mardi 6 décembre 2011

De neurones en miroirs

Regardez quelqu'un bouger et vos neurones miroirs s'activent en vous exactement comme si c'était vous-même qui aviez fait ce geste. Voilà en très très gros la découverte faite dans les 90 qui a confirmé beaucoup d'intuitions de la psychologie et lui a donné beaucoup d'espoir. Il est encore tôt pour faire des inférences sur le rôle de ces neurones dans la psychologie et nous nous garderons bien de donner une fausse légitimité à des hypothèses théoriques en brandissant des explications neurologiques non testées de façon formelle et scientifiquement valide.

Dans le domaine de la communication hypnotique, on prête une attention très particulière aux signaux minimes, c'est-à-dire aux micro-mouvements, et modifications infimes du corps qui trahissent la présence d'une pensée en action. Je m'explique : si vous êtes assis et que vous vous imaginez en train de courir, une simple imagination superficielle n'aura peut-être aucune incidence sur votre corps. Mais si vous vous concentrez un peu plus sur cette course, si vous vous imaginez dans l'action, de façon soutenue et investie, il y a fort à parier qu'apparaîtront rapidement des micro-mouvements correspondants aux mouvements principaux de la course, et que votre respiration se modifiera ainsi que l'expression de votre visage, votre regard et le teint de votre peau. Si vous vous imaginez en train de dormir, il en sera de même (non, ne révélons pas que c'est là un des « trucs » qui permettent d'induire ou de s'auto-induire l'hypnose!)

Votre corps « trahit » par des petits mouvements à peine perceptibles le fait que vous vous imaginiez en train de faire ceci ou cela. Or, il en va de même si vous observez quelque en train de faire ceci ou cela. Il est possible de regarder quelqu'un courir avec une distance mentale qui ne vous implique pas beaucoup dans l'action. Et il est aussi possible de regarder quelqu'un avec ce « petit plus » d'implication qui nous plonge dans l'action de l'autre, qui nous « met dans sa peau ». Et alors, comme le supporter de foot derrière son écran qui doit retenir ses membres pour ne pas taper lui même dans un ballon imaginaire au moment où son buteur préféré s'apprête à marque un but, le simple fait d'observer active une partie de nous, "empathique", qui nous imagine « à sa place en train d'agir » et qui trahit nos pensées par des micro-mouvements et des changements subtiles du corps.

Avec cette même implication, regardez quelqu'un qui pleure, et vous serez triste. Regardez quelqu'un qui rit... regardez quelqu'un qui dort... Peut-être que vous n'allez pas pleurer, rire ou vous endormir. Et pourtant, essayez de rester neutres, et vous verrez que d'infimes changements apparaissent qui trahissent le début d'une réaction d'empathie.

Sur la base de cela, je me souviens d'avoir fait il y a quelques années une petite expérience collective d'induction de l'hypnose. J'ai pris sept personnes désireuses de vivre un état d'hypnose. Une seule d'entre elles pratiquait régulièrement l'auto-hypnose et avait suivi des séances d'hypnose. Les autres n'avaient jamais fait d'hypnose mais semblaient répondre de façon moyenne à des tests de réceptivité aux suggestions et d'empathie (j'avais exclu de l'expérience une personne trop « dissociée »).  Je les ai disposées en quinconce en veillant bien à ce que la personne entraînée (A) soit en bout de rang. G observait très attentivement le visage de F qui observait très attentivement le visage de E, etc... jusqu'à A qui regardait devant lui.

A            C            E            G
        B            D            F

Pour ne pas trop fausser l'expérience, j'avais dit à B, C, D, E, F et G qu'il s'agissait d'un simple exercice de concentration que je leur demandais de faire en contre-partie de leur expérience d'hypnose qui viendrait plus tard. A part, j'avais demandé à A de se mettre à mon signal dans un état d'hypnose de type stuporeuse, les yeux ouverts, en développant une catalepsie (raideur figée) générale du corps, puis d'approfondir cet état quitte à ce que les yeux se ferment spontanément.
J'ai donc fait le signal à A de se mettre en hypnose.
En quelques secondes, son corps figé et son regard hagard, sa respiration haute et rapide montraient les signes d'une hypnose stuporeuse en bonne voie. Pendant ce temps, E montrait aussi les signes d'un état d'hypnose mais probablement spontanément induit par l'excès de concentration visuelle et l'immobilité. Rapidement B, qui observait A adopta le même regard perdu avec les yeux très grand ouverts. Par mimétisme, son corps se redressa progressivement et ses bras se contractèrent juste assez pour que ses mains ne semblent plus lourdement posées sur ses genoux mais maintenues dans un contact léger avec les genoux. Il montrait la même catalepsie stuporeuse que A. C modifiait naturellement tous ces paramètres exactement au rythme de B, sans aucun délai de réaction, dans une parfaite synchronisation. Les respirations de C et de B étaient parfaitement synchrones et s'accéléraient sur le modèle de la respiration de A. D observait C dans une décontraction générale du corps qui n'était pas la raideur confortable de A, B et C. Pourtant la contraction cataleptique des bras se mit à apparaître au bout d'une trentaine de secondes en même temps qu'un relâchement soudain des yeux vers un regard grand ouvert et totalement perdu. E, qui semblait déjà dans une hypnose autonome gardait quand même un lien empathique vers D qui lui fit adopter également ce regard et le relâchement de la mâchoire que C et D développaient de plus en plus (leurs bouches s’entrouvraient progressivement). A et B avaient les mâchoires assez détendues bien que figées et leurs bouches restaient fermées. F, qui mit du temps à se laisser impliquer hypnotiquement dans l'expérience, répondit d'un coup,en même temps aux signes hypnotiques que E reprenait de D et à ceux que E avait développés de façon autonome avant le début réel de l'expérience. Mais en plus, il développa un balancement de la tête et du haut du corps d'avant en arrière assez subtile mais qui s’amplifiait progressivement. J'observai que A et C (tous deux dans le champ de vision périphérique de F) montraient aussi des signes d'un léger balancement avant-arrière du corps. G, quant à lui eut un sourire nerveux au moment où l'attitude de F changea complètement. Mais il semblait avoir répondu aux transformations hypnotiques de D (dans son champ de vision périphérique). Le changement de F eut plutôt pour effet de le sortir de tout mimétisme. Il changea sa position librement sur sa chaise et observa F de façon dissociée et peu empathique.
Au bout de deux minutes environ, les yeux de A papillonnèrent et se fermèrent. Quelques secondes plus tard, les yeux de B et C se fermèrent simultanément. D, qui voyait que C avait fermé les yeux montra les signes d'une grand fatigue sur le visage et d'une lutte pour ne pas s'endormir tandis que sa tête voulait piquer en avant. Il finit par laisser les yeux se fermer et la tête se baisser un peu. E ne ferma pas les yeux. Cependant, il sembla encore plus « loin » en lui, son regard encore plus absent et sa mâchoire plus détendue laissait s'ouvrir un peu plus la bouche. F avait déjà fermé les yeux à la suite de C et A. G ne ferma pas les yeux et sourit en voyant ce qui se passait.

Après quelques minutes, j'allai discrètement glisser à l'oreille de A de se réveiller confortablement, joyeusement et complètement. Il mit quelques secondes à se redresser, , s'étendre et ouvrir les yeux. Il bailla. C'est à ce moment là que C et D se redressèrent et retrouvèrent leur tonus. Ils ouvrirent les yeux. E resta en hypnose profonde bien que sa respiration devint plus naturelle et plus calme à ce moment là. F se redressa au moment où les étirements des autres se faisaient entendre et émergea très progressivement pour se réorienter gentiment vers l'extérieur. G sourit de plus belle en restant parfaitement éveillé. J'ai alors glissé à l'oreille de E qu'il pouvait se réveiller confortablement, joyeusement et complètement. Ce qu'il fit aussitôt.

Tous sauf G ont dit n'avoir aucun doute sur le caractère hypnotique et très intéressant de cette sorte de « sieste figée » qui les a prises. A a dit avoir vécu l'hypnose d'une façon beaucoup plus profonde que d'habitude et très différente. E restait incapable de dire si l'expérience totale avait duré 30 secondes ou 1 heure (en réalité une dizaine de minutes). B, C, D et F n'avaient pas trop perdu la notion du temps mais ont décrit un état très dissocié avec parfois l'impression d' « être l'autre », d' « être seul », que "rien n'existe d'autre que la personne qu'ils observaient", et autres remarques caractéristiques de cette expérience.

Depuis, j'ai largement développé l'utilisation de ce phénomène naturel dans l'induction de l'hypnose ou dans son application et intégré cela à ma pratique ainsi qu'à ma compréhension des phénomènes. Je me garde pourtant d'en donner une explication neurologique qui outrepasserait le champ de mes compétences légitimes.
Cette petite expérience n'était pas réalisée dans des conditions optimales et rigoureuses permettant de contrôler les paramètres et les interférences et ne peut en aucun cas servir de base à une discussion scientifique. Il s'agit juste d'une illustration concrète d'une utilisation de l'observation impliquée dans l'hypnose.

1 commentaire:

  1. Attention à éviter de développer trop d'empathie... A ressentir trop (en miroir) les émotions des autres, les sensations des autres, bref les problèmes des autres...

    Un thérapeute qui partage les problèmes des patients, c'est un thérapeute mort ou qui a besoin de consulter...

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