Le théâtre Adyar qui a accueilli le colloque de l'Arche le 12 octobre 2013 |
Samedi 12 Octobre, l'école d'hypnose ericksonienne ARCHE organisait à Paris un colloque réunissant une vingtaine d'intervenants dans divers champs de spécialité. Beaucoup de choses ont été dites durant cette journée. Plusieurs thèmes récurrents en ressortaient : la peur, le trauma, le cerveau, l'apprentissage, le récit, l'attitude...
Et sans qu'on puisse
dire qu'il fût commun aux diverses interventions, un thème est
revenu à plusieurs reprises : la relation du soignant et du
soigné.
Bien sûr, j'utilise volontairement ces
mots, non pas dans le sens officiel d'une personne habilitée
par le ministère à exercer une métier de soin, mais dans le sens
plus général que nous offre la langue française d'une personne qui
prend soin d'une autre, et réciproquement. Ainsi, peut-on considérer
que la thématique du soignant et du soigné s'applique assez bien à
la relation d'un parent à son enfant, d'un adulte à son parent âgé,
d'un bénévole qui approche une personne à la rue, ou dans bien
d'autres contextes où un humain entre volontairement dans une
relation avec un autre humain dans le but de lui proposer un soutien,
une aide, une écoute, bref, de prendre un peu, l'espace d'un instant
ou dans la durée, soin de lui. Et bien sûr, cela s'applique a
fortiori à ceux des professionnels de la santé qui prennent soin de
leurs patients. (et seuls ces derniers sont légalement autorisés à se décrire comme soignants et à utiliser le terme de soin pour désigner leur activité professionnelle)
Laissez-moi vous évoquer quelques unes
des paroles échangées à ce colloque sur le thème de la relation.
Bien sûr, ce que j'ai compris ne correspond pas fidèlement à ce
qui a été exprimé, car lorsqu'une personne en écoute une autre,
deux s'expriment : l'un par sa voix, et l'autre par le sens
intime que son vécu donne aux mots, et les associations
imprévisibles qu'ils stimulent. Je mets donc mes mots sur des choses
entendues, probablement très infidèle aux propos d'origine.
Le cinéaste Jan Kounen, avec une
clarté et une précision remarquables, a décrit la relation du
thérapeute traditionnel avec son patient, dans les sociétés
amazoniennes du Pérou. Il s'agit d'une relation d'initiation :
il lui offre de façon cadrée une expérience lui permettant de se
confronter à ses peurs les plus essentielles et à les dépasser.
Cependant, il reste un soignant dans la
mesure où les personnes le consultent lorsqu'elles souffrent. Si je
me confronte moi-même à mes démons, mes peurs les plus terribles,
à la nudité la plus pure de mon être, et à ma propre mort,
probablement en retirerai-je plus de chaos encore que de mieux-être,
car subjugué par l'ampleur de l'expérience, je pourrais me noyer
dans la vague des émotions.
Le chaman, par ses chants, assure
l'escalade de l'initié : il fractionne sa confrontation à la
vérité de son être, en bouchées suffisamment petites pour être
digestes. Mais encore, il n'hésite pas, pour le soulager, à lui
voler sa douleur. Lui, parfaitement centré, capable de surfer les
tsunamis les plus violents sans perdre l'équilibre, saura mieux que
son patient se libérer, par un chant encore, de ce mal.
Guide-t-il son patient dans la
thérapie ? Pas vraiment. Il lui ouvre la porte, notamment par
l'administration de l'ayuhuasca, mais le laisse ensuite traverser le
jardin de son expérience, lui offrant la main pour soutenir son
équilibre, sans jamais passer devant lui.
Et c'est la même idée qu'a exprimé
le psychothérapeute Thierry Janssen : le thérapeute propose
une expérience qui est le champ pour le patient d'un apprentissage,
mais il ne lui enseigne rien, et ne le dirige pas. Il est là pour
lui. Une présence.
Janssen a également insisté sur le
fait que le thérapeute se confronte à la peur de sa propre mort,
l'apprivoise, pour ensuite pouvoir offrir cette expérience à
l'autre. Et lorsque Janssen parle de la relation thérapeutique, il
la décrit par la plus parlante des métaphores : elle est une
danse, nous dit-il.
On danse ensemble, et non pas l'un
remportant une victoire sur l'autre ; on danse en mouvement tout
en gardant à chaque instant l'équilibre ; l'équilibre de l'un
soutient l'autre ; il faut s'abandonner à la danse, et pourtant
rester centré sur elle, sur l'autre, sur le mouvement, sur
l'instant. On pourrait encore filer des kilomètres de cette
métaphore au premier abord banale et en réalité d'une justesse
édifiante.
Plus tôt dans la journée, le
psychologue Daniel Goldshmidt a présenté le conflit qui existe,
chez les spécialistes, entre les tenants d'une explication
comportementale de l'hypnose, et ceux qui soutiennent qu'il s'agit
d'une condition particulière de la conscience. Il n'est pas du tout
sûr, en réalité, que les deux camps s'opposent.
Goldshmidt nous a offert une piste de
réconciliation en exposant la théorie de l'hypnose comme phénomène
social. Il ne s'agirait pas de considérer la bonne relation comme un
plus à la pratique de l'hypnose, mais de considérer l'hypnose comme
une évolution sociale de notre espèce. L'hypnose est une forme
intense de mise en relation.
Au sens philosophique du terme, il n'y
a qu'un pas jusqu'à assimiler l'hypnose à l'amour, ce qui serait
même physiologiquement et psychologiquement loin d'être absurde.
Le professeur de management Philippe
Gabillet a témoigné de la façon dont il enseignait l'hypnose à
ses élèves, futurs chefs d'équipes dans des milieux clairement
hostiles, afin que ceux-ci se présentent, pour leur collaborateurs,
non pas comme de méchants chefs les motivant par la menace de
représailles, mais comme de véritables piliers, capable de les
rassurer, de les stimuler, de les renforcer.
Le chef est la ressource humaine la
plus solide de l'entreprise, le bras paternel qui protège son
engeance et lui apprend à trouver sa force. Le leader est celui qui
a affronté et dépassé les pires dangers de son milieu, et en cela,
peut accompagner les moins aguerris à travers ce même chemin
épineux.
La similitude est frappante entre cette
conception du leadership en entreprise et ce que Janssen et Kounen
décrivent de l'initiation traditionnelle, et d'autant plus
surprenante qu'elle est la structure commune d'une relation à
travers des cultures que rien ne semble, de prime abord, rapprocher.
Martine Tual, kinésithérapeute, a
également donné une illustration très claire de la relation
thérapeutique qui consiste à offrir une présence beaucoup plus
qu'une guidance. Elle a décrit comment, par de simples questions,
stimulant l'accouchement par la personne de ses propres métaphores,
de ses propres visualisations, le soigné parvient à effectuer de
lui-même toute la partie mentale du soin. Jamais, dans cet exemple,
ne lui propose-t-elle aucune piste venant d'elle. Elle se contente
d'être présente, par ses questions.
Cette qualité de présence, récurrente
durant ce colloque, a encore été louée par le thérapeute Yves
Wauthier. Démontrant le pouvoir de la provocation en thérapie, il
en révèle l'ingrédient principal, celui qui fait toute la
recette : la bienveillance. On peut dire à l'autre les pires
choses, le confronter brutalement aux réalités les plus crues :
si tout cela est baigné dans le dévouement le plus complet à
l'autre, dans la bienveillance la plus sincère, dans la présence la
plus aimante, il n'en ressortira aucune vexation, aucune blessure,
mais le sentiment d'être compris, une vision plus claire des choses,
et par dessus tout, la possibilité de porter sur ses plus grandes
peurs un regard plein d'un sens de l'humour retrouvé. D'une certaine
façon, la thérapie provocatrice consiste à provoquer, par l'amour
de l'autre, le rire.
Je ne peux malheureusement pas citer
tous les intervenants du colloque et mon choix ici correspond à
l'angle que j'ai voulu aborder. Je citerai probablement les autres
dans d'autres billets, car il y a encore bien des convergences
intéressantes qui ressortent de ce colloque. Mais j'aimerais
terminer en relatant l'intervention de la psychologue Anne Chervet.
Son expérience de soignante en gériatrie, elle l'a partagée à
travers des témoignages touchants car ils concilient un
professionnalisme qui ne repose pas sur le hasard des bonnes
intentions mais sur une solide compréhension du grand âge, avec
l'importance de ne jamais oublier que les soignés sont des
personnes, et que le soin est une relation.
La synchronisation était à l'origine
une technique de mise en relation de deux individus basée sur
quelques éléments rythmiques comme la respiration. Puis, avec le
temps, elle devenue une véritable idée de la relation par
l'ouverture non seulement au rythme de l'autre, mais encore à ce
qu'il est, à qui il est, à ce qu'il croit, à la façon dont il est
dans le monde, ce qu'il en attend, à ce à quoi il attache de
l'importance, etc...
La synchronisation est la danse, à
de multiples niveaux. Et c'est cette façon de se connecter à
l'autre, de s'ouvrir à lui, qu'Anne Chervet a apprise notamment en
apprenant l'hypnose, et qui, comme elle en témoigne, a modifié
totalement la pratique de son activité. Cette acceptation de
l'humain qui se présente devant
nous, est la clef d'une efficacité thérapeutique concrète qui se
répercute dans les détails les plus importants du soin. La chaleur
communiquée est déjà, pour l'âme, un pansement. Et certains
médicament peuvent s'avérer moins nécessaires quand le malade,
souvent apeuré, ressent l'apaisement d'une relation chaleureuse,
profondément humaine, et qui le prend lui, dans toute son humanité.
Depuis, Anne
Chervet enseigne aux soignants qu'elle forme, l'art de la
synchronisation et ceux-ci témoignent du même enthousiasme quant à
cet outil, car il est bien plus qu'un simple gadget ajoutant un peu
de confort aux conditions de travail : il est l'essence du soin,
le premier pas qui dessine le mouvement et fait entrer dans la danse.
Thierry Janssen,
apportant une belle profondeur à cette journée déjà bien placée
sous le signe de l'humain, insiste sur l'importance de ne pas
considérer le thérapeute comme un acteur banal de la société. Son
rôle n'est pas trivial, et il n'est pas un commerçant, un ouvrier
comme un autre. Son rôle est sacré, nous dit Janssen, car il touche
à ce qu'il y a de plus sacré. Le thérapeute l'est parce qu'il
n'est pas une personne ordinaire : il est celui qui a apprivoisé
ses peurs. Et il touche au sacré car il accompagne des humains à
travers la vallée la plus profonde et la plus obscure de ce qui les
constitue, peuplée des peurs les plus intimes, et jusqu'aux hauteurs
d'une présence retrouvée.
A une échelle
variable, il en est de même pour toute relation d'un soignant à un
soigné. Tout relation d'un humain qui, pour de bonnes raisons, offre
son épaule pour soutenir celui qui tombe sur le chemin, est d'une
certaine façon une relation qui échappe au trivial et confine au
sacré.
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