lundi 19 décembre 2011

L'hypnose comme thérapie... ou l'hypnose pour la thérapie ?

Une des applications les plus courantes de cette capacité psychomotrice qu'on appelle hypnose est son utilisation dans le cadre de la psychothérapie. Le terme même de psychothérapie a été inventé par une hypnotiseur afin de rebaptiser cette nouvelle discipline qui consiste non pas à guérir l'esprit, ce qui est l'interprétation courante et erronée du terme, mais à guérir PAR l'esprit. C'est-à-dire à guérir le corps, l'organisme tout entier, les émotions aussi, l’âme, etc... mais en agissant sur la pensée (l'imagination, la compréhension, la croyance, la réflexion, l'attention, etc...) et notamment à travers le langage. Cela ne signifie évidemment pas que tout atteinte somatique peut trouver une solution d'origine psychique. L'hypnose s'intéresse précisément à la partie de nos fonctionnements que l'on peut qualifier de « psychosomatiques », c'est-à-dire ces leviers psychiques qui permettent une réactions physiologique, neurologique, bref somatique. C'est pourquoi l'hypnose est classée dans les disciplines psychosomatiques.

Aujourd'hui, la psychothérapie s'est largement émancipée de l'hypnose de qui elle découle. Et c'est même l'hypnose qui présente timidement sa candidature comme « outil » à incorporer dans la pratique de la psychothérapie et que l'on méprise en raison de son manque de systématicité et de sa dimension trop artisanale. L'hypnose dépend moins de sa théorie que de la façon dont elle est administrée et en cela est rétive à un enseignement systématique.
Désormais, il est de bon ton, chez ceux qui ont l'audace de « croire encore à l'hypnose », de bien noyer cette pratique parmi une liste d'autres afin que, tel un canif suisse thérapeutique, on puisse montrer notre multifonctionnalité, gage de compétence, et bien afficher que notre pratique de l'hypnose n'enlève rien au sérieux de notre démarche. Cette polyvalence et cette diversité sont une chance extraordinaire pour la psychothérapie. C'est aussi la marque d'une démarche autodidacte d'apprentissage continu propre à ce métier et qui fait le style unique de chaque praticien.
Cependant, pour l'hypnose elle-même, le fait d’être réduite au rang d'outil parmi d'autres dans une boite à outil est à double tranchant :
- elle se nourrit des inspirations et des compréhensions issues d'autres mouvements.
- elle n'est plus considérée comme une démarche thérapeutique à part entière.

En effet, il y a bel et bien deux façons de considérer l'utilisation de l'hypnose en psychothérapie.

a) l'hypnose est un état de réceptivité utilisé afin de travailler moins avec la logique des patients qu'avec une pensée intuitive et spontanée et de permettre ainsi aux suggestions thérapeutiques d'atteindre plus efficacement, rapidement et librement une dimension profonde (subconsciente). En gros, les principaux obstacles à la thérapie sont :
  • la résistance à la thérapie (consciente ou inconsciente)
  • la volonté de faire pour le mieux : le changement inconscient arrive en général au moment du laisser-faire, voire de l'oublier-de-faire, plutôt que comme résultat d'une volonté de faire incompétente. Quand le patient essaye de changer, il échoue. Tandis qu'on le détourne du problème en l’entraînant dans des problématiques en aval du changement dans une présupposition du succès thérapeutique afin qu'il cesse de questionner la possibilité du changement.
Or, l'état d'hypnose est précisément un laisser-faire qui favorise les démarches thérapeutiques d'exploration de l'inconscient (hypno-analyse) ou de suggestion. Concrètement, on induit un état d'hypnose, puis, une fois cet état stabilisé, on mène un travail thérapeutique de n'importe quelle inspiration et celui-ci se fait alors dans un contexte relationnel et émotionnel qui le favorise largement.
Aujourd'hui la plupart des hypnothérapeutes travaillent ainsi, qu'ils s'annoncent comme hypnothérapeutes ou qu'ils soient psychothérapeutes, psychiatres, ou autres. On distingue donc plusieurs moments dans la consultation en hypnothérapie : 

     1. les échanges en état vigile (état ordinaire de conscience). Discussions, anamnèses, suggestions diverses, explications, règlement des honoraires, etc...
  1. l'induction d'un état d'hypnose. C'est la transition d'un mode d'échange à un autre.
  2. Les échanges en état d'hypnose. Le patient dans un état plus ou moins altéré de conscience reçoit de suggestions différentes ou semblables à celles reçues en état d'éveil, ou la récapitulation de ce qui a été suggéré en état d'éveil, ou bien encore il est guidé à travers les étapes d'un travail intérieur à visée thérapeutique, ou bien encore est-il invité à explorer dans un mode de pensée plus réceptif qu'actif des connaissances de lui-même difficilement accessible à sa conscience ordinairement. Il peut également être invité à faire des choses dans le cas de thérapies comportementales ayant recours à des états somnambuliques d'hypnose.
Ces trois moments n'ont pas d'ordre fixe et peuvent être utilisés au gré du thérapeute. Cependant cette délimitation est très théorique et un praticien expérimenté aura souvent développé une approche plus subtile tissant entre eux les différents moments en vue d'une stratégie thérapeutique générale.

b) l'hypnose est un phénomène naturel qui est en soi thérapeutique. C'est même en cela qu'il a donné naissance à la psychothérapie. Faire l'expérience d'une dissociation hypnotique s'est avéré propice à une « crise » émotionnelle profonde aboutissant à la résolution des conflits et à la thérapie. Tout comme la cure de sommeil, on a longtemps pratiqué la cure hypnotique comme moyen de thérapie.
Aujourd'hui, cette conception d'une crise émotionnelle est rarement invoquée pour revendiquer les vertus curatives de l'hypnose. Il s'agirait plus des phénomènes de distorsion de la perception que permet l'hypnose qui se présentent comme des apprentissages de capacités précieuses qui font précisément défaut aux personnes en difficulté psychologique pour leur évolution.
Dans cette perspective, apprendre à être dans le laisser-faire de l'hypnose, apprendre la perte temporaire de contrôle liée à des phénomènes comme la paralysie hypnotique, apprendre à se dissocier partiellement comme dans l'anesthésie, apprendre à devenir temporairement quelqu'un d'autre par l'exercice de la dépersonnalisation, apprendre à redevenir soi à un age antérieur comme dans la régression, apprendre à ne pas reconnaître son identité dans l'action comme par l'écriture automatique et ainsi s'interroger soi-même autrement, et encore beaucoup d'autres apprentissages se font par l'exercice des phénomènes de l'hypnose. On peut alors considérer l'hypnose comme une sorte de kinésithérapie de certaines facultés de la pensée et de la perception : on les fait travailler afin de les ré-éduquer car on estime que ce sont précisément ces capacités qui font défaut à la personne pour surmonter son conflit psychique.

Dans cette perspective, la pathologie psychique (hors psychoses et symptômes d'origine physiologique bien entendu) est plutôt perçue comme un défaut d'apprentissage, un défaut de développement d'une capacité. Par exemple, une personne peut apprendre à percevoir le souvenir d'un être proche décédé dans une dissociation d'avec l'émotion ressentie lors de la perte et développer la capacité à laisser se développer en lien avec ce souvenir les émotions agréables liées aux bons moments partagés. Afin de disposer de cette capacité à se souvenir autrement, il n'est nul besoin de viser un traitement direct de ce souvenir. Il suffit de lui permettre de développer cette capacité en général et son cerveau l'appliquera au cas particulier qu'est le souvenir de cette personne. On lui apprend le mécanisme de la dissociation en jeu dans le deuil à travail l'exercice d'un phénomène de distorsion de la perception sous hypnose, puis ce mécanisme s'appliquera de lui-même en temps voulu au deuil à faire en l'occurrence. C'est là un des sens important de la thérapie stratégique indirecte, voire symbolique développée par le Dr Milton Erickson. Hors thérapie, il pratiquait également cette façon d'enseigner une faculté : pour une femme se préparant à l'accouchement, il lui apprenait à percevoir son bras de façon dissociée jusqu'à développer une analgésie locale, puis il lui montrait qu'ayant appris à le faire sur un bras, elle pouvait le faire sur l'autre, puis il lui faisait faire encore l'expérience d'appliquer cette capacité nouvelle à une jambe. Naturellement, en temps voulu, forte de cette possibilité de dissociation locale, la femme pouvait l'appliquer à la partie inférieure de son corps pour accoucher sans douleur. Il en va de même avec la psychothérapie.

Cette description n'est qu'une façon pour l'hypnose de se présenter comme un travail thérapeutique en soi. La crise par la cure hypnotique (rester longtemps plongé dans un état d'hypnose chaque jour) en fut une autre par le passé. Et d'autres encore existent.

Pourquoi est-il si important de réhabiliter l'effet thérapeutique de l'hypnose in se ?
Aujourd'hui, différentes disciplines se disputent l’exclusivité de l'hypnothérapie. Les médecins voudraient que seuls les titulaires d'un doctorat en médecine soit autorisés à pratiquer l'hypnose. Les lobby de psychothérapeutes qui ont déjà réussi à mettre la main sur ce titre essaient de limiter l'usage du terme de thérapeute (fonction sociale) et de condamner l'usage du titre d'hypnothérapeute par des personnes n'étant pas citées au registre des psychothérapeutes (la candidature à ce registre implique la signature d'une charte restreignant l'indépendance professionnelle et morale des praticiens et en particulier dans la pratique d'une discipline comme l'hypnothérapie).
Or l'hypnothérapie n'est pas un avatar de la psychothérapie mais une grille à part entière de lecture de la pathologie et un système de pédagogie thérapeutique psychosomatique très distinct dans ses principes et ses fonctionnements de la plupart des psychothérapies comportementales ou analytiques qui dominent la profession. L'hypnothérapie ne saurait être réduite à une psychothérapie parce qu'elle est une discipline psychosomatique avant tout, et ceci n'a été oublié que très récemment par la profession. Il est important de préserver cette autonomie de l'hypnothérapie afin de préserver la possibilité de continuer la construction d'une alternative au freudisme et au comportementalisme à travers une pratique de la transe hypnotique et de ses imitations et à travers une expertise de la communication suggestive qui en est la didactique.
L'hypnose est une discipline à la frontière des neurosciences, de la psychologie, de la communication, et de la pédagogie. Dans son versant thérapeutique, elle offre des perspectives de soin inouïes en tant qu'elle est l'application même d'une linguistique des neurosciences. Bien au-delà des thérapies comportementales et cognitives, bien au-delà de la psychanalyse, bien au-delà de la psychiatrie, elle sait se nourrir de toutes celles-ci comme elle les a nourries elle-même. Cependant, elle ne leur appartient pas. Et c’est faire insulte à cette noble pratique que de ne pas lui offrir d’être à elle seule une alternative à toutes ces thérapies pour offrir au public une voie d'évolution personnelle à la fois ancienne et à la pointe du progrès.

Cet affaiblissement de l'hypnothérapie comme système thérapeutique est aussi surtout la conséquence de l'abandon par les hypnothérapeutes eux-mêmes des recherches et même de la pratique de l'hypnose comme thérapie. Aujourd'hui, l'enseignement de l'hypnose met l'accent sur l'utilisation de l'hypnose comme état facilitant l'application de protocoles thérapeutiques issus d'autres champs de recherche. Cet aspect est riche et précieux. Mais il est regrettable qu'il occulte totalement la perspective extraordinaire qu'offre l'hypnose comme pédagogie thérapeutique des facultés neuropsychologiques et qui ne doit de compte à aucun autre champs de thérapie.

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