ce que cette simple phrase suggère ? Qu'est-ce qu'elle contient comme information tacite ? Tout simplement, que le sommeil d'après minuit est un « mauvais sommeil » et que si je me couche après minuit, je ne serai pas en forme. Et si je prends un peu trop au sérieux son conseil, chaque fois que pour une raison ou pour une autre je ne pourrai pas me coucher avant minuit, je commencerai à penser « Zut, je vais encore mal dormir et être fatigué demain ». Et en me mettant ça dans la tête, je me fais une auto-suggestion bien malheureuse et qui risque de ne pas m'aider à bien me reposer.

Si mon ami m'avait dit simplement « tu sais, le sommeil avant minuit est encore plus réparateur, alors si tu veux être encore plus en forme, je te conseille de te coucher avant minuit ». Comme je le répète souvent, la suggestion réside dans la nuance. En formulant les choses ainsi, il aurait suggéré que le sommeil est de toute façon quelque chose qui « répare », qu'il n'y a pas de mauvais sommeil. Si je me couche après minuit, c'est bien. Si je me couche avant minuit, c'est encore mieux ! Dans tous les cas, je peux être en forme et reposé. Alors, lorsque je n'ai pas l'occasion de me coucher avant minuit, je peux dire « tant pis, c'est pas grave, je vais quand même bien me reposer ». Et cette auto-suggestion a des chances de m'aider à trouver un repos bien plus facile.

Il en va de même pour toutes sortes de bons conseils très ordinaires.

Lorsqu'on tente de dissuader une personne de fumer en lui disant « Tu sais, quand on fume une fois, on est fumeur à vie. C'est irréversible, on ne redevient pas non-fumeur, on devient au mieux un ancien fumeur en sursis. » En disant ça, on prend un risque énorme : si la personne se met malgré tout à fumer, ce conseil qui, au départ, était pour son bien, pour le prévenir, le dissuader, devient pour lui une vraie prison. C'est faux : une personne qui a été fumeur pendant très longtemps peut devenir absolument et définitivement non-fumeur, et on en connaît tous. Mais si on a la croyance que ça n'est possible, cela devient très difficile d'arrêter.

Lorsqu'on dit à une personne : « pour te relaxer, installe-toi dans une salle très silencieuse ». On crée le risque que le moindre bruit la dérange puisqu'il viendra l'empêcher d'être dans une salle silencieuse, donc l'empêcher de se relaxer.
Si on lui dit « tu auras encore plus de facilité à te relaxer dans une salle silencieuse, mais même au milieu d'un concert de marteaux-piqueurs, tu peux changer ta respiration et te détendre », à ce moment là, la personne n'est pas limitée et peut se relaxer dans n'importe quelle circonstance. D'autant que par effet de contraste, les petits bruits inopportuns seront bien peu de chose par rapport à un concert de marteaux-piqueurs.

Tout simplement, le fait de se réjouir du beau temps : le fait même d'être heureux et réjouis, dynamique et optimistes lorsque le soleil brille va souvent de pair dans nos esprits avec le fait d'être déçus et tristes, mous et pessimistes lorsqu'il pleut.


De la même façon, il est bon de manger cinq fruits et légumes par jour, comme dit le slogan. Mais on peut très bien passer une journée merveilleuse en en ayant mangé que trois.

Ce principe, je l'appelle « l'aspirateur sans sac ». En effet, dans les publicités, on vous présente des aspirateurs qui ont l' « avantage de ne même plus avoir besoin de sacs ». En apparence, c'est une bonne chose. Et pourtant, le revers de la médaille, c'est qu'on se retrouve avec un bac à poussière pas toujours facile à vider et à nettoyer surtout en cas d'humidité. Le sac à poussière est facile à changer et assez propre et pas nécessairement une invention devenue ringarde comme le présentent les publicités. De la même façon, ce qui semble positif en apparence peut contenir un revers négatif. Et ce qui semble négatif ne l'est pas toujours autant qu'on le pense.

C'est un dilemme : affirmer un bien, c'est affirmer un mal. Et la solution à ce dilemme se situe dans la suggestion « utilisationniste » : tous les cas de figures amènent à ma conclusion.
Au lieu de dire, « A est positif », ce qui sous-entend que « B est négatif » (B est le contraire de A), je dis « A est encore plus positif que B ». Il s'agit d'une forme de conjonction paradoxale, « double bind » en anglais.

Une illustration édifiante de ce principe est à trouver dans les idéologies de la « pensée créatrice ».
Beaucoup d'idéologues parfois sectaires, parfois moins, assène comme une vérité leur hypothèse que notre pensée, toute seule, peut avoir le pouvoir de créer la réalité, ou tout au moins de l'influencer.
Ainsi, si je pense que je serai en bonne santé toute ma vie, j'augmente mes chances d'être en bonne santé dans l'avenir. Jusque là, rien de bien méchant. Mais qu'est-ce que cela suggère ? Que si je pense à la maladie, j'augmente mes chances de tomber malade. Rien ne prouve rationnellement cela et au contraire des études ont mis en évidence la fonction simulatrice du cerveau qui permet d'imaginer des choses afin de ne pas avoir à les vivre.

Il n’empêche que ce type d'idée fait de grands dégâts. On se met à avoir peur de sa propre pensée : j'ai peur de penser à la maladie parce que j'ai peur que ça me rende malade, j'ai peur de penser à la mort, parce que j'ai peur que ça ne la fasse venir.
C'est l'expression moderne des tabous et superstitions qui existent depuis bien longtemps : dans beaucoup de cultures, il est très mal vu de parler de malheurs, de la mort, ou de la maladie, et il existe souvent des rituels permettant d'enlever le pouvoir de ces mots (comme toucher du bois, etc...)

De façon moins macabre, on conseille de plus en plus souvent de visualiser ses objectifs atteints, comme de visualiser son futur succès, etc... Et on accuse bien souvent le fait d'avoir « pensé son échec » d'être coupable de nous avoir fait échouer. Là encore, on retrouve ces mêmes raccourcis très dangereux. En plus de la peur de l'échec qui empêche beaucoup de personnes d'agir, on ajoute une « peur de penser à l'échec ». Or, le constat est que n'importe quelle personne raisonnable qui fait quelque chose de risqué a tendance à envisager la situation dans laquelle sa tentative ne réussirait pas.

Si donc, on conseille plutôt à une personne de « ne pas avoir peur d'imaginer le pire, puis, également de bien prendre du plaisir à imaginer le meilleur », on se retrouve face à une suggestion bien plus constructive : ça n'est pas ta pensée qui fait tout, mais elle te permet d'étudier toutes les options pour ensuite faire au mieux et avoir le plus de chances de réussir ».

Avoir peur de sa propre pensée est une chose assez dangereuse puisque les idées tendent à surgir à la conscience par associations de façon souvent difficilement contrôlable. De plus, quand on cherche à « ne pas penser à quelque chose », c'est souvent là qu'on le plus de mal à le chasser de notre esprit.
Heureusement, peu de gens en arrivent à avoir peur de leur propre pensée au point d'en développer une vraie phobie de la pensée négative. Et pourtant, on observe ce symptôme de façon croissante notamment chez les personnes ayant adhérées à une idéologie de la pensée positive de façon assidue. 

Et dans certains cas, cette phobie du négatif peut amener à des pathologies psychiatriques lorsqu'elle se combine avec d'autres peurs. En effet, la peur d'avoir des hallucinations, comme il s'agit d'une pensée, amène une peur de la peur d'avoir des hallucinations, qui se traduit parfois par le développement d'hallucinations hystériques comme on aurait dit à une autre époque, c'est-à-dire d'origine psychique. Ou encore, la peur de la perte de contrôle, comme elle est une pensée, amène à une peur de la peur de la perte de contrôle (si je pense à la « perte de contrôle », je vais commencer à ne plus me contrôler) qui parfois justifie des symptômes de comportements incontrôlés.
 
 Or notre cerveau est fait pour nous autoriser à imaginer ce qui nous fait le plus peur sans pour autant craindre que cela ne le provoque. Si j'ai peur de perdre le contrôle de moi, c'est justement en imagination que je peux franchement affronter cette peur : je m'imagine la pire des situations dans laquelle je pourrais perdre le contrôle de moi. Je ne dis pas que cette pensée soit très agréable, mais je peux y penser, sans pour autant que ça ne le « programme » dans mon cerveau. Bien au contraire, ça tendrait à le « décharger ».

On rencontre une forme de cette phobie du négatif chez certains thérapeutes formés à la « formulation positive ». Dans certains courants de la communication thérapeutique, on enseigne (à tort) que la compréhension inconsciente des mots chez une personne ne prend pas en compte les négations et ainsi qu'il faut veiller, pour avoir un impact positif à ce que chaque mot soit positif. Ainsi, ces thérapeutes ne diront pas « vous avez un problème », mais « vous n'avez pas encore la solution ». Jusque là, cette formulation semble en effet suggestivement plus intéressante.
Le problème arrive quand cette idée est prise tellement au sérieux que certains thérapeutes pensent par exemple que le mot « peur » ne doit pas être prononcé si on ne veut pas « créer » de la peur.
N'importe qui peut faire l'expérience chez lui : répétez 300 fois le mot « peur ». Avez-vous peur ? Non ? En effet, le mot « peur » ne fait pas peur. Comme le mot « mort » ne tue pas. Le mot « maladie » n'est pas une maladie. Le mot « manger » ne fait pas grossir. Etc... Bien au contraire, il existe un phénomène appelé la saturation mentale : si on répète beaucoup un même mot, il sonne « étrangement » et semble perdre son sens. Plus un mot est répété et plus il devient anodin.
De la même façon, ces mêmes thérapeutes sont formés à reformuler votre propre façon de dire les choses pour lui donner une tournure positive. Si vous dites « j'aimerai me débarrasser de ma phobie des souris », ils vous répondront de telle sorte que le mot « phobie » n'apparaisse pas. « Vous aimeriez pouvoir vous sentir à l'aise devant une souris ». Le problème, c'est que ça n'est pas ce que vous avez dit, et que parfois ça tourne à l'acrobatie linguistique.
 
« J'aimerai arrêter de fumer.
  • Vous aimeriez pouvoir vous sentir libre de vos comportements?
  • Euh... en fait, j'aimerai arrêter de fumer dans un premier temps. »

    Le thérapeute qui se comporte excessivement en évitant le négatif communique à son patient très fortement l'information que les mots négatifs sont à éviter et à fuir. Ce qui revient à dire que les mots négatifs sont déjà des choses négatives. Ce qui revient à dire qu'il faut se méfier des mots. En bref, le patient se retrouve en face d'une personne incapable d'appeler un chat un chat parce qu'il a peur des mots. Et la dernière chose que le patient veut, c'est de se retrouver en fasse d'une personne qui a peur de parler de son problème.

    C'est l'effet Aspirateur sans sac : les mots positifs créent un monde positif. Oh, quelle belle pensée ! Et bien non, car cela signifie que les mots négatifs ne sont pas « que des mots », mais qu'ils créent déjà un monde négatif. Ce qui est faux.

    Certes le mot « bonheur » incite plus au bonheur que le mot malheur. Il est plus agréable à prononcer ou à penser. Et pourtant, cela ne signifie pas qu'on puisse devenir malheureux juste parce qu'on dit ou pense le mot « malheur ». Sauf à avoir une telle croyance.

    Voilà comment on utilise quotidiennement, sur soi comme sur les autres, des formes de suggestions que l'ont pense parfois gentilles et innocentes et qui peuvent entraîner des croyances très enfermantes, voire délétères.

    On a tendance à penser que les personnes qui prônent l'optimismes, la gentillesse, la santé, le succès, etc. font du bien au monde. Parfois, ils amènent avec eux bien plus de malheur que ceux qui s'autorisent et nous autorise à ne pas être toujours parfaits, impeccables, souriants et perpétuellement positifs.