lundi 11 janvier 2016

NOUVEAU SITE !

Ce blog n'est plus actif ! 

J'ai décidé de réunir tous mes articles, et toutes les infos sur mon activité sur un seul et même site : 

www.garnier-hypnose.com



Bonne lecture !


Antoine


vendredi 11 juillet 2014

Hypnose & manipulation ?

Manipulation... 

Le mot est lâché, comme un taureau dans les rues de Pampelune. Et comme lui, il fait peur à certains et fascine littéralement les autres. 
Parmi tous ceux qui nous demandent presque quotidiennement si l'hypnose permet de manipuler les esprits, il y a fort à parier qu'un grand nombre serait paradoxalement déçu qu'on réponde "Non, l'hypnose n'est pas un outil de manipulation". 

Réponse malhonnête qui plus est. Mais qui eut son heure de mode. On comprend que la question est en fait : "Peut-on asservir, assujettir une personne par l'hypnose ? "
Et classiquement on entend raisonné la réponse rassurant : "Non, on ne peut pas faire faire quelque chose à une personne hypnotisée qui ne serait pas parfaitement acceptable pour elle". Voilà le type de loi, sortie d'on ne sait quel chapeau de communicant, qu'on a pu entendre répétée sans discernement pendant quelques décennies. 
L'artisan manipule ses outils pour "informer" la matière

Bien sûr, c'est faux. On peut faire faire à quelqu'un, avec ou sans hypnose, quelque chose qu'il ne lui serait pas parfaitement profitable. A la faveur d'un moment de confusion, et en étant assez habile et convaincant, par exemple. Mais l'hypnose n'ajoute rien. L'hypnose potentialise l'expérience que le sujet aimerait, en son for intérieur, s'autoriser à vivre. Comme d'autres ivresses d'ailleurs.

Cependant, des contraintes comme la pression sociale, ou l'autorité de l'hypnotiseur, peuvent pousser la personne à aller au-delà de son désir. On le voit lorsqu'un volontaire, lors d'un spectacle d'hypnose, n'ose pas refuser d'enchaîner des numéros n'ayant pas tous pour objet de le montrer devant la foule sous un angle avantageux, et parfois même lui procurant un profond malaise.

Cela n'a rien à voir avec l'hypnose bien sûr. C'est simplement un manque de tact ou d'éthique. Une mauvaise personne peut nuire à une autre vulnérable. 
On entend parfois parler de "viol sous hypnose". C'est absurde. Il existe malheureusement des agresseurs dans beaucoup de professions et là encore, ça n'a aucun rapport avec le fait que ce criminel prétende pratiquer l'hypnose. 

Au contraire, en hypnose, un individu d'ordinaire influençable aura une tendance à moins se laisser contraindre. On entre en hypnose par confiance. Et si ce contrat de confiance vient à rompre, on en sort aussi sec.  
En outre, l'hypnose se crée sous l'effet de la suggestion, qui consiste à activer des processus subconscient chez l'individu. Il ne s'agit surtout pas de lui ramollir le cerveau pour mieux l'enfumer comme peuvent le faire certaines émissions de télévision. C'est tout le contraire. On ne prend pas le contrôle sur l'autre, on l'invite à éprouver sa propre puissance. 
On pourrait donc avancer qu'il est plus difficile de nuire à une personne lorsqu'elle est hypnotisée. Si vous souhaitez influencer quelqu'un, un conseil : ne l'hypnotisez pas ! Usez de rhétorique et de divertissements.  

Qu'est-ce que la manipulation

Aux modes succèdent souvent des contre-modes. Et dans ce domaine plus qu'ailleurs. Pour se démarquer du traditionnel rapprochement entre l'hypnose et le sommeil, beaucoup d'hypnotiseurs trouvent malin d'asséner que "l'hypnose n'a rien à voir avec le sommeil". Et par une même volonté d'être iconoclastes et un tantinet provocateurs, nombreux sont ceux qui préfèrent maintenant assumer le mot "manipulation", tout en préservant la bien-pensance en ajoutant que c'est une manipulation  "positive". On prend souvent l'exemple d'un professeur qui manipulerait son élève, mais dans une perspective "positive". Outre que ces jeux de mots ne veulent absolument rien dire, ils ne sont pas exacts et se noient dans le moralisme qui devait les sauver. 
Si on faire de sortir, l'espace d'un instant de cette vision manichéenne qui tente de distinguer une "bonne manipulation" d'une "mauvaise manipulation", il est bien plus intéressant de comprendre ce que signifie l'acte même de manipuler, pour savoir si oui ou non, et dans quels cas l'hypnose est une manipulation, ou ne l'est pas. Et une manipulation de quoi ou qui en vue de quoi

Manipuler, au premier degré, c'est jouer d'un objet à l'aide de sa main, le rendant "outil" dans une action concrète. Dans un sens plus large, manipuler signifie donc utiliser. On manipule quelque chose (ou quelqu'un) pour en faire l'outil d'une action qui vise une autre fin. 
Le sculpteur manipule une masse et un burin pour donner une forme à la pierre. L'ouvrier manipule une pelleteuse pour extraire des gravats. L'écrivain manipule un ordinateur pour écrire un texte. Le chauffeur manipule sa voiture pour le conduire quelque part.  Le cuisinier manipule une poêle pour cuire les aliments. Et il manipule les aliments pour enchanter les convives. L'idée de manipuler est synonyme de l'idée de "se servir de". Avec en plus, la nuance d'un "tour de main" plus ou moins maîtrisé, d'une habileté. Pour gribouiller, il faut utiliser un crayon. Pour croquer un portrait réaliste, il faut encore savoir manipuler ce crayon avec assez de précision. Manipuler, c'est donc se servir de quelque chose avec une habileté particulière. La manipulation est le rapport de l'artisan à son outil. 

Manipuler quoi ? 

Que manipule le professeur pour enseigner ? Il manipule des outils pédagogiques, il manipule les mots, il manipule des idées, il manipule des manuels, des ordinateurs. Il manipule les capacités cérébrales de l'enfant. Mais on ne peut pas dire qu'il "manipule l'enfant". L'enfant est le récipiendaire de son acte et non pas l'outil. 
Si un professeur envoie un enfant demander à un collègue, dans une autre classe, de lui prêter un feutre, alors on peut dire que l'enfant est utilisé. Toutefois, comme il n'y a pas d'habileté cet acte, on sent à quel point ce serait abusif de parler de "manipulation". Le professeur met alors l'enfant à son service, ou lui demande un service. S'il le fait d'une manière habile, on pourra dire que le professeur à manipuler le langage pour commander ce service. Et s'il lui "retourne la tête" en quelque sorte, pour obtenir que l'enfant lui rende ce service sans pouvoir même le lui refuser ni s'y opposer, on peut alors dire que le professeur ici manipule cet enfant comme un simple outil, sans libre arbitre ni conscience,  passif dans la poigne ferme de l'artisan. Dans ce cas, peut-être pourra-t-on s'autoriser à parler de manipulation. Est-ce qu'elle est "négative" ? c'est encore une autre affaire. 

L'hypnose est-elle une manipulation ? 

Elle peut l'être. Si l'hypnotiseur se sert habilement de la personne hypnotisée pour obtenir d'elle, par la suggestion hypnotique, qu'elle lui rende tel ou tel service. Or, rares sont les contextes d'hypnose dans lesquels on peut imaginer qu'une personne accepte de faire quelque chose qui ne lui soit visiblement pas destiné. Mais ils existent : un hypnotiseur de spectacle utilise les volontaires pour épater son public. Ils lui rendent service, et en ce sens, strictement parlant, l'hypnose est le procédé par lequel l'hypnotiseur manipule, avec une expertise qui lui appartient, ses outils de travail que sont les volontaires. Le volontaire se met au service de l'artiste, devient son outil, et attend de lui qu'il le manipule avec habileté et finesse pour créer le spectacle. 

En en hypnothérapie ?

Dans un contexte où l'hypnose serait utilisée en tête à tête pour répondre à la demande du sujet, par exemple en hypnothérapie, il en va tout autrement. Bien sûr, on pourrait dire que l'hypnotiseur se sert du sujet pour gagner sa vie, pour payer son loyer, etc... Mais ce serait pousser le raisonnement à l'absurde, ce qui ridiculiserait non seulement l'argument mais celui qui le tiendrait par la même occasion. Cela mettrait en évidence la complexité socio-anthropologique de l'acte professionnel de l'aide, et montrerait à quel point il serait intéressant de sortir de la présente caricature pour affiner la réflexion. Mais cela empêcherait aussi la réflexion d'avancer. Evitons de tomber dans ce piège. Nous avons besoin de grandes lignes claires ; précises, certes, mais qui ne s'émoussent pas dans la complexité. 

Si une personne vient me consulter à mon cabinet, elle exprime une demande. Elle me "commande" une aide, en quelque sorte. Pour lui livrer ce service, je vais manipuler les mots, des gestes et des mécanismes physiologiques et psychologiques afin de permettre que quelque chose se produise. Ces outils de suggestion hypnotique, je vais les manier avec une habileté apprise, une expertise qui fait que je ne me contente pas de les utiliser : je les manipule. 
Mais à aucun moment, je n'utilise la personne pour un autre but. A aucun moment, je ne manipule l'autre tel une pelleteuse, un ordinateur, une poêle ou un marteau. L'autre est celui qui reçoit le résultat. Il est le commanditaire de l'ouvrage, et son destinataire. Et il collabore évidemment activement au processus de création du résultat.   

Qui manipule qui ?

Paradoxalement, quand j'hypnotise quelqu'un dans le cadre d'une consultation en cabinet, c'est lui qui m'utilise. En effet, je ne représente pas grand chose pour cette personne, je ne suis qu'un outil. Pour transformer son comportement, ou son émotion, ou autre chose encore en lui, il a besoin d'un burin, d'une pelleteuse en la personne d'un suggestionneur professionnel. 
Il se sert donc de moi, et m'abandonne une fois le résultat atteint. Et c'est ainsi que la relation d'aide se produit le plus sainement qui soit. Toutefois comme le client n'a pas d'autre expertise pour m'utilise que le règlement de consultation, on peut bien dire qu'il se sert de moi, qui fait appel à mon service, mais il manque une habileté particulière pour qu'on puisse dire qu'il me "manipule". Ce serait jouer sur les mots. Bien que dans certains cas, il arrive que les personnes qui viennent nous consulter parviennent bel et bien à nous manipuler. Mais comme le contexte de "qui sert qui" est clair et officiel, il n'ont pas souvent besoin d'obtenir ce service d'une manière subtile. 

Bilan :  

L'hypnose est-elle une manipulation ? 
Oui, une manipulation, qu'on peut souhaiter la plus habile possible, des mots, des idées, des mécanismes psychologiques et physiologiques, de techniques bien précises. Une manipulation de la suggestion en grande partie. 

Peut-on manipuler quelqu'un grâce à l'hypnose ? 
C'est probablement une des moins bonne façon de manipuler quelqu'un.

Un hypnotiseur manipule-t-il ses sujets ? 
Dans certains contextes où le sujet n'est pas le but final mais un acteur du processus, comme dans un spectacle. Mais dans les cas où le sujet demande à être hypnotisé, et que l'hypnotiseur lui offre ou lui vend son service, c'est bien au contraire l'hypnotiseur qui est utilisé. Et pour son plus grand plaisir. 

A quel moment est-ce qu'un usage de l'hypnose est moralement bon ou mauvais ? Ce n'est pas à moi de dicter à qui que ce soit ce qui est moralement bon ou mauvais en la matière. Nombreux sont les prédicateurs improvisés, les censeurs, les moralistes, prêts à se scandaliser pour un rien, et se croyant dans une croisade sacrée au nom d'un Bien commun faussement laïc, mais qui tire en réalité toute ses précepts d'une bigotterie bien ancrée. Je ne crois pas vraiment à ces tribunaux de la bien-pensance.  

Conclusion :  

L'hypnose est une pratique. Elle est constituée de divers outils qu'il faut apprendre à manipuler avec précision. 
L'hypnose elle-même peut-être mise au service d'un but (soigner, aider, comprendre, divertir, expliquer, enseigner...). Alors cette pratique devient elle-même un moyen en vue d'une fin, un outil. Et un outil très puissant si l'artisan qui le manipule est bien formé, expert, patient et minutieux. 
Entre de mauvaises mains, c'est un outil décevant, faible, et inefficace. Entre de bonnes mains, vous profiterez pleinement des merveilleux résultats qu'il permet d'obtenir. 
Si vous souhaitez utiliser l'hypnose pour vous aider, il est normal que vous souhaitiez être rassuré : prenez contact avec l'hypnotiseur lui-même, et demandez-vous s'il vous inspire confiance, s'il semble être un bon artisan. Posez-lui toutes les questions qui vous viennent. Puis lancez-vous ! 
  






lundi 30 juin 2014

La porte de derrière et l'escalier de service. Pierre Janet, citation.

Continuons dans la série Janet avec une nouvelle citation, commentée après. Je vous invite à laisser vos questions et commentaires pour en discuter ensemble. 

"Il faut vivre d'abord et philosopher ensuite"


Extrait de "Les médications psychologiques", T1, 1919 : 

« Il paraît d'après la psychologie de certains médecins que les tendances automatiques de notre esprit sont quelque chose d'inférieur, de vil, de beaucoup plus bas que la raison, la volonté, « la participation du moi ». En conclusion, le traitement qui fait appel à ces parias de l'esprit devient lui-même vil et dégradant. Après avoir parlé de mes travaux avec une amabilité dont je le remercie, M. Dubois (de Berne) gémit en remarquant que je me sers encore trop souvent de la suggestion dans le traitement des malades et il ajoute avec tristesse : « Comment M. Janet peut-il consentir à pénétrer dans l'esprit de ses malades par cette porte de derrière, this back door. » 
Je pourrais lui répondre que je suis modeste et que pour pénétrer dans l'esprit d'une personne je prendrais même l'escalier de service. Mais que signifient toutes ces métaphores et tous ces dédains à propos de phénomènes psychologiques mal compris et mal distingués les uns les autres ? « Il n'y a rien de vil dans le temple de Jupiter » et je voudrais bien savoir pourquoi les instincts profonds, héritage d'une lignée formidable d'ancêtres seraient plus méprisables que nos caprices momentanés. Le raisonnement plus ou moins logique est en honneur auprès de ces médecins, mais il est très discrédité auprès des philosophes qui l'accusent de fausser toutes nos connaissances en les intellectualisant et qui lui préfèrent l'intuition dérivant des instincts profonds : auxquels allons-nous croire ? 
D'ailleurs pouvons-nous choisir, pouvons-nous faire appel à la faculté mentale qui nous plaît le plus ? Vous discutez toujours comme si le sujet n'était pas malade et comme s'il pouvait à volonté exercer une fonction quelconque. S'il avait à sa disposition ce raisonnement parfait et cette volonté idéale dont vous parlez, il ne viendrait pas vous consulter. En réalité il s'adresse à vous parce qu'il n'est pas capable de se conduire en homme complet, maître de son moi. « Vous ne pouvez lui faire que des pseudo-raisonnements dont vous n'avez pas le droit d'être si fier » (Dr Bonjour, Revue de l'hypnotisme, 1906). Il est beaucoup plus correct de ne pas chercher à se faire illusion et de s'adresser directement à des fonctions inférieures que le malade possède encore, comme on le fait d'ailleurs dans tous les traitements médicaux qui sont loin de s'adresser toujours à la pure raison. « Nous ne suspendons pas plus notre jugement en laissant le médecin nous affirmer une idée heureuse qu'en lui permettant de nous introduire une sale capsule dans le corps » (Max Eastman, The new art of thinking, 1908). 
Mais ces fonctions inférieures ne peuvent rendre les mêmes services que les opérations rationnelles. « La guérison n'est pas volontaire, le malade ne s'alimente pas, on l'alimente : manger par suggestion hypnotique, ce n'est pas manger. » Quel enfantillage ! Les malades que l'on nourrit en leur enfonçant une sonde dans le nez mangent-ils mieux ? Ils engraissent cependant et les malades nourris par suggestion font de même. Sans doute ce n'est pas une alimentation idéale au point de vue de l'élégance mondaine, mais c'est une alimentation tout de même et elle vaut encore mieux que l'inanition. Quand le malade aura repris des forces et qu'il pourra s'élever plus haut, vous verrez s'il est capable de pratiquer une alimentation moralement plus élevée ; mais en attendant, je le répète, c'est un malade et vous devez parer au plus pressé en lui donnant la seule alimentation dont il soit capable : il faut vivre d'abord et philosopher ensuite. »

Commentaire :

Dans cet extrait, Pierre Janet défend clairement la méthode thérapeutique basée sur la suggestion et l'hypnotisme contre les diverses méthodes à la mode qui recourent tantôt à une analyse intellectuelle, tantôt à de véritables leçons de morales, tantôt à une pédagogie du patient. 

Pour Janet, il est absurde, lorsqu'on est en face d'une personne qui souffre de troubles qu'elle n'a pas choisit, qui s'imposent à elle, et dont elle est la victime impuissante, de lui taper sur les doigts en lui faisant la leçon, ou bien encore de lui expliquer dans le détail le fonctionnement ou les raisons de son mal. En moralisant ou en expliquant, on s'adresse à une partie intellectuelle du sujet. Et la personne n'est pas tellement plus avancée avec nos conseils. Elle repart souvent comme elle est venue. Et parfois même, se sentant coupable d'être trop idiot, ou trop faible, ou trop lâche pour aller bien. Ce n'est évidemment pas ce qu'il faut. 

En bref, le patient a déjà souvent réfléchit à son mal, parfois faussement, peut-être, mais parfois avec justesse. S'il lui avait suffit "d'un peu de bonne volonté" pour aller mieux, il y a fort à parier qu'il ne se serait pas laisser souffrir autant. S'il est là, désespérant d'aller un jour mieux, c'est que ce sont d'autres types de forces en lui qui commandent à son mal. C'est ce niveau, "profond", de l'être qui s'exprime. Et c'est à ce niveau de l'être qu'il faut répondre. C'est l'automatisme qui, détraqué, dicte le trouble. C'est donc l'automatisme qu'il faut corriger. 

On n'ose imaginer un garagiste qui prétendrait réparer les voitures en donnant des cours théoriques de mécanique à ses clients. De la même façon, le thérapeute doit ouvrir le capot, emprunter la porte de derrière, l'escalier de service, c'est à dire faire usage de ce mécanisme de l'automatisme qu'on nomme en psychologie "suggestion", afin d'intervenir sur la mécanique même du comportement ou de l'identité. 

Et dans ce sens, il existe peu de thérapies qui comprennent assez bien cela aujourd'hui, et qui s'adressent "à l'inconscient" sans chercher à l'analyser, et qui ne s'adressent pas à l'intellect du patient. L'hypnothérapie, sous une forme pure, fait partie des rares disciplines qui vont dans ce sens. 






mercredi 11 juin 2014

L'invention du mensonge... et de la liberté. (l'acte et le langage chez Pierre Janet)




  Continuons de nous laisser guider par le philosophe et médecin Pierre Janet, grand nom de la psychologie expérimentale du XIXe et XXe siècle.



Dans la continuité du philosophe Alfred Fouillée et d'autres penseurs, les chercheurs du XIXème siècle tels que Alfred Binet ont mis en évidence leur hypothèse selon laquelle une idée est un acte qu'on ne mène pas jusqu'à son développement total. 
 Pierre Janet expose les différents degrés depuis le tout début de l'acte jusqu'à son accomplissement final, son "triomphe". Et c'est dans son système impeccable qu'il analyse le langage humain et l'intelligence.  Il adoube le jeune Jean Piaget mais lui reproche de donner au langage un statut particulier au lieu d'examiner chez les enfants et les malades les actes primaires dont le langage n'est qu'une expression. Pour Janet, le langage, fonctionnant d'abord par symboles puis par signes est une combinaison plus ou moins complexe d'actes interrompus au stade de leur érection. Des débuts d'actions mais terminées en imagination plutôt que dans le mouvement du corps. 
Celui qui parle n'agit pas. Et pourtant, c'est ce langage, souvent solitaire et intérieur qui permet l'exceptionnel génie humain.  
Le langage permet des actes virtuels qui ne sont pas soumis au verdict implacable du principe de réalité. C'est pour cela qu'on peut dire autant de choses fausses, idiotes, qui ne correspondent à rien de réel. Chaque jour je lis des phrases qui "sonnent bien" mais qui n'ont aucun bon sens dans la réalité, qui ont l'air vrai mais qui sont parfaitement fausses. Le langage ment. Et pourtant, c'est ce même principe qui permet la poésie, comme le montre si bien Janet, et aussi la possibilité, dans l'expérience de pensée comme dans la phrase, de concilier les inconciliables, de vivre l'impossible. C'est la naissance de l'imagination et de la créativité humaine. 

Voici un extrait de son cours tardif "L'intelligence avant le langage", de 1934 au Collège de France :

"Les actions matérielles sont sans cesse arrêtées par les difficultés de leur consom­mation qui exigent la mise en jeu de muscles particuliers. On ne peut pas faire à la fois deux actions trop différentes, car les muscles occupés par une des actions ne peuvent servir à l'autre ou même s'y opposent. On ne peut tourner à la fois à droite et à gauche, on ne peut réunir le mouvement et l'immobilité. Mais quand les actes ne sont plus représentés que par des mots, ces oppositions disparaissent, on peut parler à la fois du côté droit et du côté gauche, on peut parler d'un moteur immobile. Cette possibilité d'unir des choses en réalité inconciliables va avoir des conséquences dangereuses. L'homme qui a appris à parler va devenir capable de dire des sottises. Mais le pouvoir de dire des sottises c'est précisément le pouvoir de l'invention et la liberté. On pourra inventer bien des actions qu'on ne pourra jamais faire jusqu'à ce qu'on en découvre une qui ait des conséquences pratiques merveilleuses."




dimanche 25 mai 2014

L'hypnose, un somnambulisme provoqué. Pierre Janet


Après une démonstration minutieuse, et avant d'affiner encore sa définition, Pierre Janet (1919) résume sa définition de l'hypnose comme somnambulisme provoqué et caractérisé par une amnésie, même imparfaite et temporaire. Il met en garde contre un usage vague et trop généreux du mot "hypnose"

Pierre Janet (1859-1947), professeur de psychologie expérimentale au Collège de France


« Le somnambulisme devient donc pour nous une transformation momentanée et passagère de l'état mental d'un individu capable de déterminer chez lui des dissociations de la mémoire personnelle. (...) L'hypnotisme qui est sorti graduellement du magnétisme animal n'est pas autre chose que la production artificielle du somnambulisme. Il peut se définir une transformation momentanée de l'état mental d'un individu, déterminé artificiellement par un autre homme et suffisante pour amener des dissociations de la mémoire personnelle.
Cette définition, j'en suis certain, éclaircirait beaucoup les discussions ; mais il est évident qu'elle n'est pas parfaite et donne naissance à quelques petites difficultés. Elle obligerait beaucoup d'auteurs à restreindre l'emploi du mot hypnotisme qu'ils emploient à tort et à travers. À mon avis il n'y aurait pas d'inconvénients sérieux à supprimer le mot « hypnotisme » pour tous ces petits états d'ennui, de fatigue, d'engourdissement que l'on a si généreusement baptisés de ce nom : l'hypnotisme sera moins fréquent, voilà tout. Il y aura un peu plus de difficulté quand il s'agira de désigner des états où le changement mental déterminé artificiellement est réel, des états en particulier où la suggestibilité est très accrue, mais qui ne sont pas suivis d'amnésie même quand on essaye de la suggérer. Il se peut que de tels états approchent de l'hypnotisme et dans certains cas on peut démontrer qu'il n'en sont que le préambule, car peu de temps après on obtient l'hypnotisme complet. Je crois qu'il faudra, si le problème devenait intéressant, étudier ces états et voir ce qui les caractérise, on pourra suivant les cas employer pour les désigner les expressions « d'état de suggestion » ou « d'hypotaxie » de Durant, d'état de « charme » de Brémaud ou l'état « d'hypnoïdisation » de M. Boris Sidis. Mais dans tous les cas il y aura un avantage à ne pas les confondre avec l'hypnotisme proprement dit. Comme le disait déjà Delboeuf en 1886, « la précision du langage est indispensable aux études de psychothérapie » »
 

Extrait des "Médications psychologiques" Tome 1 (1919), ouvrage qui pose les fondements historiques, théoriques et pratiques d'une psychothérapie de la suggestion. J'ai déjà parlé et cité Pierre Janet et je le ferai sûrement encore bien souvent. Son érudition immense, sa rigueur impeccable, son pragmatisme et sa finesse d'esprit en font un des auteurs les plus brillants de l'histoire de la psychologie. Il n'abandonna jamais ses travaux sur l'hypnotisme et la suggestion malgré les modes changeantes. Ses travaux dans ce domaine demeurent aujourd'hui des références d'une pertinence étonnante.  
Quelques repères sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Janet



jeudi 22 mai 2014

Une utilisation de l'écriture automatique en hypnothérapie




Sarah a 15 ans. Sarah m'a été envoyée par son père que j'accompagne dans la gestion émotionnelle d'une maladie chronique. Elle a accepté que je rédige et publie ici un petit résumé de notre travail ensemble, et a souhaité que je ne change pas son prénom (qu'elle aime beaucoup), car elle a jugé que son anonymat était préser.

Depuis l'âge de douze ans, Sarah pleure. Des crises de larmes soudaines qui s'accompagnent de sanglots très expressifs. Lorsqu'une crise se déclenche, elle perd littéralement le contrôle et ne peut d'aucune façon venir l'interrompre. Au début, les larmes allaient de pair avec des idées tristes et une tristesse ressentie.
Rapidement, les larmes et la tristesse sont apparues sans qu'aucune idée triste n'y soit associée. Et depuis un an environ, les crises de larmes ne donnent même pas lieu à une véritable émotion associée.

Elle est simplement, en fonction des situations, très embarrassée, honteuse, agacée, déçue, désespérée, selon ses propres termes.

Sarah est suivie en psychothérapie par un psychiatre. Et leur travail a aboutit à un progrès manifeste et très encourageant. Ses crises diurnes sont désormais rares et durent moins longtemps. Parfois, il s'agit même seulement de larmes, mais avec des sanglots très légers.

Mais depuis peu, de nouvelles crises, nocturnes cette fois, se manifestent. Sarah dort seule dans sa chambre et il lui a fallut quelques temps pour s'en rendre compte. De plus en plus souvent, elle se réveillait le matin exténuée, les yeux congestionnés. Des larmes pas toujours sèches irritaient ses pommettes et ses joues. Ses draps étaient bien souvent en vrac au pied de son lit.

C'est sa mère qui, l'entendant sangloter, l'a surprise au beau milieu de la nuit, prostrée dans un coin de sa chambre, dans un état de tristesse très intense.

Comme sa mère l'a réveillée durant sa crise, Sarah a pu se souvenir qu'elle se levait pour pleurer depuis déjà quelques semaines.

Démuni devant ce nouveau symptôme, son psychiatre a décidé de persévérer dans la thérapie, mais lui a également conseillé de voir ce qu'un hypnothérapeute pourrait lui apporter en complément. Son père, que je reçois une fois tous les deux mois, me l'a naturellement adressée.

Dés la première séance, après avec longuement discuté, la première hypnotisation que je lui ai proposée à immédiatement provoqué une crise de larme, ce qui était parfaitement logique et prévisible.

À la différence de ses crises naturelles, j'ai pu obtenir que la crise cesse sur un simple signal. Une personne sujette au somnambulisme nocturne a des chances assez élevées de répondre à l'hypnotisation en développant très rapidement un état très profond de somnambulisme hypnotique. Et c'est exactement ce qui s'est passé.
Sarah gardait une mémoire correcte du contenu de l'hypnose, mais sur une simple suggestion, pouvait l'oublier totalement, ou s'en souvenir complètement.

Les suggestions et le travail menés durant la première séance ont été insuffisants pour obtenir une amélioration significative. Les crises nocturnes ses sont espacées, et elle était plus sereine en journée. Mais rien qui permette d'attribuer avec certitude ces changements à l'usage de la suggestion hypnotique.

Durant la deuxième séance, je lui ai proposée un travail basé sur l'écriture. Sarah est une élève studieuse et créative qui passe beaucoup de temps à écrire et avec plaisir. Elle était donc ravie d'apprendre qu'un travail de « thérapie », comme elle l'a spontanément nommé, pouvait passer par l'acte d'écrire.

Nous avons d'abord discuté de l'acte d'écrire lui-même. Et cette discussion avait pour but d'introduire en elle l'idée d'une écriture automatique afin que celle-ci devienne plus facilement une suggestion réelle plus tard.

Je lui ai expliqué que l'action d'écrire combine de la volonté, des réflexes, des automatismes, et des décisions prises sans notre intervention consciente.
Par exemple, je veux écrire le mot « Joie », c'est ma volonté, mon désir, mon souhait conscient. Cela active des automatismes dans ma mémoire, dans ma motricité, des réflexes musculaires acquis, etc... Et ainsi j'écris le mot sans effort, naturellement. Et il y a également des choix inconscients : pourquoi ai-je détaché le « i » et le « e », pourquoi est-ce que j'ai écrit le « j » en majuscule. Ça n'a peut-être aucune signification, mais j'ai quand même, sans y réfléchir, choisi de l'écrire comme ceci plutôt que d'une autre façon.

Autre exemple, si je veux écrire un mot pour préciser à ma femme que j'ai arrosé le plans d'aromates du jardin et qu'elle n'a pas besoin de le faire, j'ai un souhait, une volonté, qui est le message à transmettre. Tout un ensemble d'automatismes de la mémoire et du corps vont me permettre de l'écrire avec des lettres lisibles et une orthographe correcte. Mais encore, sans y réfléchir vraiment, j'utiliserai spontanément tel mot plutôt que tel autre, tel ton plutôt que tel autre, etc... Ces « choix inconscients » seront déjà plus intéressants dans le sens où ils trahissent probablement un peu de ma personnalité, et de la nature de notre relation conjugale.

Cette évocation amène à Sarah, par analogie, une anecdote sur un lapsus graphique cocasse qu'elle fait systématiquement. A chaque fois qu'elle veut taper le mot « félicitation » sur son ordinateur, elle tape d'abord le mot « félacion » (sic) puis le corrige.
Après en avoir rigolé ensemble, il vient à Sarah un autre lapsus qu'elle fait régulièrement : quand elle souhaite taper le mot « peur », elle tape d'abord spontanément le mot « pleur ».
Sans que je la pousse dans une interprétation trop hasardeuse, Sarah remarque d'elle-même la pertinence particulière de ce lapsus. Je me garde de lui faire remarquer que l'autre aussi pourrait ne pas être qu'une simple grivoiserie de subconscient.

J'explique ensuite à Sarah ce qu'est le phénomène de l'écriture somnambulique. Je lui cite l'exemple du Dr Milton Erickson qui, étudiant en médecine, rédigeait des articles entiers dans son sommeil, qu'il trouvait au matin sur sa table de chevet, lorsqu'il se réveillait sans aucun souvenir de l'avoir fait ni même de ce qu'il avait écrit et les envoyait tels quels au journal universitaire. Et je lui cite quelques autres expériences issues de ma pratique.

Comme nous avons déjà eu l'occasion d'observer avec elle l'extrême docilité de son somnambulisme, elle n'a aucun doute sur sa capacité à écrire dans un sommeil paradoxal et n'en garder aucun souvenir.

Je lui décris ensuite le phénomène nommé « écriture automatique ». Pour ajouter du piquant au récit, je lui raconte certaines utilisations que font les spirites de ce mécanismes psychologique qu'ils nomment « psychographie ».
Je lui précise qu'il s'agit de rester dans un état d'hypnose partiel, qui permette, bien qu'on puisse se sentir « bizarre », d'être assez présent, assez consciemment réveillé pour observer l'action autonome de la main qui bouge toute seule, manipule le crayon, et forme les lettres. On découvre alors les mots que ces lettres forment. Et on peut ensuite découvrir des phrases entières, en ayant réellement le sentiment de n'avoir joué aucun rôle. Bien souvent, lui précisé-je à fin de suggestion, on n'a même aucune sensation de son bras et du mouvement du bras. Si bien qu'on le croirait parfaitement immobile si les yeux n'étaient pas grand ouverts pour regarder ce spectacle.

Sarah est amusée par cette idée. En effet, le somnambulisme a ceci de frustrant que le sujet ne peut pas vraiment dire qu'il a vécu une expérience étonnante. L'idée d'une hypnose partielle, durant laquelle on assiste au phénomène qui se produit en nous, est plus excitante pour elle.

Plongée dans un état somnambulique, je propose à Sarah d'écrire un poème qu'elle connaît par cœur, et à chaque mot, de se réveiller un peu plus, tout en laissant le bras droit continuer d'écrire tout seul dans son sommeil. Il a suffi de quelques minutes pour obtenir un résultat très satisfaisant et un état partiel parfaitement stable.

Je me suis donc retrouvé, comme il est habituel aux personnes qui accompagnent l'écriture automatique, attablé avec Sarah, elle consciente, bien que « vaseuse » (sic), et son bras écrivant lentement de jolies lettres d'écolière un peu saccadées.

J'ai demandé à Sarah si elle savait à quoi ses crises de larmes correspondaient ? Elle m'a répondu qu'elle n'en avait pas la moindre idée. Plus précisément, elle m'a répondu « non ». En effet, dans un état d'hypnose partiel, il est rare qu'une personne fasse de longues phrases quand un mot peut suffire.

J'ai alors proposé sur un ton d'interrogation : « Peut-être qu'une partie de toi le sait et nous le dirait à travers la main ». Nous nous sommes tous deux tournés vers sa main droite qui se tenait figée, un stylo noir bien serré entre les doigts, prête à écrire. Un mouvement circulaire a commencé, et on a très vite pu lire la lettre « o », puis un « u » à trois branches comme un « m » renversé, puis un « i ». Il est très fréquent en écriture automatique, qu'une jambe d'une lettre se répète ou qu'une boucle soit tracée plusieurs fois. Mais vue sa facilité à l'écriture, même dans cet état, je soupçonne cette répétition d'être conditionnée par le fait que j'ai évoqué cette erreur caractéristique dans mes explications.

S'en est suivi une sorte de « conversation à trois », aussi étrange que cela puisse paraître aux personnes qui ne sont pas familières du phénomène psychologique de l'écriture automatique, entre moi, Sarah, et sa main droite.

Le mot qui s'est écrit quand j'ai demandé des explications sur ses crises était « non ». Visiblement, il n'était pas souhaitable que nous ayons connaissance des causes et des raisons du problème.

J'ai demandé si Sarah pouvait faire quelque chose pour que ces crises disparaissent. La réponse a été « non ». D'expérience, je sais que, si on obtient un « non » a une question fermée qui porte sur le fait même de sortir du problème, ce qui ne nous arrange pas, il est possible et efficace de « forcer le oui ». Encore faut-il savoir le faire et respecter quelques règles basiques.

Alors, je me suis empressé de poser à nouveau ma question autrement : « Qu'est-ce Sarah peut faire pour que les crises disparaissent ? ». Le mot « atendre » (sic) s'est écrit. Sarah a une très bonne orthographe. Mais l'écriture automatique en hypnose partielle répond souvent à la même règle d'économie d'effort que les autres actes suggérés, ce qui entraîne souvent des contractions de mots ou de lettres, ou des abréviations.
En découvrant la faute d'orthographe qui s'écrivait devant elle, Sarah a rougi et s'est excusée. Cela ne faisait que renforcer son sentiment que cette partie d'elle qui réfléchissait et répondait par ces mouvements d'écriture n'était pas elle et ne percevait pas les choses comme elle. Pour Sarah, il est important de ne pas faire de fautes, surtout si une autre personne lit ce qu'elle écrit. Pour la partie en question, cela ne revêt pas du tout la même importance.

« Combien de temps ? » m'a-t-elle demandé ? Je lui ai dit que je ne savais pas. Je l'ai invitée à poser de nouveau cette question, mais en direction de sa main droite. Et sa main a écrit «  2m »
Pour lever toute ambiguïté, j'ai invité la main à réécrire de façon parfaitement claire pour nous, et alors il s'est écrit en toutes lettres : « deux bons mois ».

Evidemment, à la suite de cela, j'ai procédé à toutes sortes de vérifications et de procédures techniques dont je vous passe les détails mais qui visent à s'assurer de la bonne intégration de l'exercice, du bon déroulement des choses à la suite de ce travail, et également d'un retour complet de la personne à un état parfaitement réveillé et « normal ».

Nous avons fixé un rendez-vous trois mois plus tard.

Ce troisième rendez-vous, donc, le 6 Mai, a été l'occasion pour Sarah de me décrire les suites de notre séance d'écriture automatique.
Elle s'est sentie « sur un petit nuage » pendant quelques jours. Puis elle est restée très apaisée. Chaque nuit, elle a fait une crise de larme, apparemment assez forte. Mais les crises en journée ont continué de s'espacer jusqu'à disparaître au bout de trois semaines. Elle s'organisait une sieste dans l'après-midi pour récupérer quand son emploi du temps le permettait et se « fichait complètement » de ses crises nocturnes.

Au bout d'un certain temps, environ deux mois, elle s'en rendu compte que ses crises ne se produisait plus toutes les nuits, et qu'elles devenaient rares. Mais elle n'y prêtait quasiment pas attention.

Sarah avait oublié l'expérience d'écriture automatique quelques jours après la séance, et elle ne s'est souvenue d'avoir écrit écrit « attendre / deux bons mois » que le matin du rendez vous. Et ce même matin, elle a réalisé qu'elle n'avait pas fait de crise depuis un certain temps. Mais elle était « incapable de dire si c'était depuis quelques jours ou plusieurs semaines ».

J'ai reçu un message de Sarah hier disant qu'elle n'avait toujours pas pleuré et que son psychiatre lui avait dit qu'ils allaient espacer les séances pour ne plus assurer qu'un suivi. Depuis, ce même médecin m'a adressé une autre de ses patientes, et nous allons, comme on le fait habituellement, prendre contact pour coordonner nos efforts respectifs.









lundi 28 avril 2014

hypnose, subjectivité et doute.


Voici un texte d'introduction digé il y a quelques années pour un article, et que j'ai ressorti récemment pour introduire un atelier. A la demande des certains participants, je le poste ici. Évidemment, hors de son contexte, il n'est pas à prendre comme une parole dogmatique, malgré le ton parfois définitif de certaines affirmations.

Vous y trouverez toutefois en résumé : la conception de la personnalité, des états de la conscience, de l'induction de l'hypnose, de la nature des phénomènes hypnotiques, la question de la profondeur et des différents types de transe, du rôle de l'hypnothérapie et du recadrage hypnotique et d'autres notions encore.
J'attends vos réactions et commentaires. 

David Hume (1711-1776), dans son "Enquête sur l'entendement humain" pose les bases d'un usage radical du doute contre ce qu'on appellera plus tard les biais de la pensée et notamment l'illusion de causalité. Il va jusqu'à nier sa propre existence, anticipant l'expérience de désagrégation de la personnalité de Pierre Janet.  Descartes avant lui se servit du doute pour explorer les évidences premières.  



      "Afin de vivre dans une relative communauté de réalité avec ses congénères, l'humain acquiert tout au long de son développement et même ensuite à l'âge adulte certains repères qui constituent une base à sa personnalité, un certain rapport à la réalité. Comment il voit les couleurs, comment il entend les sons, comment il reconnaît les autres humains, comment il parle, qu'est-ce qui est certain et qu'est-ce qui ne l'est pas, qu'est-ce qui lui semble bon ou mauvais, comment il se représente l'espace dans lequel il bouge, comment il perçoit ordinairement le temps qui passe, etc... etc... Bien sûr ces rapports changent durant sa vie et en fonction des moments, mais il reste une « logique générale », une certaine constance, voire une consistance, qui est sa « personnalité ». 

 
     Or, s'il vivait seul dans un endroit désert, toute sa vie, aurait-il besoin d'appeler un chat un chat, ou pourrait-il le désigner chaque jour d'un nom nouveau ? Ne pourrait-il pas vivre dans une lenteur telle que chaque journée semble s'écouler comme une minute, et toute une vie comme une seule journée ? Ou l'inverse. 
 
     Et bien, quand je suis « réveillé », je suis plongé dans un monde, extérieur à moi, auquel je me confronte, auquel je me cogne en permanence, et auquel je m'adapte inconsciemment. Bien sûr, je l'interprète, à ma sauce. Mais dans la marge qu'il reste pour ne pas être « fou ». 
 
     Et si cet arbre, je le voyais soudain devenir une girafe, si cette journée me semblait être une longue nuit sous un ciel vert émeraude, si les personnes qui me parlent français, je les entendais tout-à-coup siffler comme des oiseaux, si je me prenais moi-même pour un animal fantastique, un griffon ou une coquecigrue. Et si ce n'était pas seulement de l'imagination, mais une façon pour mon cerveau d'interpréter les données de mes sens avec beaucoup de libertés ? Si je percevais cela comme la réalité extérieure ? Alors on me dirait fou ? 
 
     Sauf si je dors, n'est-ce pas ? En rêve, si je nage dans une mer de nuages, je ne me dis pas « je suis en train de rêver que je nage dans une mer de nuages», sauf rares sursauts de conscience réflexive, mais plutôt je nage, vraiment, dans une mer de nuages. Je ne le pense pas, je le vis. C'est ce que fais mon corps, ici et maintenant. Et j'oublie complètement mon corps « physique », mollement abandonné dans mon lit. J'oublie ma chambre. J'oublie l'heure de la nuit qu'il doit être. J'oublie que je dors. Je nage. Dans une mer de nuages.

       C'est seulement au réveil que je peux me dire « Ce n'était qu'un rêve ». 

 
     En rêve, ma réalité est déplacée vers d'autres repères, d'autres lois, un autre espace, un autre temps. Et comme je ne me cogne à rien d'autre qu'à ma propre logique, je peux parler à une personne qui n'est personne, je peux attraper un coup de soleil en pleine nuit, je peux à la fois boire un café chez moi et marcher dans une rue à l'autre bout du monde, je peux passer d'une pièce à une autre sans ouvrir la porte, je peux commencer une phrase quelque part, et la finir dans un autre décor, je peux me souvenir du futur, etc... Et tout cela est parfaitement normal ? 
 
    Il s'agit d'une expérience subjective, puisque intérieure, et donc, parfaitement libre de s'affranchir des lois du monde dans lequel je suis quand je suis « réveillé ». 
 
       Et bien voilà pourquoi on peut oser dire que l'hypnose est, d'une certaine façon, un sommeil. Parfois seulement un sommeil partiel, parfois complet. Si l'hypnotiseur la trouve, l'hypnose qu'il induit, si différente du sommeil nocturne, c'est qu'il n'a de cesse de demander qu'il s'y passe ceci ou cela conforme à son attente. Il la modèle afin qu'elle réponde à sa définition. Il la pique de suggestions, ces aiguillons visant à susciter des réactions. Pour d'autres raisons, l'hypnose, en certains points diffère du sommeil, mais en d'autres lui est parfaitement semblable. Et voilà pourquoi on peut oser dire que l'hypnose est, d'une certaine façon, un sommeil.
 
      Si l'éveil est l'oubli de soi dans un monde extérieur à nous, l'hypnose est un rappel à soi dans ce monde. Puis un rappel à soi dans un monde intérieur. Puis un oubli de soi, à nouveau, mais dans un monde intérieur qu'on peut prendre, de plus en plus, pour un monde extérieur. 
 
     Voilà les quatre états de l'illusion. Je vis en m'oubliant. Puis, entrant dans l'hypnose, je réalise que ce monde extérieur est soumis en permanence à ce que j'en fais, la façon dont je me le représente. Alors prenant des libertés, je construits en moi un autre réel, totalement soumis à moi. Et m'y plongeant tout entier, j'oublie qu'il n'est qu'une fiction, je m'y laisse prendre, je le vis vraiment.
Et l'expérience complète de l'hypnose et celle du rêve ne diffèrent en rien. 
 
     C'est pourquoi l'expérience complète de l'hypnose dans laquelle on invite la personne en hypnose à agir ou à parler, et, en se cognant à quelques bribes de réalité, à conserver pourtant la plus entière possible son illusion intérieure, on la nomme « somnambulisme ». Un somnambulisme provoqué mais semblable à l'existence automatique du somnambule naturel qui ne réveille de lui au monde réel que le strict nécessaire, laissant tout le reste endormi.
 
    L'hypnose est ce moment où, même sans dormir comme on le fait nuitamment, on est autorisé, sans risquer l'internement, à voir l'arbre devenir une girafe, à admirer le beau vert émeraude du ciel, et à s'étonner que les français sifflent leur langue tantôt comme des merles et tantôt comme des pinsons.
 
     A quoi bon ? Pour la joie de sortir, le temps d'une transe, du cadre rassurant de la lucidité, qui n'est qu'une illusion partagée et autorisée. Mais aussi parce que, parmi les lois qui régissent mon rapport au monde, ma façon de le percevoir, de le comprendre et d'y agir, il en est qui, héritées d'une histoire personnelle souvent maladroite, parfois chaotique, en tout cas subie dans une grande part, me poussent à vivre les choses comme je ne souhaite pas les vivre. Et parfois pire : à les penser au lieu de les vivre. Les ruminer jusqu'au dégoût au lieu de les goûter avec délice. Et pas seulement les choses qui se présentent à moi, mais quelque souvenir ancien, ou quelque moment futur que j'anticipe avec inquiétude. 
 
     Et si l'espace d'un instant, celui d'une transe, je pouvais être régi par d'autres lois ! Si ma personnalité pouvait s'organiser selon d'autres repères, ou bien se dissoudre dans une liberté absolue de « délirer sans être fou » ! Si je pouvais, l'espace d'un instant voir « plus loin que le bout de mon nez » ! Adopter un autre regard. Celui d'un enfant ? Celui d'un vieillard ? Celui d'une personne très différente de moi ? Celui de personne ? Celui de tout le monde ? Celui d'une pierre ou d'une goutte d'eau ? Celui du temps ? Ou hors du temps ?
 
     Ou bien si je pouvais cesser de voir les choses par les yeux de ma mère, de mon père, de l'enfant que j'étais, de l'adulte que je pensais devoir être, de celui que j'aurais aimé devenir, ou de telle personne que j'admire et dont je veux gagner l'admiration ? Si je pouvais faire, l'espace d'un instant, celui d'une transe, l'expérience étrange, et qui pourtant ne devrait pas l'être, de voir les choses par mes propres yeux, et de les vivre dans mon propre corps !
Qu'est-ce que cela m'apprendrait ? Quelle trace en resterait-il au sortir de cette transe ? 
 
     En retournant, au moment du réveil, à mes repères, à mes automatismes ordinaires, quel infime mécanisme défectueux aura été remplacé par un autre, neuf, et qui me permette à nouveau de vivre mieux le monde où je suis, tel que cela me rend heureux, fier, et me permet de moins me penser, de m'oublier, de jouir ?
 
     Voilà tout le projet de l'hypnose, véritable excursion hors du monde pour mieux y retourner. 
 
     Et la porte qui ouvre vers cet intérieur - qui est en fait un véritable « plein air » pour l'âme - consiste, comme nous l'avons vu, à quitter les repères, sortir du vrai et du réel, ne plus être sûr de rien, laisser les réalités se distordre, se muter, avec fantaisie. La porte de l'hypnose, c'est la désagrégation du moi, l'ouverture en grand du cadre de la personnalité, par une véritable mise en question des certitudes. La porte de l'hypnose, c'est le doute."  

Antoine Garnier