Sarah a 15 ans. Sarah m'a été envoyée
par son père que j'accompagne dans la gestion émotionnelle d'une
maladie chronique. Elle a accepté que je rédige et publie ici un petit résumé de notre travail ensemble, et a souhaité que je ne change pas son prénom (qu'elle aime beaucoup), car elle a jugé que son anonymat était préservé.
Depuis l'âge de douze ans, Sarah
pleure. Des crises de larmes soudaines qui s'accompagnent de sanglots
très expressifs. Lorsqu'une crise se déclenche, elle perd
littéralement le contrôle et ne peut d'aucune façon venir
l'interrompre. Au début, les larmes allaient de pair avec des idées
tristes et une tristesse ressentie.
Rapidement, les larmes et la tristesse
sont apparues sans qu'aucune idée triste n'y soit associée. Et
depuis un an environ, les crises de larmes ne donnent même pas lieu
à une véritable émotion associée.
Elle est simplement, en fonction des
situations, très embarrassée, honteuse, agacée, déçue,
désespérée, selon ses propres termes.
Sarah est suivie en psychothérapie par
un psychiatre. Et leur travail a aboutit à un progrès manifeste et
très encourageant. Ses crises diurnes sont désormais rares et
durent moins longtemps. Parfois, il s'agit même seulement de larmes,
mais avec des sanglots très légers.
Mais depuis peu, de nouvelles crises,
nocturnes cette fois, se manifestent. Sarah dort seule dans sa
chambre et il lui a fallut quelques temps pour s'en rendre compte. De
plus en plus souvent, elle se réveillait le matin exténuée, les
yeux congestionnés. Des larmes pas toujours sèches irritaient ses
pommettes et ses joues. Ses draps étaient bien souvent en vrac au
pied de son lit.
C'est sa mère qui, l'entendant
sangloter, l'a surprise au beau milieu de la nuit, prostrée dans un
coin de sa chambre, dans un état de tristesse très intense.
Comme sa mère l'a réveillée durant
sa crise, Sarah a pu se souvenir qu'elle se levait pour pleurer
depuis déjà quelques semaines.
Démuni devant ce nouveau symptôme,
son psychiatre a décidé de persévérer dans la thérapie, mais lui
a également conseillé de voir ce qu'un hypnothérapeute pourrait
lui apporter en complément. Son père, que je reçois une fois tous
les deux mois, me l'a naturellement adressée.
Dés la première séance, après avec
longuement discuté, la première hypnotisation que je lui ai
proposée à immédiatement provoqué une crise de larme, ce qui
était parfaitement logique et prévisible.
À la différence de ses crises
naturelles, j'ai pu obtenir que la crise cesse sur un simple signal.
Une personne sujette au somnambulisme nocturne a des chances assez
élevées de répondre à l'hypnotisation en développant très
rapidement un état très profond de somnambulisme hypnotique. Et
c'est exactement ce qui s'est passé.
Sarah gardait une mémoire correcte du
contenu de l'hypnose, mais sur une simple suggestion, pouvait
l'oublier totalement, ou s'en souvenir complètement.
Les suggestions et le travail menés
durant la première séance ont été insuffisants pour obtenir une
amélioration significative. Les crises nocturnes ses sont espacées,
et elle était plus sereine en journée. Mais rien qui permette
d'attribuer avec certitude ces changements à l'usage de la
suggestion hypnotique.
Durant la deuxième séance, je lui ai
proposée un travail basé sur l'écriture. Sarah est une élève
studieuse et créative qui passe beaucoup de temps à écrire et avec
plaisir. Elle était donc ravie d'apprendre qu'un travail de
« thérapie », comme elle l'a spontanément nommé,
pouvait passer par l'acte d'écrire.
Nous avons d'abord discuté de l'acte
d'écrire lui-même. Et cette discussion avait pour but d'introduire
en elle l'idée d'une écriture automatique afin que celle-ci
devienne plus facilement une suggestion réelle plus tard.
Je lui ai expliqué que l'action
d'écrire combine de la volonté, des réflexes, des automatismes, et
des décisions prises sans notre intervention consciente.
Par exemple, je veux écrire le mot
« Joie », c'est ma volonté, mon désir, mon souhait
conscient. Cela active des automatismes dans ma mémoire, dans ma
motricité, des réflexes musculaires acquis, etc... Et ainsi j'écris
le mot sans effort, naturellement. Et il y a également des choix
inconscients : pourquoi ai-je détaché le « i » et
le « e », pourquoi est-ce que j'ai écrit le « j »
en majuscule. Ça n'a peut-être aucune signification, mais j'ai
quand même, sans y réfléchir, choisi de l'écrire comme ceci
plutôt que d'une autre façon.
Autre exemple, si je veux écrire un
mot pour préciser à ma femme que j'ai arrosé le plans d'aromates
du jardin et qu'elle n'a pas besoin de le faire, j'ai un souhait, une
volonté, qui est le message à transmettre. Tout un ensemble
d'automatismes de la mémoire et du corps vont me permettre de
l'écrire avec des lettres lisibles et une orthographe correcte. Mais
encore, sans y réfléchir vraiment, j'utiliserai spontanément tel
mot plutôt que tel autre, tel ton plutôt que tel autre, etc... Ces
« choix inconscients » seront déjà plus intéressants
dans le sens où ils trahissent probablement un peu de ma
personnalité, et de la nature de notre relation conjugale.
Cette évocation amène à Sarah, par
analogie, une anecdote sur un lapsus graphique cocasse qu'elle fait
systématiquement. A chaque fois qu'elle veut taper le mot
« félicitation » sur son ordinateur, elle tape d'abord
le mot « félacion » (sic) puis le corrige.
Après en avoir rigolé ensemble, il
vient à Sarah un autre lapsus qu'elle fait régulièrement :
quand elle souhaite taper le mot « peur », elle tape
d'abord spontanément le mot « pleur ».
Sans que je la pousse dans une
interprétation trop hasardeuse, Sarah remarque d'elle-même la
pertinence particulière de ce lapsus. Je me garde de lui faire
remarquer que l'autre aussi pourrait ne pas être qu'une simple
grivoiserie de subconscient.
J'explique ensuite à Sarah ce qu'est
le phénomène de l'écriture somnambulique. Je lui cite l'exemple du
Dr Milton Erickson qui, étudiant en médecine, rédigeait des
articles entiers dans son sommeil, qu'il trouvait au matin sur sa
table de chevet, lorsqu'il se réveillait sans aucun souvenir de
l'avoir fait ni même de ce qu'il avait écrit et les envoyait tels
quels au journal universitaire. Et je lui cite quelques autres
expériences issues de ma pratique.
Comme nous avons déjà eu l'occasion
d'observer avec elle l'extrême docilité de son somnambulisme, elle
n'a aucun doute sur sa capacité à écrire dans un sommeil paradoxal
et n'en garder aucun souvenir.
Je lui décris ensuite le phénomène
nommé « écriture automatique ». Pour ajouter du piquant
au récit, je lui raconte certaines utilisations que font les
spirites de ce mécanismes psychologique qu'ils nomment
« psychographie ».
Je lui précise qu'il s'agit de rester
dans un état d'hypnose partiel, qui permette, bien qu'on puisse se
sentir « bizarre », d'être assez présent, assez
consciemment réveillé pour observer l'action autonome de la main
qui bouge toute seule, manipule le crayon, et forme les lettres. On
découvre alors les mots que ces lettres forment. Et on peut ensuite
découvrir des phrases entières, en ayant réellement le sentiment
de n'avoir joué aucun rôle. Bien souvent, lui précisé-je à fin
de suggestion, on n'a même aucune sensation de son bras et du
mouvement du bras. Si bien qu'on le croirait parfaitement immobile si
les yeux n'étaient pas grand ouverts pour regarder ce spectacle.
Sarah est amusée par cette idée. En
effet, le somnambulisme a ceci de frustrant que le sujet ne peut pas
vraiment dire qu'il a vécu une expérience étonnante. L'idée d'une
hypnose partielle, durant laquelle on assiste au phénomène qui se
produit en nous, est plus excitante pour elle.
Plongée dans un état somnambulique,
je propose à Sarah d'écrire un poème qu'elle connaît par cœur,
et à chaque mot, de se réveiller un peu plus, tout en laissant le
bras droit continuer d'écrire tout seul dans son sommeil. Il a suffi
de quelques minutes pour obtenir un résultat très satisfaisant et
un état partiel parfaitement stable.
Je me suis donc retrouvé, comme il est
habituel aux personnes qui accompagnent l'écriture automatique,
attablé avec Sarah, elle consciente, bien que « vaseuse »
(sic), et son bras écrivant lentement de jolies lettres d'écolière
un peu saccadées.
J'ai demandé à Sarah si elle savait à
quoi ses crises de larmes correspondaient ? Elle m'a répondu
qu'elle n'en avait pas la moindre idée. Plus précisément, elle m'a
répondu « non ». En effet, dans un état d'hypnose
partiel, il est rare qu'une personne fasse de longues phrases quand
un mot peut suffire.
J'ai alors proposé sur un ton
d'interrogation : « Peut-être qu'une partie de toi le
sait et nous le dirait à travers la main ». Nous nous sommes
tous deux tournés vers sa main droite qui se tenait figée, un stylo
noir bien serré entre les doigts, prête à écrire. Un mouvement
circulaire a commencé, et on a très vite pu lire la lettre « o »,
puis un « u » à trois branches comme un « m »
renversé, puis un « i ». Il est très fréquent en
écriture automatique, qu'une jambe d'une lettre se répète ou
qu'une boucle soit tracée plusieurs fois. Mais vue sa facilité à
l'écriture, même dans cet état, je soupçonne cette répétition
d'être conditionnée par le fait que j'ai évoqué cette erreur
caractéristique dans mes explications.
S'en est suivi une sorte de
« conversation à trois », aussi étrange que cela puisse
paraître aux personnes qui ne sont pas familières du phénomène
psychologique de l'écriture automatique, entre moi, Sarah, et sa
main droite.
Le mot qui s'est écrit quand j'ai
demandé des explications sur ses crises était « non ».
Visiblement, il n'était pas souhaitable que nous ayons connaissance
des causes et des raisons du problème.
J'ai demandé si Sarah pouvait faire
quelque chose pour que ces crises disparaissent. La réponse a été
« non ». D'expérience, je sais que, si on obtient un
« non » a une question fermée qui porte sur le fait même
de sortir du problème, ce qui ne nous arrange pas, il est possible
et efficace de « forcer le oui ». Encore faut-il savoir
le faire et respecter quelques règles basiques.
Alors, je me suis empressé de poser à
nouveau ma question autrement : « Qu'est-ce Sarah peut
faire pour que les crises disparaissent ? ». Le mot
« atendre » (sic) s'est écrit. Sarah a une très bonne
orthographe. Mais l'écriture automatique en hypnose partielle répond
souvent à la même règle d'économie d'effort que les autres actes
suggérés, ce qui entraîne souvent des contractions de mots ou de
lettres, ou des abréviations.
En découvrant la faute d'orthographe
qui s'écrivait devant elle, Sarah a rougi et s'est excusée. Cela ne
faisait que renforcer son sentiment que cette partie d'elle qui
réfléchissait et répondait par ces mouvements d'écriture n'était
pas elle et ne percevait pas les choses comme elle. Pour Sarah, il
est important de ne pas faire de fautes, surtout si une autre
personne lit ce qu'elle écrit. Pour la partie en question, cela ne
revêt pas du tout la même importance.
« Combien de temps ? »
m'a-t-elle demandé ? Je lui ai dit que je ne savais pas. Je
l'ai invitée à poser de nouveau cette question, mais en direction
de sa main droite. Et sa main a écrit « 2m »
Pour lever toute ambiguïté, j'ai
invité la main à réécrire de façon parfaitement claire pour
nous, et alors il s'est écrit en toutes lettres : « deux
bons mois ».
Evidemment, à la suite de cela, j'ai
procédé à toutes sortes de vérifications et de procédures
techniques dont je vous passe les détails mais qui visent à
s'assurer de la bonne intégration de l'exercice, du bon déroulement
des choses à la suite de ce travail, et également d'un retour
complet de la personne à un état parfaitement réveillé et
« normal ».
Nous avons fixé un rendez-vous trois
mois plus tard.
Ce troisième rendez-vous, donc, le 6
Mai, a été l'occasion pour Sarah de me décrire les suites de notre
séance d'écriture automatique.
Elle s'est sentie « sur un petit
nuage » pendant quelques jours. Puis elle est restée très
apaisée. Chaque nuit, elle a fait une crise de larme, apparemment
assez forte. Mais les crises en journée ont continué de s'espacer
jusqu'à disparaître au bout de trois semaines. Elle s'organisait
une sieste dans l'après-midi pour récupérer quand son emploi du
temps le permettait et se « fichait complètement » de
ses crises nocturnes.
Au bout d'un certain temps, environ
deux mois, elle s'en rendu compte que ses crises ne se produisait
plus toutes les nuits, et qu'elles devenaient rares. Mais elle n'y
prêtait quasiment pas attention.
Sarah avait oublié l'expérience
d'écriture automatique quelques jours après la séance, et elle ne
s'est souvenue d'avoir écrit écrit « attendre / deux bons
mois » que le matin du rendez vous. Et ce même matin, elle a
réalisé qu'elle n'avait pas fait de crise depuis un certain temps.
Mais elle était « incapable de dire si c'était depuis
quelques jours ou plusieurs semaines ».
J'ai reçu un message de Sarah hier
disant qu'elle n'avait toujours pas pleuré et que son psychiatre lui
avait dit qu'ils allaient espacer les séances pour ne plus assurer
qu'un suivi. Depuis, ce même médecin m'a adressé une autre de ses
patientes, et nous allons, comme on le fait habituellement, prendre
contact pour coordonner nos efforts respectifs.
Merci pour ce témoignage détaillé et inspirant !
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