Pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, Derren Brown est un « show man » britannique qui
s'est illustré à la télévision avec des émissions de « magie
mentale » absolument étonnantes. Il mêle des techniques de
psychologie, de manipulation, de suggestion, d'hypnose et de prestidigitation pour
donner l'illusion de pouvoirs paranormaux. Bien
souvent, au delà du simple divertissement, sa démarche est de
montrer qu'on peut parfaitement, par de simples « trucs », accomplir des prouesses en apparence surnaturelles mais qui ne le sont pas
en réalité. Sceptique engagé, il nous invite à nous émerveiller
tout en questionnant notre propre crédulité et notre naïveté.
Ses shows télévisés et ses
spectacles sur scène absolument prodigieux l'ont imposé comme le
plus grand dans sa catégorie et lui ont donné une célébrité
mondiale qui n'a en rien gâté son charme et à son humour si
britanniques.
Sur son site officiel, il évoque
une discipline qui lui est chère : l'hypnose. Je me permets
(désolé pour les droits !) d'en donner une traduction ici. L'exercice
de la traduction est très délicat, et je n'en suis pas spécialiste.
J'ai tenté de rendre au mieux le sens en évitant autant que
possible les faux-amis. Mais excusez par avance
les libertés que j'ai dû prendre. Je me suis permis quelques notes de bas de page pour clarifier certains termes. Toute remarque est la bienvenue.
Bonne lecture !
Derren Brown |
Derren Brown :
« J'ai commencé ma carrière en tant qu'hypnotiseur après
avoir développé un intérêt dans cette technique alors que j'étais
étudiant et, comme je n'avais pas très envie de gagner ma vie comme
thérapeute ou de transformer des hommes adultes en danseuses de
ballet, j'ai commencé à rechercher des façons plus créatives
d'intégrer l'hypnose (ouverte ou invisible)1
et les formes de suggestion à mon travail.
Je ne crois ni que l'hypnose ait quoique ce soit de
magique, ni qu'elle puisse être entièrement élucidée en le
ramenant à un simple jeu de rôle ou à une simulation.
Il me semble qu'on peut mieux comprendre l'hypnose en tant que processus par lequel le sujet s'autorise à devenir plus « ouvert » (responsive)1 à l'hypnotiseur, d'une façon très similaire à la réceptivité qu'on tend à manifester lorsqu'on se rend chez un médecin ou qu'on interagit avec une personne qui fait autorité. On adopte très rapidement les idées que nous transmettent ces personnes à un niveau qui n'est pas nécessairement conscient. C'est comme cela que les mots d'un médecin et son attitude peuvent avoir pour effet une guérison due au moins en partie à l'effet placebo, davantage qu'au principe actif du médicament prescrit. Et c'est aussi comme cela que nos goûts et notre avis sur une question peuvent se trouver influencés par l'opinion d'une personne dont on respecte l'autorité dans le domaine en question.
Il me semble qu'on peut mieux comprendre l'hypnose en tant que processus par lequel le sujet s'autorise à devenir plus « ouvert » (responsive)1 à l'hypnotiseur, d'une façon très similaire à la réceptivité qu'on tend à manifester lorsqu'on se rend chez un médecin ou qu'on interagit avec une personne qui fait autorité. On adopte très rapidement les idées que nous transmettent ces personnes à un niveau qui n'est pas nécessairement conscient. C'est comme cela que les mots d'un médecin et son attitude peuvent avoir pour effet une guérison due au moins en partie à l'effet placebo, davantage qu'au principe actif du médicament prescrit. Et c'est aussi comme cela que nos goûts et notre avis sur une question peuvent se trouver influencés par l'opinion d'une personne dont on respecte l'autorité dans le domaine en question.
De même, il peut être utile de considérer
l'hypnotiseur comme une personne d'autorité2
parmi d'autres, et un « sujet réceptif» (responsive
subject)3
comme quelqu'un qui s'est autorisé à devenir très suggestible à
son contact. Il me semble qu'il existe un trait de personnalité
qu'on pourrait qualifier de « sensibilité à la suggestion »
(responsivness) et que, en règle général, on possède ou non quand
il s'agit de se faire hypnotiser. Ce n'est pas un trait figé, dans
le sens qu'on peut très bien ne pas répondre favorablement à
l'hypnose et pourtant être facilement « fasciné »,
obnubilé, perdu dans ses pensées (starry-eyed)4,
ou suggestible dans d'autres situations ou avec certaines personnes.
Mais la réceptivité individuelle à l'hypnose semble être
relativement fiable, et peut même être mesurée selon l'échelle d'Harvard.
Tester ou
constater qu'une personne est un « bon sujet » pour
l'hypnose ne signifie pas qu'on est capable de décrire ce qui se passe vraiment dans sa
tête durant ce processus. Dans l'histoire, il y a eu beaucoup de
débats et globalement deux écoles de pensée dominantes ont
émergées : ceux qui ont vu l'hypnose comme étant un « état
particulier » et ceux qui l'ont comprise comme une sorte de
« jeu de rôle » et de comportement obéissant (compliant
behaviour)5.
Par exemple, une personne sous hypnose hallucine un éléphant dans
la pièce : un adepte de la « théorie de l'état »
pourrait dire que l'hallucination a été provoquée par quelque
chose de bien particulier qui s'est passé dans le cerveau du sujet ;
tandis qu'un tenant du « comportement » dirait que le
sujet a simplement joué le jeu pour satisfaire l'hypnotiseur. Et
pour ne pas le décevoir, lorsque l'hypnotiseur lui demande après
coup si ça n'était qu'un jeu entre eux, le sujet irait jusqu'à
affirmer avec insistance que l'éléphant était bien réel.
Récemment, ces deux camps ont trouvé un terrain d'entente, et
on explore actuellement une zone située à mi-chemin entre ses deux
théories. Le consensus, et bien sûr le modèle auquel j'adhère,
semble être le suivant : on ne peut rien faire faire à une
personne sous hypnose qu'elle ne pourrait accomplir lorsqu'elle n'est
pas hypnotisée. Lorsque nous sommes très motivés, nous pouvons
parfois faire des choses extraordinaires que nous trouverions
extrêmement difficiles, voire impossibles à mener à bien dans notre
état « normal ». Un jour, un de mes amis a voulu me
prouver qu'il n'est pas nécessaire d'être sous hypnose pour manger
un oignon cru et trouver cela délicieux (un numéro classique
d'hypnose de spectacle !). Il est allé jusqu'à mon frigo pour
prendre un oignon cru qu'il a savouré avec délices. Motivé par son
désir de me prouver qu'il avait raison, il était capable de faire
cette chose qui aurait été largement inconfortable dans d'autres
circonstances. Il a prouvé la force de son esprit, et après cela,
celle de son haleine !
La douleur réagit bien à l'hypnose : vous avez peut-être entendu les récits de patients qu'on avait hypnotisés pour subir des opérations chirurgicales invasives sans anesthésie chimique. Cela peut sembler extraordinaire, puisqu'ils peuvent souvent répondre à des questions alors qu'on est en train de les charcuter sur la table d'opération. Néanmoins, une fois de plus, on retrouve ce phénomène dans la vraie vie : la douleur est très subjective et on n'a pas besoin d'hypnose pour arriver à en faire totalement abstraction. On peut se couper un doigt et ne sentir aucune douleur jusqu'à ce qu'on voit le doigt saigner. Ou, ce qui est très habituel chez les comédiens, lorsqu'ils posent un pied sur la scène, ils oublient une douleur qui les a pourtant embêté toute la journée.
La douleur réagit bien à l'hypnose : vous avez peut-être entendu les récits de patients qu'on avait hypnotisés pour subir des opérations chirurgicales invasives sans anesthésie chimique. Cela peut sembler extraordinaire, puisqu'ils peuvent souvent répondre à des questions alors qu'on est en train de les charcuter sur la table d'opération. Néanmoins, une fois de plus, on retrouve ce phénomène dans la vraie vie : la douleur est très subjective et on n'a pas besoin d'hypnose pour arriver à en faire totalement abstraction. On peut se couper un doigt et ne sentir aucune douleur jusqu'à ce qu'on voit le doigt saigner. Ou, ce qui est très habituel chez les comédiens, lorsqu'ils posent un pied sur la scène, ils oublient une douleur qui les a pourtant embêté toute la journée.
Cependant, l'esprit d'un sujet très suggestible est
une chose extraordinaire : dans « The Assassin», premier
épisode de ma série « The Experiments », mon sujet
hypnotisé, Chris, s'est allongé dans une baignoire pleine de glace
avec joie, du moins jusqu'à ce que j'annule la suggestion. (voir la vidéo ici)
J'ai été surpris, et les scientifiques avec qui
j'avais préparé ce test également, par le fait que Chris semblait
vraiment ravi de rester dans la baignoire indéfiniment. Bien que je
sache que Chris pouvait seulement exploiter un potentiel dont il
dispose aussi bien en dehors de l'hypnose (mais seulement dans un
état de motivation extrême, d'adrénaline élevée, ou autre), le
fait qu'il soit si détendu en le faisant m'a fait me demander si
j'avais eu raison de croire avec autant d'évidence que rien
d'extraordinaire ne peut être accompli par l'hypnose. »
1
En effet, il est possible de faire un usage des techniques
d'hypnose et de suggestion assumé, c'est-à-dire que la personne
visée est au courant qu'il s'agit d'hypnose ou de suggestion (overt
hypnosis), ou bien encore on
peut utiliser ces techniques plus subtilement de sorte que la
personne visée ne se doute pas une seconde de ce dont il s'agit,
sauf à le deviner (covert hypnosis).
2
Ici, une « personne d'autorité » traduit l'expression
« authority figure ». Elle
désigne toute personne qui représente une autorité morale ou
intellectuelle, dont la parole a du poids pour nous parce qu'on la
considère comme crédible, comme plus savante, ou plus légitime
que nous. On tend à croire cette personne en toute confiance.
3
Le terme anglais « responsive », très
délicat à traduire en français, pourrait s'expliquer dans ce
contexte comme suit : le
sujet est particulièrement sensible à l'hypnotiseur, à son
écoute, et disposé à adhérer aux idées qu'il présente et à
réagir à ses suggestions. Selon les phrases, la traduction
adéquate pourrait être « réactif », « réceptif »,
« ouvert », « à l'écoute », « sensible »,
« suggestible »... Et pourtant, aucun de ces termes
n'apporterait en lui-même une traduction satisfaisante.
4
L'expression « starry-eyed »
est également ambivalente selon le contexte et délicate à
traduire sans sacrifier la plupart de ses nuances. Elle signifie
« qui a un regard plein d'étoiles » et peut aussi bien
désigner une personne idéaliste, qu'une personne rêveuse, ou une
personne qui semble absente et dont le regard reste figé.
5
L'adjectif « compliant » est
lui aussi un terme très délicat à traduire. La « compliance »
est une forme de conformation. Pour simplifier, la « compliance »,
c'est le fait de dire « oui », d'accepter. Pourtant le
terme « acceptation » ajouterait une nuance de
résignation, le terme « complaisance » connoterait une
arrière-pensée ou une attitude peu noble, le terme « obéissance »
amène une relation dominant-dominé. Ces nuances ne sont pas
évoqués par le terme « compliance » et amènent donc
le lecteur français à mal comprendre l'intention de la phrase.
Cependant, ici, j'ai traduit l'adjectif « compliant »
par « obéissant »,
faute de mieux.