jeudi 31 octobre 2013

Chertok : anesthésie et psychosomatique en hypnose. VIDEO


Un document de 1990 signé Chertok et Michaud. En dehors de quelques commentaires bien creux et de démonstrations très maladroites montrant une pratique encore bien mal dégrossie, ce petit reportage très vieilli a le mérite de montrer les applications de l'hypnose et de ses effets psychosomatiques dans un usage médical d'une façon un peu plus explicative que beaucoup de reportages actuels.

lundi 28 octobre 2013

Hypnose conversationnelle : un exemple d'Erickson

Milton Erickson, 1901-1980, USA

 
L'extrait d'un article du Dr Milton Erickson intitutlé "L'hypnose profonde et son induction", 1952


"Les hypnotistes peu expérimentés ont tendance à essayer, au cours de l'induction de la transe, de diriger ou de contrôler le comportement du sujet pour qu'il soit conforme à leur conception de la façon dont un sujet "doit" se comporter. Il faut en ce domaine toujours minimiser le rôle de l'hypnotiste et mettre constamment en valeur le rôle du sujet. 

On peut citer en exemple un sujet volontaire, qui servit plus tard à enseigner l'hypnose à des étudiants en médecine. Après une présentation générale de l'hypnose, elle manifesta le désir d'entrer en transe sur le champ. Je lui suggérai de choisir la chaise et la position qui lui sembleraient les plus confortables. Quand elle se fut installée à sa convenance, elle déclara qu'elle aimerait bien fumer une cigarette. On lui en donna une aussitôt et elle commença à fumer tranquillement, observant d'un air pensif les volutes de fumée. Sur le ton de la conversation, je lui fis quelques remarques sur le plaisir de fumer et d'observer les volutes de fumée, sur son sentiment de bien-être quand elle portait la cigarette à sa bouche, sur la sensation de satisfaction intérieure qu'elle pouvait éprouver à être complètement absorbée par le fait de fumer agréablement, sans attendre quoi que ce soit de l'extérieur. Puis, je fis quelques remarques d'apparence anodines sur le fait d'inspirer et de souffler, mots que j'énonçais au rythme de sa respiration. J'évoquai aussi la facilité avec laquelle elle pouvait presque automatiquement élever sa cigarette jusqu'à sa bouche, puis abaisser ensuite le bras jusqu'à l'accoudoir du siège. 

Ce remarques étaient également émises au moment où elle faisait le geste correspondant. Bientôt, les mots "inspirer" et "souffler", "élever" et "abaisser" commencèrent à la conditionner, sans qu'elle s'en rende compte puisque ces suggestions avaient l'apparence d'une conversation ordinaire. De même, je lui donnai des suggestions banales dans lesquelles les mots "dormir", "endormie" et "sommeil" étaient prononcés en suivant les mouvements de ses paupières. 

Avant d'avoir fini sa cigarette, elle était en transe légère. Je lui fis alors la suggestion qu'elle pourrait continuer à prendre plaisir à fumer tout en dormant de plus en plus profondément ; que je m'occuperais de sa cigarette pendant qu'elle serait absorbée de plus en plus totalement dans un profond sommeil ; que, tout en dormant, elle continuerait à avoir les sensations agréables qu'elle avait en fumant. Il s'ensuivit une transe profonde satisfaisante, et je l'entraînai longuement pour lui apprendre à réagir selon ses propres schémas inconscients de fonctionnement. 

Par la suite, l'auteur la présenta à maintes reprises à des groupes d'étudiants en médecine pour qu'ils travaillent avec elle comme sujet volontaire. Pour l'essentiel, elle se comportait avec eux comme elle l'avait fait avec l'auteur, mais les étudiants réagissaient de différentes manières à sa requête de fumer une cigarette. Certains la dissuadaient avec tact de remettre ainsi à plus tard l'induction de transe, d'autres se mettaient à fumer avec elle, et d'autres encore attendaient patiemment qu'elle ait fini. Ce n'est qu'après avoir réglé d'une manière ou d'une autre la question de la cigarette qu'ils lui permettaient de s'atteler à sa tâche d'être hypnotisée. Dans tous les cas, le résultat était un échec. 

Lors de la dernière réunion avec tous les étudiants qui avaient participé à ce travail, deux autres étudiants furent introduits séparément pour tenter de l'hypnotiser. L'auteur avait raconté à ces deux étudiants comment il avait utilisé le comportement du sujet, comme nous l'avons décrit ci-dessus. Tous les deux induisirent des transes profondes. Les autres étudiants, en suivant ces exemples, réussirent aussi par la suite."

mercredi 23 octobre 2013

Formation en hypnose




Découvrez le nouveau programme d'hypnose de l'Ecole Française de Coaching, conçu et donné par votre serviteur à partir de Janvier 2014. 

Cliquez-ici :


http://www.ecolefrancaisedecoaching.com/formation-hypnose.html

Prioritairement destiné aux personnes ayant déjà une formation ou une activité professionnelle dans un domaine qui peut bénéficier de l'outil hypnose (coaching, pédagogie, thérapie, profession de santé, management...), ce programme peut également s'adapter à des projets plus personnels.

Le programme est conçu autour d'une pratique simple et concrète, devenant rapidement plus subtile et élaborée. A la fin du cursus, vous maîtrisez les outils de l'hypnose pré-ericksonienne, de l'hypnose ericksonienne, de l'hypnose conversationnelle, et connaissez de très nombreuses façons intelligentes d'accompagner le changement avec l'aide de l'hypnose, que ce soit dans une démarche de thérapie, de relation d'aide, de coaching, etc...


N'hésitez pas à me poser vos questions sur les aspects pédagogiques.

La relation et l'humain au cœur du soin

Le théâtre Adyar qui a accueilli le colloque de l'Arche le 12 octobre 2013

Samedi 12 Octobre, l'école d'hypnose ericksonienne ARCHE organisait à Paris un colloque réunissant une vingtaine d'intervenants dans divers champs de spécialité. Beaucoup de choses ont été dites durant cette journée. Plusieurs thèmes récurrents en ressortaient : la peur, le trauma, le cerveau, l'apprentissage, le récit, l'attitude... 
Et sans qu'on puisse dire qu'il fût commun aux diverses interventions, un thème est revenu à plusieurs reprises : la relation du soignant et du soigné.
Bien sûr, j'utilise volontairement ces mots, non pas dans le sens officiel d'une personne habilitée par le ministère à exercer une métier de soin, mais dans le sens plus général que nous offre la langue française d'une personne qui prend soin d'une autre, et réciproquement. Ainsi, peut-on considérer que la thématique du soignant et du soigné s'applique assez bien à la relation d'un parent à son enfant, d'un adulte à son parent âgé, d'un bénévole qui approche une personne à la rue, ou dans bien d'autres contextes où un humain entre volontairement dans une relation avec un autre humain dans le but de lui proposer un soutien, une aide, une écoute, bref, de prendre un peu, l'espace d'un instant ou dans la durée, soin de lui. Et bien sûr, cela s'applique a fortiori à ceux des professionnels de la santé qui prennent soin de leurs patients. (et seuls ces derniers sont légalement autorisés à se décrire comme soignants et à utiliser le terme de soin pour désigner leur activité professionnelle)

Laissez-moi vous évoquer quelques unes des paroles échangées à ce colloque sur le thème de la relation. Bien sûr, ce que j'ai compris ne correspond pas fidèlement à ce qui a été exprimé, car lorsqu'une personne en écoute une autre, deux s'expriment : l'un par sa voix, et l'autre par le sens intime que son vécu donne aux mots, et les associations imprévisibles qu'ils stimulent. Je mets donc mes mots sur des choses entendues, probablement très infidèle aux propos d'origine.

Le cinéaste Jan Kounen, avec une clarté et une précision remarquables, a décrit la relation du thérapeute traditionnel avec son patient, dans les sociétés amazoniennes du Pérou. Il s'agit d'une relation d'initiation : il lui offre de façon cadrée une expérience lui permettant de se confronter à ses peurs les plus essentielles et à les dépasser.
Cependant, il reste un soignant dans la mesure où les personnes le consultent lorsqu'elles souffrent. Si je me confronte moi-même à mes démons, mes peurs les plus terribles, à la nudité la plus pure de mon être, et à ma propre mort, probablement en retirerai-je plus de chaos encore que de mieux-être, car subjugué par l'ampleur de l'expérience, je pourrais me noyer dans la vague des émotions.
Le chaman, par ses chants, assure l'escalade de l'initié : il fractionne sa confrontation à la vérité de son être, en bouchées suffisamment petites pour être digestes. Mais encore, il n'hésite pas, pour le soulager, à lui voler sa douleur. Lui, parfaitement centré, capable de surfer les tsunamis les plus violents sans perdre l'équilibre, saura mieux que son patient se libérer, par un chant encore, de ce mal.
Guide-t-il son patient dans la thérapie ? Pas vraiment. Il lui ouvre la porte, notamment par l'administration de l'ayuhuasca, mais le laisse ensuite traverser le jardin de son expérience, lui offrant la main pour soutenir son équilibre, sans jamais passer devant lui.

Et c'est la même idée qu'a exprimé le psychothérapeute Thierry Janssen : le thérapeute propose une expérience qui est le champ pour le patient d'un apprentissage, mais il ne lui enseigne rien, et ne le dirige pas. Il est là pour lui. Une présence.
Janssen a également insisté sur le fait que le thérapeute se confronte à la peur de sa propre mort, l'apprivoise, pour ensuite pouvoir offrir cette expérience à l'autre. Et lorsque Janssen parle de la relation thérapeutique, il la décrit par la plus parlante des métaphores : elle est une danse, nous dit-il.
On danse ensemble, et non pas l'un remportant une victoire sur l'autre ; on danse en mouvement tout en gardant à chaque instant l'équilibre ; l'équilibre de l'un soutient l'autre ; il faut s'abandonner à la danse, et pourtant rester centré sur elle, sur l'autre, sur le mouvement, sur l'instant. On pourrait encore filer des kilomètres de cette métaphore au premier abord banale et en réalité d'une justesse édifiante.

Plus tôt dans la journée, le psychologue Daniel Goldshmidt a présenté le conflit qui existe, chez les spécialistes, entre les tenants d'une explication comportementale de l'hypnose, et ceux qui soutiennent qu'il s'agit d'une condition particulière de la conscience. Il n'est pas du tout sûr, en réalité, que les deux camps s'opposent.
Goldshmidt nous a offert une piste de réconciliation en exposant la théorie de l'hypnose comme phénomène social. Il ne s'agirait pas de considérer la bonne relation comme un plus à la pratique de l'hypnose, mais de considérer l'hypnose comme une évolution sociale de notre espèce. L'hypnose est une forme intense de mise en relation.
Au sens philosophique du terme, il n'y a qu'un pas jusqu'à assimiler l'hypnose à l'amour, ce qui serait même physiologiquement et psychologiquement loin d'être absurde.

Le professeur de management Philippe Gabillet a témoigné de la façon dont il enseignait l'hypnose à ses élèves, futurs chefs d'équipes dans des milieux clairement hostiles, afin que ceux-ci se présentent, pour leur collaborateurs, non pas comme de méchants chefs les motivant par la menace de représailles, mais comme de véritables piliers, capable de les rassurer, de les stimuler, de les renforcer.
Le chef est la ressource humaine la plus solide de l'entreprise, le bras paternel qui protège son engeance et lui apprend à trouver sa force. Le leader est celui qui a affronté et dépassé les pires dangers de son milieu, et en cela, peut accompagner les moins aguerris à travers ce même chemin épineux.
La similitude est frappante entre cette conception du leadership en entreprise et ce que Janssen et Kounen décrivent de l'initiation traditionnelle, et d'autant plus surprenante qu'elle est la structure commune d'une relation à travers des cultures que rien ne semble, de prime abord, rapprocher.

Martine Tual, kinésithérapeute, a également donné une illustration très claire de la relation thérapeutique qui consiste à offrir une présence beaucoup plus qu'une guidance. Elle a décrit comment, par de simples questions, stimulant l'accouchement par la personne de ses propres métaphores, de ses propres visualisations, le soigné parvient à effectuer de lui-même toute la partie mentale du soin. Jamais, dans cet exemple, ne lui propose-t-elle aucune piste venant d'elle. Elle se contente d'être présente, par ses questions.

Cette qualité de présence, récurrente durant ce colloque, a encore été louée par le thérapeute Yves Wauthier. Démontrant le pouvoir de la provocation en thérapie, il en révèle l'ingrédient principal, celui qui fait toute la recette : la bienveillance. On peut dire à l'autre les pires choses, le confronter brutalement aux réalités les plus crues : si tout cela est baigné dans le dévouement le plus complet à l'autre, dans la bienveillance la plus sincère, dans la présence la plus aimante, il n'en ressortira aucune vexation, aucune blessure, mais le sentiment d'être compris, une vision plus claire des choses, et par dessus tout, la possibilité de porter sur ses plus grandes peurs un regard plein d'un sens de l'humour retrouvé. D'une certaine façon, la thérapie provocatrice consiste à provoquer, par l'amour de l'autre, le rire.

Je ne peux malheureusement pas citer tous les intervenants du colloque et mon choix ici correspond à l'angle que j'ai voulu aborder. Je citerai probablement les autres dans d'autres billets, car il y a encore bien des convergences intéressantes qui ressortent de ce colloque. Mais j'aimerais terminer en relatant l'intervention de la psychologue Anne Chervet. Son expérience de soignante en gériatrie, elle l'a partagée à travers des témoignages touchants car ils concilient un professionnalisme qui ne repose pas sur le hasard des bonnes intentions mais sur une solide compréhension du grand âge, avec l'importance de ne jamais oublier que les soignés sont des personnes, et que le soin est une relation.
La synchronisation était à l'origine une technique de mise en relation de deux individus basée sur quelques éléments rythmiques comme la respiration. Puis, avec le temps, elle devenue une véritable idée de la relation par l'ouverture non seulement au rythme de l'autre, mais encore à ce qu'il est, à qui il est, à ce qu'il croit, à la façon dont il est dans le monde, ce qu'il en attend, à ce à quoi il attache de l'importance, etc...
La synchronisation est la danse, à de multiples niveaux. Et c'est cette façon de se connecter à l'autre, de s'ouvrir à lui, qu'Anne Chervet a apprise notamment en apprenant l'hypnose, et qui, comme elle en témoigne, a modifié totalement la pratique de son activité. Cette acceptation de l'humain qui se présente devant nous, est la clef d'une efficacité thérapeutique concrète qui se répercute dans les détails les plus importants du soin. La chaleur communiquée est déjà, pour l'âme, un pansement. Et certains médicament peuvent s'avérer moins nécessaires quand le malade, souvent apeuré, ressent l'apaisement d'une relation chaleureuse, profondément humaine, et qui le prend lui, dans toute son humanité.
Depuis, Anne Chervet enseigne aux soignants qu'elle forme, l'art de la synchronisation et ceux-ci témoignent du même enthousiasme quant à cet outil, car il est bien plus qu'un simple gadget ajoutant un peu de confort aux conditions de travail : il est l'essence du soin, le premier pas qui dessine le mouvement et fait entrer dans la danse.

Thierry Janssen, apportant une belle profondeur à cette journée déjà bien placée sous le signe de l'humain, insiste sur l'importance de ne pas considérer le thérapeute comme un acteur banal de la société. Son rôle n'est pas trivial, et il n'est pas un commerçant, un ouvrier comme un autre. Son rôle est sacré, nous dit Janssen, car il touche à ce qu'il y a de plus sacré. Le thérapeute l'est parce qu'il n'est pas une personne ordinaire : il est celui qui a apprivoisé ses peurs. Et il touche au sacré car il accompagne des humains à travers la vallée la plus profonde et la plus obscure de ce qui les constitue, peuplée des peurs les plus intimes, et jusqu'aux hauteurs d'une présence retrouvée.
A une échelle variable, il en est de même pour toute relation d'un soignant à un soigné. Tout relation d'un humain qui, pour de bonnes raisons, offre son épaule pour soutenir celui qui tombe sur le chemin, est d'une certaine façon une relation qui échappe au trivial et confine au sacré.

vendredi 21 juin 2013

Hypersensible ou doué en hypnose ? Le délai de réponse corporelle



Pavel Dmitrichenko


Dans une relation hypnotique, lorsqu'une personne répond très rapidement à une suggestion (par exemple si elle est incapable de bouger son bras juste parce qu'on lui a dit « Regardez, votre bras est parfaitement et confortablement paralysé maintenant !), il est de coutume de lui indiquer qu'elle est « douée » pour l'hypnose, que sa capacité de réponse inconsciente est un talent. Flatté, le sujet s'autorise à aller plus loin encore et à faire l'expérience de phénomènes hypnotiques encore plus étonnants. Cela permet également de lever tout sentiment négatif qui peut naître de la perte d'un certain contrôle conscient. Non, vous n'êtes plus influençable qu'un autre, votre volonté et votre contrôle ne sont pas faibles : vous êtes juste doué en hypnose. Et cette simple suggestion a encore beaucoup de vertus que je ne vais pas détailler ici.
Mais quelle est la réalité ? Derrière cette capacité, il peut se cacher une trop grande sensibilité. Pour expliquer cela, permettez-moi de revenir sur quelques notions de bases nécessaire. Mais j'essaierai de les rendre aussi claires que possible.

Idéomotricité

Parmi toutes les variables en jeu dans l'hypnotisabilité, une des plus importante est la réponse idéo-motrice. Qu'est-ce que c'est que ce machin là ? Et bien, en très gros voici comment on peut l'expliquer :
Les idées tendent à se développer jusqu'à un acte. Elles influencent le corps jusqu'à l'action.

C'est la relation de l'idée au mouvement (au sens large d'une modification interne ou externe de l'état du corps).

Si je me souviens de mes dernières vacances à la plage, je m'en fabrique, par exemple, une image mentale. Me reviennent certaines informations, certains souvenirs, des sensations, etc... A force de maintenir cette pensée, à force de me plonger dans ce souvenir, une partie de moi va commencer à croire un peu que je suis à la plage, et à modifier mon corps en conséquence. Ma respiration va se modifier, mon rythme cardiaque, la température de mon corps, l'expression de mon visage. Puis petit-à-petit d'autres données. Je subis physiquement l'influence positive de cette pensée agréable à laquelle j'expose ma conscience. 

Héritière de la notion d'idée-force, ce que nous appellerons par commodité l' « idéomotricité » est à la base de la compréhension du mécanisme de suggestion. Une suggestion est valable non pas parce que la personne « croit que c'est vrai », mais simplement parce que, même si c'est elle sait que ça n'est que dans son imagination, elle maintient suffisamment cette idée dans ses pensées pour que cette idée modifie son rapport à la réalité. On parle alors d'une motivation à la suggestion. 

Prenons un autre exemple. Un enfant assis sur sa chaise à l'école. Par la fenêtre, il regarde d'autres enfants courir et jouer au ballon. « Moi aussi je sortirais bien courir et jouer au ballon », pense-t-il sûrement. Il se projette. Et cette pensée de lui jouant, même inconsciente, développe progressivement son influence sur le corps.
Son rythme s'accélère (rythme de son cœur, de sa respiration, de ses pensées...). Ses jambes s'agitent. Il ne tient plus en place. Et la pensée qui se développe vers l'acte doit s'accomplir dans le fait d'exécuter concrètement cet acte. Cela devient une pensée obsessionnelle, dictant de l'intérieur une chose à faire. Cette pensée l'occupe tout entier et ne le laisse pas se concentrer sur le cours. Cette pensée le domine.Très difficile de ne pas lui obéir. Difficile de l'inhiber, de n'en faire qu'une simple pensée, quand tout le corps déjà est investi. La seule libération possible : sortir, courir, jouer au ballon.

La suggestion hypnotique

Or, en hypnose, le fait qu'une pensée devienne une modification physiologique est fondamentale. Si je vous demande « Qu'est-ce que vous ressentez au moment de vous endormir ? ». Cette simple question vous oblige à orienter vos pensées vers le thème du sommeil, et vers des souvenirs d'endormissements. Il se peut que, le temps d'y réfléchir et d'y répondre, cette pensée n'ait eu que peu d'influence sur votre corps. Rapidement chassée dans la conversation par une autre pensée, elle restera purement « cérébrale » comme on dit dans le langage courant, sans devenir sensible.
Mais pour une personne dont l'idéomotricité est vive, le fait de penser à l'endormissement s'accompagnera très vite d'une modification de la respiration, du rythme cardiaque, du tonus musculaire, et le cerveau lui-même développera plus ou moins rapidement les caractéristiques du sommeil. Or l'objectif d'une suggestion hypnotique n'est pas qu'elle soit « comprise » en tant qu'idée, mais qu'elle oriente la personne vers une modification de son vécu au présent. Ainsi, si j'évoque le confort, ça n'est pas dans le but que la personne pense au confort, mais dans le but qu'elle se sente confortable. Si je lui demande « vous savez ce que c'est le confort ? », je me fiche qu'elle me dise « oui » ou « non », la vraie réponse que j'attends d'observer est celle de son corps qui adopte, ne serait-ce que de façon infime, le début d'un relâchement confortable.

Le temps d'agir

L'erreur, lorsqu'on parle d'hypnotisabilité, ou bien de suggestibilité, serait de penser qu'il y a des personnes qui vont être sensibles aux suggestions et d'autres non. En réalité, il s'agit plutôt d'une question de temps. Combien de temps met la pensée d'un mouvement pour devenir un mouvement ? Combien de temps met une pensée émouvante pour provoquer une émotion ?
Ce qu'on appelle aussi l' « impression » (au sens photographique du terme) dépend d'un temps d'exposition.

Nous avons l'habitude de tester l'idéomotricité de beaucoup de façons. Par exemple, une personne laisse ses deux mains reposer sur ses genoux. On lui explique que sa main droite va être prise d'un mouvement irrépressible vers le haut, qu'elle va s'élever toute seule, progressivement. On insiste pour qu'elle ne fasse aucun mouvement volontairement, qu'elle ne fasse rien. On peut le lui affirmer (« Votre main va monter toute seule »), lui faire comprendre subtilement, ou lui évoquer des métaphores. L'essentielle est que cette personne développe en elle l'idée de ce mouvement, l'attente de cette action. Peu importe comment elle y arrive.

Certains auront immédiatement, sous l'effet de cette suggestion et des autres variables en jeu, une réponse motrice, c'est-à-dire un premier spasme du biceps par exemple, qui fera monter la main. Chez ces personnes, l'idée devient un acte extrêmement vite. Ils ont une forte impressionnabilité, ou une forte idéomotricité, pour continuer avec ce néologisme.

D'autres personnes auront besoin qu'on maintienne dans leur esprit cette pensée pendant une période prolongée, le temps qu'elle finisse par avoir une influence sur le mouvement. On peut par exemple répéter la suggestion, ou bien laisser un long silence, ou bien demander à la personne de continuer d'imaginer ce mouvement, ou d'imaginer quelque chose qui évoque ce mouvement (par exemple, que la main est accrochée par une corde à une montgolfière imaginaire, qui s'envole toujours plus haut). La réponse n'est qu'une question de temps. Pour la plupart des gens, quelques minutes grand maximum avant que la main monte. Mais pour certaines personnes, cela peut-être beaucoup plus long. Et en général, c'est d'autant plus important pour ces personnes de parvenir jusqu'à ce point. C'est pourquoi la qualité essentielle de l'hypnotiseur ou de l'hypnothérapeute, c'est certainement la patience, une pleine confiance dans le temps. Ces personnes, que beaucoup d'hypnotiseurs impatients considèrent comme « non hypnotisables » et que les tests statistiques excluent le plus souvent, sont en réalité aussi doués que les autres. C'est juste une question de temps.

En hypnose, ces réponses involontaires sont fondamentales, car elles induisent naturellement le début d'un état hypnotique, et elles sont le moyen de valider le travail effectué à un niveau inconscient. Et c'est ce qui fait la différence avec une simple thérapie par la pensée, sans tenir compte de l'intégration physique de l'idée.

Augmenter la réceptivité

Lorsqu'une personne a une idéomotricité trop lente, nous disposons de tout un panel de techniques simples et confortables pour l'aider à développer des réponses plus rapidement. C'est ce qu'on appelle l'induction hypnotique (du moins une partie). Et un entraînement lui permettra à terme de développer des réponses beaucoup plus vives, et d'entrer en hypnose rapidement. Cela dit, est-ce que cette lenteur est un défaut ? Pas nécessairement. Elle est liée à la maturité émotionnelle et il peut être important de la conserver. Mais dans certains cas, elle est la cause du trouble qui amène la personne à consulter (perte de libido, perte d'appétit, perte de motivation...). Augmenter la rapidité des actions spontanées et des réactions du corps est alors l'essentiel de la thérapie. L'hypnothérapie repose alors, dans ces cas, essentiellement sur l'induction, sur l'entraînement à l'hypnose, beaucoup plus que sur le travail de suggestions administrées sous hypnose.

L'hypersensibilité

Cela nous amène tout naturellement à parler de l'extrême inverse : les réponses ideomotrices quasi instantanées.
Certaines personnes, nous le disions au début, développent les distorsions les plus grandes en un temps record avec peu de suggestions. On les qualifie souvent de somnambules naturels, car ils développent sans entraînement l'état de dépersonnalisation éveillée le plus totale appelé hypnose somnambulique. Les hypnotiseurs sont souvent fascinés par ces somnambules. Leur versatilité va souvent de paire avec des amnésies hypnotiques fréquentes. C'est ce qui trompe beaucoup d'observateur dans la compréhension des phénomènes. En hypnose de spectacle, ils sont souvent recherchés, car ils offrent au public des démonstrations impressionnantes des capacités du cerveau. L'hypnotiseur peut alors passer pour un "grand sorcier", ou un fascinateur extraordinaire, alors qu'en réalité, tout le mérite revient au rostrum cérébral du sujet, en quelque sorte. Mais est-il souhaitable de leur faire faire ce type d'expérience ? Est-ce vraiment un talent qu'ils ont ?

Il faut comprendre que toute pensée ne doit pas devenir un acte, et qu'il existe un mécanisme d'inhibition qui permet par exemple de ne pas me jeter sur la nourriture à chaque fois que l'envie me traverse l'esprit, de ne pas tuer mon voisin dés qu'il me tape sur les nerfs, et de ne pas dire tout ce qui me passe par la pensée. La pulsion de l'acte se développe, mais assez progressivement pour que je la réprime parfaitement. La graine pousse, mais dés que je vois la première tige sortir du sol, je l'arrache sans peine. Je ne laisse pas les mauvaises herbes de ma pensée envahir le terrain de mon action. C'est pourquoi nous sommes des êtres de culture. Ceci est rendu nécessaire par la structure sociale vers laquelle notre espèce a évoluée.
Or, bien des troubles sont liés au fait de ne plus arriver à réprimer tel acte, telle parole, telle émotion. « C'est plus fort que moi », dit-on. On devrait plutôt dire « C'est plus rapide que moi ».
En effet, la pensée de l'acte se développe tellement vite et prend une telle ampleur dans l'esprit qu'il est trop tard pour lui enlever sa force pulsionnelle. Pour reprendre la métaphore de la graine, notre compensation rationnelle n'est déjà plus de taille pour couper cet arbre poussé trop vite dont le tronc est déjà trop épais.
Une personne qui a la phobie des oiseaux, par exemple. Aussitôt un oiseau parvenu à sa pensée (soit qu'elle voit un oiseau, soit qu'elle y pense, ou qu'elle s'en souvienne...), l'émotion monte, si vivement qu'elle ne peut l'en empêcher. Son cœur, sa respiration, son expression, tout son corps, répondent à l'effet fulgurant de sa panique. Et entièrement baignée dans l'émotion, il n'est plus si évident d'en sortir.
Cela ne veut pas dire que toutes ses réponses motrices soient aussi vives et il se peut que seule cette phobie pose problème.

Mais dans le cas des « somnambules naturels », il s'agit souvent de personnes dont l'immaturité émotionnelle s'exprime par une idéomotricité très vive de façon générale. On les nomme communément « hypersensible ». (attention, certaines personnes peuvent être d'excellents sujets d'hypnose sans êtres pathologiquement sensibles). Ces personnes ont une émotivité pathologiquement grande. Parfois, elles s'avèrent très influençables. Parfois ces personnes souffrent d'automatisme fort (par exemple, elle vont marcher pendant des heures sans arriver à décider du moment de s'arrêter). Ou bien d'impulsions, de compulsions. Parfois d'addictions. Très souvent, elles souffrent d'idées obsessionnelles. Ces personnes pleurent facilement. Et développent très facilement des peurs sur la moindre pensée négative. Parfois confinant à la paranoïa (confusion entre l'idée et le réel). Et il y a encore beaucoup d'autres troubles que l'on peut citer qui sont liés à une hyper réactivité du corps par rapport aux représentations mentales. Et les personnes souffrant de cette hypersensibilité générale ont souvent une histoire de vie qui ne fait que renforcer les troubles.
Cela s'accompagne en général de troubles importants de la personnalité, qui, versatile, a du mal à trouver des repères stables.

Ne pas brusquer

Nous l'avons dit : ces individus, si vous les soumettez aux tests de réceptivité de l'hypnose, y répondent de façon prodigieuse. Capables, bien souvent, de développer n'importe quel phénomène hypnotique en un temps record. Est-ce que, pour autant, on leur dirait qu'elles sont « douées » pour l'hypnose, que c'est un talent, qu'il faut le cultiver ? Ce serait une attitude irresponsable. Au lieu d'être leur talent, c'est leur plus grande faiblesse. Et le travail en hypnothérapie consiste alors à ralentir les réponses idéomotrices, à redonner à ces personnes les rênes de leur attelage émotionnel, le contrôle de leurs émotions. Bien qu'il faille pour cela compenser des données physiologiques (Rostrum...), c'est un travail progressif qui porte des fruits vraiment très intéressant.

Les personnes hypersensibles sont particulièrement vulnérables, et leur personnalité est souvent épuisée par tous les chamboulements émotionnels qu'elles vivent. C'est pourquoi il est fondamental de prendre un soin particulier avec ces personnes, de les accompagner avec énormément de douceur et de délicatesse. Il est très important de ne pas les soumettre au type de transe hypnotique qui entraîne une dépersonnalisation. C'est-à-dire qu'il faut veiller à les maintenir dans des états superficiels. Mettre l'accent sur la procédure de réveil (réunification stable de la personnalité). Eviter les phénomènes hypnotiques trop avancés. Eviter de les soumettre à des démonstrations d'agrément n'ayant pas d'utilité thérapeutique. C'est d'autant plus contre-indiqué dans ces cas. Si vous vous reconnaissez dans cette hyper sensibilité, ou même dans une moindre mesure, dans une sensibilité un peu excessive, ne vous prêtez à une démonstration d'hypnose que si vous avez parfaitement confiance dans l'expérience, le recul et la finesse de l'hypnotiseur.

Il est notamment fondamental d'apprendre aux personnes hyper-réceptives à changer d'état de façon lente et progressive. « Switcher » d'une émotion ou d'une perception à une autre, sans transition, il n'en sont que trop capables. Et c'est précisément en leur apprenant à passer par une douce transition qu'on leur offre la possibilité de reprendre du contrôle et de ne plus être dépassés par ce qu'ils vivent. Ralentir les réactions.

Permettez-moi de ne pas faire de précaution de langage. Rien ne doit être brusqué ! On ne doit pas brusquer une personne hypersensible lorsqu'on mène l’entretien préliminaire à l'hypnothérapie. On ne doit pas brusquer la personne pour qu'elle entre en transe hypnotique. On ne doit pas brusquer les réactions hypnotiques. On ne doit pas brusquer la thérapie, qui devrait s'étaler autant que nécessaire pour que chaque chose se construise dans la solidité et la stabilité. Mais bien au contraire, il s'agit de retenir. Retenir les chevaux sauvages de leur émotivité. Quitte à décevoir leur impatience d'aller mieux le plus rapidement possible.
Même pour les demandes les plus anodines en apparence. Par exemple, une personne hypersensible qui fume et désire arrêter de fumer peut arrêter du jour au lendemain avec l'hypnose dans une euphorie parfaite. Or, il est probable qu'une décompensation en découle, même si ça n'est pas systématique, du fait du bouleversement trop important que constitue, pour sa personnalité pas assez stable, le fait d'être fumeur un jour et non-fumeur le lendemain. Alors, il est conseillé d'imposer au patient, si on le soupçonne de s'emballer dangereusement, un sevrage par étape, afin d'être sûr qu'il digère correctement le changement bouchée par bouchée, et sans indigestion. Et de même pour tout travail visant un changement important.

Dans certains cas, si l'on soupçonne même que cette hypersensibilité est d'ordre à désordonner la personnalité de la personne de façon critique, alors le cas relève probablement d'un suivi médical, et il est nécessaire que le patient puisse bénéficier du diagnostique d'un psychiatre et que l'hypnothérapie soit menée en complément, et de préférence par prescription du psychiatre. C'est de la responsabilité de la personne de consulter un médecin, mais son accompagnant en psychothérapie ou en hypnothérapie est fortement encouragé à lui recommander des examens et doit veiller à ce que la personne ne remplace pas les soins médicaux par son hypnothérapie. En effet, dans certains cas, un traitement médical aidera fortement la personne à retrouver du contrôle sur ses émotions, et un équilibre chimique cérébral apaisant. Et le travail de thérapie s'en trouve parfois largement facilité.

Conclusion : redevenir le maître à bord

A l'heure où l'on fait grand cas de la sensibilité, et où l'on méprise littéralement la raison, où l'on incite les individus à libérer sans contrainte leur spontanéité pulsionnelle, au mépris de leur propre contrôle, il est fondamental de prendre conscience qu'il existe des personnes fragiles que l'extrême capacité à subir une influence, une impression corporelle sous l'effet de leur pensée rend particulièrement vulnérables. L'hypnose ne doit en aucun cas et sous aucun prétexte être prise à légère et il est fondamentale de ne pas confondre cette grande hypnotisabilité avec un jouet pour manipulateurs inconséquents. Et tout le travail de l'hypnothérapeute consiste à canaliser ces pulsions afin de rétablir l'équilibre de compensation psychologique qui est la condition du calme intérieur et d'un bien-être mental. 
Dans de telles conditions, les personnes hypersensibles peuvent bénéficier favorablement de l'hypnothérapie, non pas seulement par une rémission temporaire, mais dans un mieux-être croissant à long terme. Cela dit, les personnes souffrant n d'un excès de sensibilité bénéficieront également très profitablement d'une thérapie sans altération de conscience et basée sur l'exercice pratique et progressif de leur contrôle émotionnel comme par exemple certaines thérapie cognitivo-comportementales. Et le moment de l'hypnose le plus merveilleux pour ces personnes, si le travail hypnothérapeutique a été mené avec soin, est le moment du réveil, où la personne peut expérimenter un calme intérieur et une stabilité comme jamais, un sentiment d'unité et de réconciliation intérieure qui lui permet de redevenir le capitaine de son navire, Redevenir le maître à bord de soi.

Envie d'apprendre ? Laurent Bertin vous partage ses connaissances

Chers lecteurs, passionnés d'hypnose ou simples curieux, permettez-moi de vous recommander la lecture du blog de Laurent Bertin, hypnologue parisien, passionné de neurosciences et qui jette des ponts entre les différentes disciplines qui peuvent éclairer la pratique de l'hypnothérapie. 


Laurent Bertin, hypnologue

Laurent Bertin est un hypnologue généreux et talentueux que son extrême humilité naturelle a poussé, presque malgré lui, à devenir un des meilleurs hypnologues que j'ai rencontrés, ainsi que l'un des plus discrets. (Rien ne me force à le dire, et je ne le dis que parce que je le crois)
Perpétuellement insatisfait par son niveau de science, il est un infatigable lecteur. Et cela l'a amené, toujours un peu sans qu'il le réalise, à accumuler une culture générale et spécifique dans le domaine de la thérapie, de l'hypnose, et dans les domaines annexes, telle qu'il est probablement l'un des spécialistes les plus cultivés que je connaisse. 
Il parvient en outre à tirer de son expérience de père de famille un vrai sens de la pédagogie et une façon particulièrement fine et humaine d'accompagner les individus, dans le respect le plus délicat de leur part enfantine.
Quand des personnes réunissent de vraies qualités professionnelles et humaines, et que, peu dévouées à la communication commerciale, ils restent à l'écart des projecteurs, je pense qu'il n'est jamais dommage d'en témoigner. Et je suis ravi d'être amené à collaborer avec lui sur certains certains projets.

Je vous recommande donc la lecture de son blog : http://hypnoscient.fr/  Laurent y partage ses coup de coeur, ses découvertes, et ses pensées. 

Et particulièrement, j'attirerais votre attention sur ses quatre billets consacrés au mécanisme cérébral de la peur : le fonctionnement de l'amygdale cérébrale. 


Vous comprendrez pourquoi et comment vous avez peur, afin de mieux apprendre, comme il le fait si bien remarquer, à "raisonner cette résonance"

Bonne lecture à tous !



lundi 3 juin 2013

Une hypnose soviétique filmée par Tarkovski



En attendant un prochain billet sur ce blog, je vous propose une courte vidéo datant de 1974. Il s'agit de la scène d'introduction du film "Le Miroir", d'Andreï Tarkovski. Nul doute que cette séquence, mise en scène par le réalisateur, ait toutefois l'authenticité d'être une véritable démonstration de la méthode d'hypnose classique très en vogue dans les milieux médicaux de l'Union Soviétique des années 70. On peut supposer que ni la thérapeute ni le patient ne sont des acteurs, ni ne "font semblant". Le patient, que l'on soigne d'un bégaiement, semble montrer une grande sensibilité qui laisse supposer une susceptibilité aiguë à l'hypnose et à la suggestion du médecin, a fortiori dans un contexte aussi particulier.
Le jeune bègue est délivré de son incapacité et finit par dire sans encombrement "JE PEUX PARLER". Puis le film parle. Le narrateur se souvient à la première personne. Mais pour plonger dans les souvenirs, tout doit commencer, nous montre Tarkovski, par l'hypnose.

Sentez-vous libres de commenter et de discuter ici de cette vidéo. Merci


Le Monarque de l'Océan, Erickson



Article 1 : http://www.realites-hypnotiques.fr/resistance-erickson/

Article 2 : http://www.realites-hypnotiques.fr/erickson-technique-et-ethique/

Voici deux commentaires d'une conférence passionnante de Milton Erickson disponible en fichier audio et en transcription écrite. Dans ces deux commentaires, publiés dans le magazine web Réalités hypnotiques, j'ai tenté de mettre en avant plusieurs angles principaux :
la gestion de la résistance à l'hypnose,
l'utilisation de tout ce qui existe, 
la communication conscient/inconscient,
l'éthique de la permissivité,
Nourris d'exemples et d'explications pédagogiques, ces deux articles s'adressent aussi bien aux professionnels de l'hypnose ou de la psychothérapie qu'aux curieux désirant découvrir la justesse d'une approche unique.

Bonne lecture

dimanche 31 mars 2013

L'hypnose selon Derren Brown

Pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, Derren Brown est un « show man » britannique qui s'est illustré à la télévision avec des émissions de « magie mentale » absolument étonnantes. Il mêle des techniques de psychologie, de manipulation, de suggestion, d'hypnose et de prestidigitation pour donner l'illusion de pouvoirs paranormaux. Bien souvent, au delà du simple divertissement, sa démarche est de montrer qu'on peut parfaitement, par de simples « trucs », accomplir des prouesses en apparence surnaturelles mais qui ne le sont pas en réalité. Sceptique engagé, il nous invite à nous émerveiller tout en questionnant notre propre crédulité et notre naïveté.
Ses shows télévisés et ses spectacles sur scène absolument prodigieux l'ont imposé comme le plus grand dans sa catégorie et lui ont donné une célébrité mondiale qui n'a en rien gâté son charme et à son humour si britanniques.
Sur son site officiel, il évoque une discipline qui lui est chère : l'hypnose. Je me permets (désolé pour les droits !) d'en donner une traduction ici. L'exercice de la traduction est très délicat, et je n'en suis pas spécialiste. J'ai tenté de rendre au mieux le sens en évitant autant que possible les faux-amis. Mais excusez par avance les libertés que j'ai dû prendre. Je me suis permis quelques notes de bas de page pour clarifier certains termes. Toute remarque est la bienvenue. Bonne lecture !


Derren Brown


Derren Brown : « J'ai commencé ma carrière en tant qu'hypnotiseur après avoir développé un intérêt dans cette technique alors que j'étais étudiant et, comme je n'avais pas très envie de gagner ma vie comme thérapeute ou de transformer des hommes adultes en danseuses de ballet, j'ai commencé à rechercher des façons plus créatives d'intégrer l'hypnose (ouverte ou invisible)1 et les formes de suggestion à mon travail.

Je ne crois ni que l'hypnose ait quoique ce soit de magique, ni qu'elle puisse être entièrement élucidée en le ramenant à un simple jeu de rôle ou à une simulation.

Il me semble qu'on peut mieux comprendre l'hypnose en tant que processus par lequel le sujet s'autorise à devenir plus « ouvert » (responsive)1 à l'hypnotiseur, d'une façon très similaire à la réceptivité qu'on tend à manifester lorsqu'on se rend chez un médecin ou qu'on interagit avec une personne qui fait autorité. On adopte très rapidement les idées que nous transmettent ces personnes à un niveau qui n'est pas nécessairement conscient. C'est comme cela que les mots d'un médecin et son attitude peuvent avoir pour effet une guérison due au moins en partie à l'effet placebo, davantage qu'au principe actif du médicament prescrit. Et c'est aussi comme cela que nos goûts et notre avis sur une question peuvent se trouver influencés par l'opinion d'une personne dont on respecte l'autorité dans le domaine en question. 
 
De même, il peut être utile de considérer l'hypnotiseur comme une personne d'autorité2 parmi d'autres, et un « sujet réceptif» (responsive subject)3 comme quelqu'un qui s'est autorisé à devenir très suggestible à son contact. Il me semble qu'il existe un trait de personnalité qu'on pourrait qualifier de « sensibilité à la suggestion » (responsivness) et que, en règle général, on possède ou non quand il s'agit de se faire hypnotiser. Ce n'est pas un trait figé, dans le sens qu'on peut très bien ne pas répondre favorablement à l'hypnose et pourtant être facilement « fasciné », obnubilé, perdu dans ses pensées (starry-eyed)4, ou suggestible dans d'autres situations ou avec certaines personnes. Mais la réceptivité individuelle à l'hypnose semble être relativement fiable, et peut même être mesurée selon l'échelle d'Harvard
 
Tester ou constater qu'une personne est un « bon sujet » pour l'hypnose ne signifie pas qu'on est capable de décrire ce qui se passe vraiment dans sa tête durant ce processus. Dans l'histoire, il y a eu beaucoup de débats et globalement deux écoles de pensée dominantes ont émergées : ceux qui ont vu l'hypnose comme étant un « état particulier » et ceux qui l'ont comprise comme une sorte de « jeu de rôle » et de comportement obéissant (compliant behaviour)5. Par exemple, une personne sous hypnose hallucine un éléphant dans la pièce : un adepte de la « théorie de l'état » pourrait dire que l'hallucination a été provoquée par quelque chose de bien particulier qui s'est passé dans le cerveau du sujet ; tandis qu'un tenant du « comportement » dirait que le sujet a simplement joué le jeu pour satisfaire l'hypnotiseur. Et pour ne pas le décevoir, lorsque l'hypnotiseur lui demande après coup si ça n'était qu'un jeu entre eux, le sujet irait jusqu'à affirmer avec insistance que l'éléphant était bien réel. 
 
Récemment, ces deux camps ont trouvé un terrain d'entente, et on explore actuellement une zone située à mi-chemin entre ses deux théories. Le consensus, et bien sûr le modèle auquel j'adhère, semble être le suivant : on ne peut rien faire faire à une personne sous hypnose qu'elle ne pourrait accomplir lorsqu'elle n'est pas hypnotisée. Lorsque nous sommes très motivés, nous pouvons parfois faire des choses extraordinaires que nous trouverions extrêmement difficiles, voire impossibles à mener à bien dans notre état « normal ». Un jour, un de mes amis a voulu me prouver qu'il n'est pas nécessaire d'être sous hypnose pour manger un oignon cru et trouver cela délicieux (un numéro classique d'hypnose de spectacle !). Il est allé jusqu'à mon frigo pour prendre un oignon cru qu'il a savouré avec délices. Motivé par son désir de me prouver qu'il avait raison, il était capable de faire cette chose qui aurait été largement inconfortable dans d'autres circonstances. Il a prouvé la force de son esprit, et après cela, celle de son haleine !

La douleur réagit bien à l'hypnose : vous avez peut-être entendu les récits de patients qu'on avait hypnotisés pour subir des opérations chirurgicales invasives sans anesthésie chimique. Cela peut sembler extraordinaire, puisqu'ils peuvent souvent répondre à des questions alors qu'on est en train de les charcuter sur la table d'opération. Néanmoins, une fois de plus, on retrouve ce phénomène dans la vraie vie : la douleur est très subjective et on n'a pas besoin d'hypnose pour arriver à en faire totalement abstraction. On peut se couper un doigt et ne sentir aucune douleur jusqu'à ce qu'on voit le doigt saigner. Ou, ce qui est très habituel chez les comédiens, lorsqu'ils posent un pied sur la scène, ils oublient une douleur qui les a pourtant embêté toute la journée. 
 
Cependant, l'esprit d'un sujet très suggestible est une chose extraordinaire : dans « The Assassin», premier épisode de ma série « The Experiments », mon sujet hypnotisé, Chris, s'est allongé dans une baignoire pleine de glace avec joie, du moins jusqu'à ce que j'annule la suggestion. (voir la vidéo ici)
 
J'ai été surpris, et les scientifiques avec qui j'avais préparé ce test également, par le fait que Chris semblait vraiment ravi de rester dans la baignoire indéfiniment. Bien que je sache que Chris pouvait seulement exploiter un potentiel dont il dispose aussi bien en dehors de l'hypnose (mais seulement dans un état de motivation extrême, d'adrénaline élevée, ou autre), le fait qu'il soit si détendu en le faisant m'a fait me demander si j'avais eu raison de croire avec autant d'évidence que rien d'extraordinaire ne peut être accompli par l'hypnose. »

 
1 En effet, il est possible de faire un usage des techniques d'hypnose et de suggestion assumé, c'est-à-dire que la personne visée est au courant qu'il s'agit d'hypnose ou de suggestion (overt hypnosis), ou bien encore on peut utiliser ces techniques plus subtilement de sorte que la personne visée ne se doute pas une seconde de ce dont il s'agit, sauf à le deviner (covert hypnosis).
2 Ici, une « personne d'autorité » traduit l'expression « authority figure ». Elle désigne toute personne qui représente une autorité morale ou intellectuelle, dont la parole a du poids pour nous parce qu'on la considère comme crédible, comme plus savante, ou plus légitime que nous. On tend à croire cette personne en toute confiance.
3 Le terme anglais « responsive », très délicat à traduire en français, pourrait s'expliquer dans ce contexte comme suit : le sujet est particulièrement sensible à l'hypnotiseur, à son écoute, et disposé à adhérer aux idées qu'il présente et à réagir à ses suggestions. Selon les phrases, la traduction adéquate pourrait être « réactif », « réceptif », « ouvert », « à l'écoute », « sensible », « suggestible »... Et pourtant, aucun de ces termes n'apporterait en lui-même une traduction satisfaisante.
4 L'expression « starry-eyed » est également ambivalente selon le contexte et délicate à traduire sans sacrifier la plupart de ses nuances. Elle signifie « qui a un regard plein d'étoiles » et peut aussi bien désigner une personne idéaliste, qu'une personne rêveuse, ou une personne qui semble absente et dont le regard reste figé.
5 L'adjectif « compliant » est lui aussi un terme très délicat à traduire. La « compliance » est une forme de conformation. Pour simplifier, la « compliance », c'est le fait de dire « oui », d'accepter. Pourtant le terme « acceptation » ajouterait une nuance de résignation, le terme « complaisance » connoterait une arrière-pensée ou une attitude peu noble, le terme « obéissance » amène une relation dominant-dominé. Ces nuances ne sont pas évoqués par le terme « compliance » et amènent donc le lecteur français à mal comprendre l'intention de la phrase. Cependant, ici, j'ai traduit l'adjectif « compliant » par « obéissant », faute de mieux.




lundi 25 mars 2013

L'art de presque dormir. Pourquoi « hypnose » ?



 Hypnos et Thanatos, par John William Waterhouse



En 1820, le baron de Cuviliers (1755-1841) a le premier fabriqué le mot « hypnose » sur la base du suffixe -ose qui désigne une condition (comme dans narcose, névrose ou psychose) et du nom propre Hypnos.
Fils de Nyx (la nuit) et frère de Thanatos (la mort), Hypnos est le dieu du sommeil dans la mythologie grecque. Lui et Nyx engendrèrent Morphée, dieu des rêves. Hypnos a le pouvoir d'endormir les gens, mais également les dieux.
Alors pourquoi fabriquer ce terme au demeurant si poétique ? Pour désigner la condition déjà nommée « sommeil »? Probablement pas. Mais plutôt la condition particulière dans laquelle se trouve celui qu'une autre personne, tel un dieu Hypnos, vient d'endormir. Ce qui résulte de l'action d'endormir quelqu'un.
Et qu'est-ce qui résulte de l'action d'endormir quelqu'un ? Qu'est-ce qu'on obtient lorsqu'on cherche à faire dormir une personne ? Du sommeil ? Et bien pas nécessairement. Cela dépend beaucoup de la méthode, du contexte, du moment, de la personne qui endort et de celle qui est endormie. Les résultats à cette tentative peuvent prendre beaucoup de formes (et c'est tout le problème).

En très gros, Cuviliers a appelé "hypnose" un état qu'on observait lorsque, par la suggestion (ordres, passes, incantations, rituels, etc...), on pressait une personne de s'endormir.

Mais le contexte de l'expérience était rarement propice à ce que la personne, en réponse à cette suggestion, s'endorme aussi bien qu'elle le fait la nuit. Si on demande à une personne de dormir mais que c'est en plein jour, qu'elle est debout, qu'elle a les yeux ouverts, qu'il y a des bruits autour, qu'on lui demande non pas d'une voix qui berce mais d'une voix qui réveille, elle pourra, ou bien s'avouer incompétente à satisfaire nos attentes, ou bien s'efforcer comme elle le peut d'imiter le sommeil au maximum. Mais en fonction de ces contraintes de contexte et du talent naturel de la personne, elle n'obtiendra qu'un résultat très partiel. Et c'était déjà le cas à l'époque du baron de Cuviliers.

On attend qu'un sujet s'endorme. Il comprend, parce qu'on lui dit (suggestion directe), parce qu'on lui fait comprendre (suggestion indirecte) ou parce qu'il l'imagine, qu'on attend de lui que, à tel ou tel signal, il s'endorme plus ou moins vite. Ceux qui répondent consciemment à cette attente, c'est-à-dire qu'ils simulent, singent, miment le sommeil, sont rares. La plupart des sujets soumis à une telle attente, suggérée selon une méthode établie (hypnotisme), développent certains aspects cognitifs supposés être une réponse adéquate, c'est-à-dire supposés ressembler au sommeil. Et parfois, c'est le cas (production de rêves, surdité, paralysie, anesthésie, mutisme, somnambulisme, dépersonnalisation, etc...). Parfois, on obtient simplement une forme de pensée primaire dans un corps très actif semblable aux transes observées dans d'autres pratiques.
A certaines époques, il arrivait qu'en réponse à la suggestion de « dormir », les hystériques s'abandonnaient à leurs crises. Parfois, ne sachant comment proprement « dormir » dans un tel contexte, des sujets se figeaient dans une catalepsie totale jusqu'à nouvel ordre. Parfois, les sujets développaient tout une vie « seconde », une autre personnalité, juste pour le temps de ce faux sommeil.
Ces réactions diverses, on comprendra un peu plus tard qu'elles étaient beaucoup le fait de la suggestion, et qu'elles dépendaient beaucoup du discours de l'hypnotiseur et de sa méthode, ainsi que des idées préconçues du sujet, notamment dues à « l'air du temps ». Le sujet ne fait pas seulement ce qu'on lui demande de faire : il fait ce qu'il croit comprendre de ce qu'on lui demande de faire, même s'il n'a pas forcément le sentiment d'obéir volontairement (c'est pourtant le cas).

Alors qu'on parlait souvent de « sommeil partiel provoqué » (ce qui veut tout dire et rien dire à la fois : quelle partie du sommeil ?), il était important de créer un nom pour désigner toutes ces réponses. « Hypnose » s'est donc imposé comme un joli nom pour désigner « l'état que développe une personne à qui l'on suggère de s'endormir ». LES états plus exactement. Et plus généralement, de nos jours, non plus seulement les états mais « les réponses que développe une personne à qui l'on suggère de dormir », aussi bien comportementales que cognitives ou chimiques. Mais aujourd'hui qu'on rechigne à dire le mot « sommeil » dans l'hypnose, celle-ci est devenu « les réponses que développe une personne à qui l'on suggère d'entrer dans un état d'hypnose ». Ce qui est possible maintenant que le mot a trouver un sens dans l'inconscient populaire.
Cela dit, on peut bien suggérer encore une autre condition. De nos jours, si l'on demande à une personne non pas de « dormir » mais d'entrer dans une « transe », ou bien de « devenir ivre », ou encore un autre état second, le résultat partiel obtenu est souvent appelé « hypnose » quoi qu'il en soit. Alors on nomme souvent hypnose « toute réponse que développe une personne à qui l'on suggère d'entrer dans une condition altérée, qui résulte habituellement d'une autre action que la suggestion ». Mais laissons cela, qui devient un peu complexe pour revenir à la question du sommeil.

Nous parlons de réponse partielle, mais chez certaines personnes naturellement douées pour cela, ou entraînées dans ce sens, ou encore mises dans des conditions favorables, la réponse, lorsqu'on leur demande de « dormir » ressemble beaucoup à du sommeil. L'imitation peut aller jusqu'aux ondes cérébrales, et parfois même à la perte du lien avec l'hypnotiseur. Alors la personne s'endort « vraiment » et elle ne se réveille qu'à la fin de sa sieste. Mais une conformité si totale avec le sommeil nocturne est rare. Le plus souvent, il reste ce que l'on nomme un « rapport », ce lien, cette connexion entre l'hypnotiseur et l'hypnotisé.
Si le rapport est maintenu, c'est-à-dire que l'endormi continu d'écouter celui qui l'a endormi comme il continuerait d'écouter la télévision s'il s'était endormi devant, il reste alors à l'écoute de ce qu'on attend de lui. Si on lui demande de rêver d'une promenade en forêt et que son imitation du sommeil était allée jusqu'à développer une activité onirique, il suivra sûrement cette suggestion et rêvera d'une promenade en forêt. Si son imitation a aboutit à cet état de sommeil dans lequel certaines personnes, somnambules, sont capables d'accomplir des tâches, voire de tenir une conversation sans pour autant se réveiller, alors l'hypnotiseur pourra avoir une conversation avec lui ou lui demander de faire certaines choses sans pour autant qu'il se réveille, ni qu'il s'en souvienne au réveil. On appelle cet état « somnambulisme hypnotique » ou « hypnose somnambulique ». Dans cette condition, d'ailleurs, il ne sera pas bien difficile de lui demander de développer une anesthésie, des hallucinations, de « devenir » temporairement une autre personne, de redevenir lui à un âge antérieur, d'oublier ou de se souvenir de quelque chose, ou toute autre possibilité dans ce genre.
Mais ça n'a rien d'automatique. Chaque personne peut développer certaines capacités dites « hypnotiques » et ne pas en développer d'autres. Une personne qui développe parfaitement la capacité qu'on a tous, en dormant, de devenir comme sourds aux sons venant de l'extérieur, pourra très bien ne pas parvenir à être insensible à un contact sur sa peau, même léger – caractéristique pourtant tout aussi naturel du sommeil (en effet, on ne ressent pas ses draps la nuit durant lorsqu'on est bien endormi). Ou bien l'inverse, une personne pourra entendre tous les sons ambiants et parvenir très bien à devenir anesthésique, même les yeux ouverts.

C'est pourquoi l'histoire de l'hypnose est aussi l'histoire de l'échec à labelliser et à catégoriser ces différents états de sommeil partiel. Ils sont très différents, et pour chacun uniques. Beaucoup de chercheurs ont même cru pouvoir établir des échelles de « profondeur de l'hypnose », c'est-à-dire différents degrés de succès de l'imitation. Une échelle populaire au XIXème siècle proposait que le stade le plus incomplet d'hypnose correspondrait à une imitation de la passivité du dormeur, plongé dans un état sans pensée et sans initiative. Puis un second stade correspondrait à l'état du dormeur qui rêve, très actif, du moins le croit-il, dans un monde imaginaire. Puis un troisième stade correspondrait à l'imitation du somnambule, capable d'être « comme réveillé » sans l'être vraiment. Mais cette échelle, comme toutes les autres, ne tient pas compte de l'extrême variabilité des réponses d'une personne à une autre et d'un hypnotiseur à un autre.

C'est aussi parce que ces réponses sont multiples et que beaucoup de personnes réagissent à cette suggestion de dormir hors contexte en n'ayant même pas vraiment l' « air endormi » (ni réveillé non plus dans la plupart des cas) qu'on a fini par nier tout cousinage entre les états appelés « hypnose » et le sommeil nocturne que nous connaissons tous.

Il me semble pourtant important de rendre à la suggestion du sommeil ce qui lui appartient dans l'histoire de l'hypnose. Si l'obsession de l'époque avait été d'imiter, de provoquer artificiellement et par une cause externe non pas un sommeil mais l'ivresse éthylique par exemple, alors l'histoire aurait peut-être été différente.
Mais le sommeil est l'expérience la plus commune (tout le monde dort) et la plus quotidienne d'une condition radicalement différente de l'éveil, radicalement altérée. Chaque nuit, nous accomplissons sans effort et avec perfection des distorsions de nos perceptions (comme nous couper totalement du monde extérieur, ou rêver, ou ne pas voir les heures passer) et des distorsions de notre personnalité (comme revivre un événement de l'enfance, ou se prendre pour quelqu'un d'autre), ou de la mémoire (oublier les rêves, revivre un souvenir). Sans parler des libertés qu'on prend avec la réalité (traverser les murs en rêve, voler...) et des idées nouvelles qu'on adopte.
Parce qu'on a voulu endormir les autres mais sans les laisser se coucher dans leur lit, on n'est parvenu qu'à un résultat partiel. Et miracle du hasard, un échec devenant l'occasion d'un succès que l'on recherchait pas, on a pu alors exploiter en les guidant les compétences nocturnes des personnes. Or ces compétences permettent beaucoup de changement, et notamment un travail thérapeutique.

La psychothérapie bénéficie des états altérés, et on a même utilisé l'éther, le chloroforme, l'alcool et autres substances pour mener des thérapies. En effet les suggestions, dans ces états, sont interprétées avec un vécu propre à créer une compréhension nouvelle et une amélioration de la condition psychique. Une personne à qui l'on suggère de repenser à tel traumatisme de son enfance pourra adopter un angle nouveau qui ne correspond pas aux structures de pensée habituelles qui sont les siennes dans son état d'éveil ordinaire. Une personne à qui l'on suggère de s'imaginer en train de prendre la parole avec aisance devant cinq cents personnes pourra rêver cette expérience, avec une implication émotionnelle forte, « comme s'il y était », et développer une véritable assurance maintenant qu'elle sait de quoi il s'agit.
Or, c'est ce que permettent aussi les hypnoses, mais qui, elles, sont des états naturels (induits sans produit chimique) et sans effets secondaires indésirables. Ces faux sommeils, souvent très partiels, mais guidés, se sont très vite présentés comme de parfaits alliés à la suggestion thérapeutique. Dés lors que certains ont commencé à utiliser l'hypnose en remplacement d'états induits chimiquement dans le but de donner des suggestions efficaces à leur patients, ils ont posé les bases de qu'ils ont rapidement appelé « psychothérapie » (c'est-à-dire « soigner par l'esprit »).
Aujourd'hui, la psychothérapie se pratique sous bien des formes (réflexion, conversations, monologues, exercices, pratiques corporelles, pratiques artistiques, écriture autobiographique, analyse, jeux de rôle, etc...). Et l'hypnothérapie, bien que pionnière du genre, est une méthode parmi un grand nombre d'autres. Ce qui est formidable, c'est que le recours à certaines caractéristiques du sommeil pour aider le changement en profondeur permet d'intégrer un usage de l'hypnose à quasiment toutes les autres formes de pratiques psychothérapeutiques, même s'il ne s'agit jamais vraiment d' « endormir » l'autre.

L'intuition de tenter d'endormir les gens, plutôt qu'une erreur, était probablement le coup de génie de l'hypnose, un tour d'ouvre-boîte dans une boîte de pandore qui rendaient potentiellement disponibles d'un coup tous les phénomènes du sommeil. C'est bien le pouvoir d'Hypnos, malmené par de simples mortels, qui a offert l'éventail de pouvoirs naturels, devenu l'hypnose d'aujourd'hui.
Bien sûr, pour en prendre conscience, il a fallu attendre qu'on comprenne l'importance de la suggestion : ce qui compte, c'est ce que l'autre comprend de ce qu'on attend de lui.